Chapitre 12 : La trahison
Hugues
Il semble que j’ai trop vite jugé ce qui se passait ici. Là où je voyais de la nostalgie et de la tradition se cache en fait une véritable tentative de créer une armée digne de ce nom. Geneviève m’a mis la puce à l’oreille à force d’entendre les seigneurs locaux conspuer sans cesse le pouvoir impériale. Augmentation d’impôt par-ci, mépris par là… Le plus étrange était que ces vampires s’exprimaient sans chercher à se cacher comme si ces pensées étaient tolérées, acceptées voire même encouragées en ce lieu. Assurément se plaindre du pouvoir en place est bien vu des nobles d’ici
N’ayant pas accès au duc j’ai donc entrepris de voyager à travers la campagne locale durant mes jours de repos pour en apprendre davantage. Quel ne fut pas ma surprise de voir partout où j’allais des villages débordant d’armes et de soldats. Loin de la ville et des émissaires de l’Empire les vampires recrutent et arment un nombre d’hommes tout simplement colossal. De ce que j’ai vu ces derniers ne sont pas bien entrainés mais leur nombre compense amplement cette faiblesse. De mes discussions avec les locaux il ressort que les tours de garde et autres corvées propres aux soldats sont l’affaire de tous et qu’il existe ici une sorte de service armé obligatoire de telle sorte, qu’en plus des miliciens de métier, chacun a déjà touché une arme et sait s’en servir, même sommairement.
Plus surprenant encore les vampires semblent s’être adoucis envers leurs esclaves ces dernières années, signe évident qu’ils veulent se les attacher autant que possible avant un conflit. Après quelques semaines d’investigation il semble qu’en plus de fournir la nourriture la campagne fournira également les soldats pour la guerre à venir tandis que la ville donne en retour des hommes à dévorer aux barons du duchés. Loin des yeux de l’Empereur il semble qu’un des rares ducs à ne pas s’être encore soulevé soit tenté de le faire.
Pourtant cette résolution semble récente. En effet la part de quinze hommes pour un vampire semble à peu près respectée jusque dans les campagnes signe que la monté en puissance ne doit pas dépasser quelques années tout au plus. Si j’en crois les témoignages concernant l’adoucissement des vampires, l’importante quantité d’enfants et le renforcement de chaque barronnie il est évident que la guerre approche. Il me semble toutefois qu’elle n’est pas pour tout de suite. Appliquer une telle politique nataliste, même si elle permet de s’attacher un peu plus les hommes en évitant les massacres, ne serait pas pleinement exploitée si on n’en profitait pas pour augmenter considérablement les effectifs disponibles. De plus un contingent des plus honnêtes a été envoyé pour les manœuvres décrétées par l’Empire, signe évident que le duc souhaite encore rester en bon terme avec son monarque, pour quelques temps au moins.
En tout cas le seigneur de Sartov est du genre prévoyant et semble fort bien concilier montée en puissance, bonne entente avec ses vassaux et discrétion vis-à-vis de l’Empereur. Il me serait plus qu’utile de le rencontrer pour le jauger mais je décèle déjà en lui un bon organisateur. Toutefois je ne peux pas encore me résigner à le déclarer intelligent. Pour se soulever contre l’Empire après tous les échecs de ses pairs il faut forcément être un peu idiot… A moins qu’il ne s’agisse d’un génie.
Voilà un rapport que je ne peux me permettre de faire attendre plus longtemps. Qui sait ce qu’en fera ma Dame ? Peut-être considérera-t-elle favorablement l’équipe que je forme avec Geneviève ? Une question ne cesse toutefois de me tarauder : dans quel camp est ma maîtresse ? Est-elle du côté des seigneurs rebelles ? De l’Empereur ? Ou œuvre-t-elle pour quelqu’un d’autre si ce n’est pour elle-même ?
Katrina
2 septembre 5775
Quel ost s’est réuni sur ordre de l’Empereur ! Selon le ministre de l’armée il y aurait entre soixante et quatre-vingt mille hommes et environ dix fois moins de vampires. « On ne peut jamais être sûr, les seigneurs ont tendance à surestimer les effectifs qu’ils prétendent nous envoyer et à noyer l’approximation dans la masse ».
Un instant j’ai craint de ne pas pouvoir retrouver Pavel au milieu de tous ces seigneurs mais la suite impériale était si peu discrète que lui n’eut aucun mal à venir me voir. Il était magnifiquement équipé et montait divinement bien. Sans avoir fait la moindre guerre il émanait déjà de lui l’élégance, le charisme et la force des héros du passé. Mon grand-père se moquait de ce que je pouvais faire et mon père me fit signe que je pouvais l’accompagner. Il me fit monter sur son destrier et me fit chevaucher à travers le camp puis par-delà les plaines de Fangeon. Nous montâmes sur une colline depuis laquelle nous pouvions voir l’immense campement s’étaler et s’accroitre de jour en jour. Depuis l’intérieur la désorganisation et la crasse semblaient régner en maîtres. Les hommes malodorants déambulant dans chaque recoin, les armes, les habits et la nourriture s’entassant de façon plus ou moins anarchique et les incessants va et viens de tout ce monde donnaient une impression de capharnaüm. Toutefois, lorsque nous prenions de la hauteur, nous pouvions voir les tentes bien alignées, les débuts de manœuvre s’amorcer telles d’élégant balais et les allers retours bien ordonnés des caravanes ravitaillant l’armée.
Je pris rapidement l’habitude de monter ici pendant que les hommes s’entrainaient et je montrai bientôt ce coins-ci à ma sœur et ma tante. Seule Anastasia refusa de se joindre à nous arguant que les mois à venir ne seraient pas synonymes d’oisiveté pour elle.
Dommage mais cela n’allait pas nous empêcher de profiter du spectacle et par Valass qu’il fut beau ! Sans le savoir les chevaliers agissaient par leurs manœuvres en véritable artistes et leurs prompts changements de direction, leurs formations tantôt resserrées tantôt éparses n’avaient rien à envier aux plus beaux balais. Sans doute que, à l’image du camp vu de l’intérieur, tout cela devait revêtir pour les acteurs les atours de la plus grande des confusions mais vu de dehors tout ne semblait qu’harmonie.
Sous notre voile qui nous protégeait du soleil nous voyions progresser notre armée jour après jour. Même les humains parvenaient petit à petit à se mouvoir élégamment.
Le soir je retrouvai Pavel et nous discutions de la journée. Jamais échanger pareilles banalités ne m’avait été si agréable. Puis, nous nous séparions avant que tant d’intimité eu pu porter préjudice à ma réputation mais toujours plus impatients que jamais d’enfin nous marier. Je ne savais pas combien de temps cette drôle de saison perdue entre guerre et paix allait durer. Seuls moi et quelques autres savions qu’à tout instant la mort et la souffrance pouvait se déchainer contre nous de la même façon qu’une heureuse nouvelle eut pu sonner la fin de la mobilisation.
Ce ne fut qu’hier que j’eus ma réponse. J’étais sur ma colline avec ma sœur comme seule camarade cette fois-ci lorsque nous vîmes les manœuvres brusquement s’interrompre. Un brouhaha émana rapidement de cette immense masse. Interloquée nous enfourchâmes nos canassons et descendîmes de notre strapontin.
Malgré notre statut de princesse il nous fut difficile de nous frayer un chemin à travers tous ces guerriers. Deux chevaliers nous virent lutter pour avancer et repoussèrent violemment vampires et davantage encore humains afin de nous ménager un accès à l’Empereur. Il venait visiblement de finir son discours et s’en retourna dans sa tente avec notre famille lorsque nous arrivâmes. Il était des plus contrarié. Je me risquai à le suivre avec Feodora et, après une seconde d’hésitation, la garde pourpre nous laissa entrer.
De toute évidence il n’avait cessé d’hurler à l’extérieur que pour recommencer de plus belle à l’intérieur :
« Il a osé ! Je n’aurai jamais dû t’écouter Nikolaj ! Anastasia ! Comment se fait-il que tu n’aies rien su ? »
Cette dernière, d’un ton calme, lui répondit :
« - Sire, je ne puis être au courant de tout. De toute évidence Konstantin est des plus imprévisible, même pour moi. »
- Père…, se risqua à dire le mien.
- Tais toi ! Tu n’as de prince que l’élégance ! Tu n’es bon qu’à te pavaner tel un paon ! Tu me conseilles la temporisation et la négociation en arguant que tu connais ton frère et voilà que ce dernier entre dans nos ports, accueilli en prince par des seigneurs qui ne sont au courant de rien et brûle nos arsenaux et nos navires pas même construits ! A ton avis, combien de temps va-t-il me falloir attendre avant d’espérer avoir une flotte digne de ce nom ? Si tu ne m’avais pas comme père tu ne pourrais pas même prétendre au titre de baron !
- Ecoutez ! J’admets mon erreur ! Après avoir été son premier défenseur je jure désormais d’être le plus grand ennemi de mon frère ! Je vous promets de le défaire moi-même ou de mourir en essayant ! Ainsi soit je monterai sur votre trône en vainqueur soit je n’y monterai jamais !
- Et comment comptes-tu le vaincre sans vaisseau ? »
La dispute eut pu durer plus longtemps mais Anastasia les interrompit.
« - Sire, veuillez m’excuser mais nous avons un autre problème de taille… que faisons-nous pour Bogdan, duc de Sartov ? D’après mes derniers renseignements il semble qu’il soit proche de la révolte. Nos dernières actions ont en ce sens bien marché mais peut-être devrions nous cesser le temps que le cas du troisième prince soit réglé. Il sera toujours temps de pousser le duc au soulèvement plus tard afin de nous accaparer ses fiefs.
- Je l’avais oublié lui… Qu’importe. De toute façon sans nef notre armée ne pourra pas faire grand-chose contre Konstantin, toutefois le risque politique de voir la révolte se généraliser à tout le territoire sous les assauts conjoints de Konstantin et Bogdan n’est pas à sous-estimer. Plus il y aura de menaces plus ceux qui voudront se soulever seront tentés de le faire. Tâchons de ne pas rentrer dans ce cercle vicieux. J’ordonnerai à mes ministres de réduire les charges et les impôts du duc pour l’instant. Je relancerai également au plus vite la construction de mes navires ! Cette fois-ci nos ports seront inattaquables et je m’en vais même ordonner l’érection de nouveaux chantier ! Traitons les menaces les unes après les autres et aucune d’elle ne devrait poser trop de problèmes ! Nikolaj, je te laisse en charge de ton frère mais ne me déçoit pas ! »
Vlad, accoudé à une table affichait un large sourire et regardait son ainé :
« Nikolaj, mène-moi à la bataille et au carnage et je te jure que je fais de Konstantin mon affaire ! »
Mon père sourit et lui tendit la main :
« Rétablissons l’honneur de la famille ». S’en suivit une empoignade virile et chacun s’en alla organiser la suite des opérations.
Je ne pouvais pas me réjouir mais au moins sans flotte l’armée ne pourrait pas atteindre Konstantin. Tant que cela durera Pavel sera hors de danger. Réalisant à cet instant qu’il s’en irait sous peu en guerre je m’enfuis de la tente sans crier gare afin de retrouver mon aimé. J’accourrai à la sienne dans laquelle je le trouvai astiquant son armure. Je n’avais pas la moindre idée de ce que je devais lui dire. A ma vue il me prit la main et m’emmena comme d’usage sur la colline. Une fois en haut il s’agenouilla et me récita presque comme un poème :
« Ma dame ! Je vous jure en cet instant où les rayons du soleil se couchent sur nous que je vous épouserai le lendemain de ma première victoire ! Avec ou sans cérémonie, avec ou sans préavis lorsque le sang que j’aurai versé et fait verser aura certifié ma valeur je m’en irai sitôt vous rejoindre pour qu’à jamais nous unissions nos destins ! »
Je pleurai de joie, d’inquiétude, de fierté et pour toutes les raisons possibles et imaginables. Pavel faisait honneur à tout ce qui se rapportait à lui et j’étais la plus honorée des vampires de devenir un jour son épouse. Sans chercher à sécher mes larmes je lui répondis simplement :
« Ne meurs pas, je t’en prie ! Reviens moi vite couronné de gloire et sache que je t’en voudrai toujours moins pour ta lâcheté que pour ta mort. »
Il se releva alors et, profitant du crépuscule pour enlever son casque, me répondit en me chuchotant juste avant de m’embrasser :
« Si de couardise je venais à être pris soyez sûre que jamais je n’oserai me représenter à vous ! »
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