Chapitre 11 : L'appel aux armes
Géralde
On donne le fruit de notre labeur à des vampires fainéants et orgueilleux et on ne dit pas un mot. On tue des hommes d’ici sous nos yeux et on ne proteste pas. Et voilà qu’on nous ordonne de partir à la guerre et on ne fait toujours rien. Un pigeon est arrivé il y a quelques semaines de cela sauf qu’au lieu qu’on nous demande des vivres comme d’habitude, c’est de soldats qu’ils ont besoin cette fois, pour des manœuvres organisées par l’Empereur apparemment. Nous sommes tels les jouets en bois avec lesquels les enfants jouent. Ils se servent de nous comme ils l’entendent, nous font parader pour leur bon plaisir et nous brisent lorsqu’ils en ont marre.
Ceci eut au moins l’avantage d’enfin faire protester les gens d’ici. Cela faisait des générations que l’ost n’avait pas été appelé et l’idée de porter les armes, même pour un simple défilé, en rebuta plus d’un. Nous savions tous comment s’était terminée le dernier grand appel aux hommes. Un fois encore les vampires laquais ne protestèrent que pour donner le change. Edvard osa même nous raconter ceci : « Ecoutez, calmez-vous… Il ne s’agit que d’un entraînement vous partirez quelques mois tout au plus, camperez dans la nature et reviendrez aussi vite. Ce n’est pas plaisant, j’en conviens, mais il n’y a nul risque. »
« Et pourquoi nous appellent-ils cette fois-là ? » demanda Josianne, la sœur d’un de ceux qui risquaient de partir. « C’est vrai ça ! Ils n’avaient pas eu besoin de nous lors des dernières guerres ! » renchérit René.
Edvard parut gêné mais répondit :
« Ce n’est pas tant l’Empereur que le vicomte qui tient à ce qu’on envoie des troupes. Il n’a pas apprécié nos réticences à lui donner des hommes et, en l’absence de Denis, il soutient qu’il peut gérer ce fief comme s’il était sien… Je peux vous assurer que nous avons beaucoup marchandé par lettre et il a finalement accepté de baisser notre contingent à onze hommes seulement. »
Tant d’hypocrisie, tant de non-dits, tant de lâcheté… je ne pus m’empêcher de hurler :
« Ne faites pas semblant de ne pas savoir comment les vampires traitent les hommes de leur armée. Si onze partent nous serons heureux d’en revoir la moitié au retour. Ils sont cruels et profiteront de ces manœuvres pour pousser le réalisme aussi loin que possible ! Soit vous êtes idiots de ne pas le voir, soit vous êtes avec eux ! »
Contrairement à la dernière fois où mes protestations s’étaient achevées par un soufflet et aucune protestation, cette fois-ci certains abondèrent dans mon sens.
Aussitôt Mikhaïl donna de la voix et tout le monde se tut :
« Ça suffit ! Vous faites plus d’efforts pour vous mettre en danger que les vampires en font pour vous tuer ! Si nous n’obtempérons pas notre contribution se verra doublée et je puis vous assurer qu’il n’y aura pas de troisième avertissement. Je dirigerai en personne notre contingent et je vous promets qu’aucun vampire ne touchera au moindre de vos cheveux ! Alors maintenant soit vous vous portez volontaire soit je choisis moi-même qui m’accompagnera ! »
Mikhaïl n’est pas de la même trempe qu’Edvard. Il dégage une autorité qui fait défaut au régent et qui impose la crainte, bien plus que le respect. J’hésitai quelques secondes qui me parurent des heures, rassemblai mon courage et, lorsqu’il s’apprêtait à se retourner estimant le débat clos, je lui répondis avec toute l’assurance possible :
« Vous nous protégerez comme vous l’avez fait avec Madelaine, Laure, Frédéric, Gaston et Enguerrand ? »
Lorsqu’il posa son regard caché sous son casque d’acier sur moi je ne pus contenir mes tremblements. Il s’approcha et je sentis qu’il avait perdu toute raison. A cet instant Grégoire s’interposa entre lui et moi :
« Ce que vous lui ferez, vous devrez me le faire aussi, dit-il plein d’assurance ».
Cet acte de bravoure dut inspirer les suivants car ce fut bientôt une dizaine de personnes qui se trouvaient entre le vampire et moi. Voyant que les trois de sa race ne semblaient pas le soutenir, Mikhaïl se détourna de nous sans oublier d’ajouter : « J’attends les onze qui partiront avec moi demain à la première heure sur la place centrale. S’il n’y a personne j’irai vous chercher ! »
Comment faire ? Les autres vampires étaient trop lâches pour nous soutenir et les hommes d’ici trop effrayés pour oser le contester. Déjà les gens discutaient entre eux pour savoir qui partirait, essayant de s’auto convaincre qu’ils ne risqueraient rien. Ont-ils oublié tout ce que nous avons appris sur les vampires ou sont-ils idiots pour à ce point tordre la réalité lorsqu’elle les effraie ?
Heureusement Himka était avec nous car, le soir venu, un émissaire portant l’étendard du vicomte se présenta au village. Edvard et les autres vampires qui pensaient en avoir terminé avec les soucis pour aujourd’hui durent se raviser. Ils ressortirent donc à nouveau de leur demeure pour accueillir leur congénère. Nulle parole n’était trop mielleuse pour ce laquais né avec des crocs. La curiosité incita certains à venir voir, la peur en poussa d’autre à s’enfermer chez eux. Grégoire et moi fîmes parti de la première catégorie. En si peu de temps nous étions devenus les plus proches amis du monde et j’étais ravi d’enfin voir un homme de valeur me soutenir autrement qu’avec des mots dans ce village.
Le héraut descendit de sa monture, enleva son casque et dévoila ainsi le regard suffisant et dédaigneux de ceux de sa race. Même les bergers n’osent pas toiser les moutons comme il le faisait avec nous. Lorsqu’Edvard se fut avancé et que le colporteur su à qui s’adresser il s’exclama de telle sorte que tout le monde l’entende :
« - Quel est ce village ? J’arrive et personne ne vient prendre mon cheval, les hommes d’ici se montrent particulièrement irrévérencieux à l’égard de leurs maîtres, debout qu’ils sont au lieu d’être à genoux et enfin vous refusez d’envoyer des soldats à l’Empereur… Les racontars que j’avais pris pour plaisanteries étaient donc vrais !
- Nous nous excusons pour cet accueil, répondit benoitement Edvard en faisant signe à deux d’entre nous d’aller s’occuper de la monture du visiteur. Nos mœurs sont en effet quelque peu différentes de ceux de la ville mais n’en prenez pas ombrage. Rentrons, je vous prie, que nous puissions échanger.
- Non ! Discutons plutôt ici que tout le monde entende, ordonna Mikhaïl. »
Même le messager fut décontenancé par cet aplomb mais de toute évidence l’autorité que dégageait le vampire faisait effet même sur les siens.
« - Hmmm… très bien, qu’importe… Mon seigneur, Bogdan, vicomte de Poltrusk, est très insatisfait par la lenteur de votre mobilisation. Voilà déjà plus de trois semaines qu’il vous a envoyé ses ordres et vous ne faites que quémander délais et avantages. Sa patience est arrivée à terme et il exige désormais que ce ne soit plus onze mais bien vingt hommes qui s’en aillent servir dans les armées de l’Empereur. Il m’a de plus donné plein pouvoir pour superviser le recrutement et diriger le contingent. Nous partons dès ce soir choisissez ceux qui viendront ou je m’en charge mais nul délai n’est plus toléré.
- Messire…, répondit timidement Edvard
- Il suffit, l’heure n’est plus aux débats mais à l’action, obéissez désormais ! Votre seigneur lige vous l’ordonne !
- Notre seigneur lige est Denis, répondit de façon surprenante Mikhaïl. Nous n’obéissons qu’à lui et vous n’avez nulle autorité en ces lieux ! Nous avions convenu onze hommes et un vampire d’ici pour les diriger ! Edvard est le seigneur régent en l’absence du baron et non votre vicomte, qu’importe ce qu’il pense !
- Vous refusez d’obéir ?
- J’obéis à l’accord que nous avions convenu ! Vous n’avez qu’à partir avec nous et prétendre que nous sommes vingt-deux au lieu de treize et que vous nous dirigez. Il n’en sera rien, naturellement, mais ainsi vous n’offenserez pas votre si cher suzerain ! »
D’houleuses discussions commencèrent alors. Au même instant, sans que je n’aie rien vu, tout absorbé par la dispute que j’étais, Grégoire me tira la manche avec une arme dans la main. Je compris alors ce qu’il voulait faire. Ce n’était pas de la bravoure mais de la folie. En cet instant mon regard devait être aussi hagard que celui d’Edvard. Il dut néanmoins déceler une pointe d’assentiment car immédiatement il s’en alla le plus naturellement du monde vers les vampires. On eut dit qu’il se dirigeait vers la plus ordinaire des occupations et aucun des vampires ne sembla le remarquer tant ils étaient occupés à hurler les uns sur les autres. Lorsqu’il arriva derrière l’émissaire, ce dernier le vit enfin. Trop tard ! L’épée de Grégoire s’abattit sur son crâne. Par un réflexe éclair le vampire interposa sa main qui finit à moitié tranchée. La vivacité du seigneur sembla surprendre Grégoire qui réarma aussitôt un coup. Il n’en eut pas le temps et reçu un coup du bras valide de son opposant qui le projeta à terre. C’était à mon tour d’être paralysé. Mon ami allait se faire tuer et je restai là, tétanisé par la scène qui se déroulait devant moi. J’avais été entrainé à la guerre depuis mon plus jeune âge et quand vint enfin le temps de passer à l’action j’en fus incapable. Un nombre incalculable de pensées me traversèrent l’esprit et la seule chose qui en ressortit fut une terreur sourde qui me laissa pantois. Le héraut hurla de douleur et de rage et sorti alors la hache qu’il avait à la ceinture. Il s’apprêta à achever son agresseur lorsque Mikhaïl, aussi vif que le messager, fit un pas rapide vers le colporteur, dégaina son espadon et trancha net la main qui s’apprêtait à s’abattre sur Grégoire. Le manchot n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il se passait qu’un instant après il se retrouvait avec une lame fichée dans la gorge.
Interloqués, dépassés par les événements, terrifiés aucun homme ni aucun vampire ne sut comment réagir. Mikhaïl bouillonnait de colère mais tendit néanmoins la main à mon ami pour l’aider à se relever. Aussitôt debout il le frappa pour le remettre à terre et ne put s’empêcher d’éructer :
« Tu es complétement fous ! Tu viens de signer notre arrêt de mort à tous ! »
Il prit alors une pause qui sembla le calmer et reprit…
« Toutefois je n’ai pas été plus intelligent que toi… Ecoutez tous ! J’ai juré de protéger ce village et ses habitants ! J’ai juré de vivre selon les enseignements de Valass et Himka. Voir mourir quelqu’un d’autre d’ici après Madelaine m’aurait été insupportable et croyez bien que pas une nuit je n’ai manqué de prier pour son salut. J’ai jusque-là toujours fait le choix du moindre mal mais Grégoire nous a collectivement forcé à faire celui du pire… ou du meilleur ! Qu’importe que vous approuviez ou non, nous sommes désormais hors la loi et n’avons plus d’autre choix que de lutter ou périr ! Préparez vos affaires et prenez vos armes, nous quitterons ce village au plus tôt. Je n’ai aucune idée de quand est-ce que la nouvelle s’ébruitera mais il faut déguerpir avant que cela se sache. Nous irons dans les bois et vivrons cachés en attendant l’occasion de frapper. Nous n’avons aucune chance de l’emporter mais je déclare ouverte la guerre de libération des hommes ! Soyez prêts au départ ! Milana et Artiome dirigez-vous vers l’ouest et retrouvez Denis pour le tenir informé de la situation. Il doit revenir au plus tôt ! Je me charge de nous faire survivre jusque-là ! Nous nous cacherons dans la forêt de Pinvert. Je ne sais pas où les hasards de la guerre nous mèneront mais lorsque vous reviendrez, sans indication contraire, commencez à nous chercher là-bas ! A tous je vous le dis : Notre soulèvement aura comme issue l’égalité entre les races ou la destruction de notre foi et de notre idéal ! Nous ne partons pas vainqueurs mais que chacun donne le meilleur de lui-même car s’il y a une constante dans la guerre c’est que même les choses les plus improbable sont toujours possibles ! »
Quel discours, venant du vampire que je méprisai le plus qui plus est ! Il n’avait pas été nommé régent par Denis mais il était de fait devenu notre chef et personne n’osa contester ses directives. En cet instant la seule personne qui me dégoutait était moi-même. Moi qui me targuais d’être le seul à agir je n’avais rien fait. Grégoire et Mikhaïl avait en une nuit enclenché ce que je m’échinai à provoquer sans succès depuis des mois si ce n’est des années. J’en pleurais à la foi de rage et de joie. Je me repris tant bien que mal et me mis à mon tour à m’activer afin de rassembler armes et vivres en vue de notre campagne à venir. En quelques heures nous fûmes prêts et nous quittâmes le village de nos pères pour l’inconnu et la vie de camp.
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