Chapitre 3

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Il trébucha à deux reprises avant d'atteindre les toilettes. Heureusement l'abattant était relevé. Il tomba à genoux, juste à temps pour vomir tripes et boyaux. Son estomac se révulsait, ne lui laissant que peu de temps pour reprendre son souffle. Il toussa à plusieurs reprises, gémissant de douleur. Il attrapa un paquet de mouchoirs dans sa poche, s'essuya le visage et se moucha d'une main tremblante. Il aspira une grande goulée d'air mais son estomac se révulsa encore et encore. La puanteur de l'alcool à moitié digéré ne fit qu'empirer les choses. Yvan se tenait désespérément accroché à la cuvette comme un noyé à une planche. Des spasmes le secouèrent une nouvelle fois quelques instants puis il s'effondra contre le mur, les yeux fermés, de grosses larmes coulant le long de ses joues. Il payait. La note était toujours salée. Il ne supportait pas l'alcool, quelque chose dans son foie l'empêchait de l'assimiler. Il en avait pourtant besoin.

Les jambes flageolantes, Yvan se releva pour s'accouder au lavabo. L'eau froide sur le visage lui fit du bien. Heureusement que les propriétaires précédents n'avaient pas encore coupé ni l'électricité ni l'eau. L'image que reflétait le grand miroir lui fit ressentir un étrange mélange de peine et de colère. Il savait pertinemment qu'il n'y avait rien dans cette maison. Pour qu'une demeure puisse emmagasiner de l'énergie négative, il fallait soit un terrible événement, soit que plusieurs générations de la même famille se succèdent dans ses murs. Celle-ci n'avait même pas dépassé les dix ans. Yvan mentait. Il fallait remplir le frigo. C'était un moyen comme un autre de gagner sa croûte. Il faisait semblant de percevoir des manifestations étranges et pouvait ainsi prétendre les chasser. Quelque part cela avait du bon, car le client repartait pleinement rassuré. Une sorte de thérapie à moindre coût...

Il se regarda dans les yeux. Depuis sa plus tendre enfance, il se souvenait d'avoir pu ressentir un malaise dans certains lieux, sans pouvoir en parler au risque de passer pour un fou. Il ne pouvait pas non plus en déterminer l'origine. Cela commençait toujours de la même façon : des picotements sur le bas de la nuque, sa gorge qui se serrait, puis venait comme un vertige et des larmes qui embuaient sa vue. Il avait tourné cette malédiction à son avantage. Les contrats ne manquaient pas pour venir enquêter, exorciser tel ou tel endroit. En réalité il n'y avait jamais rien de significatif. Pour pouvoir mentir et faire bonne figure devant les gens, Yvan prenait soin d'être toujours légèrement alcoolisé. Sans jamais dépasser, toutefois, le seuil qui le rendait malade. Pourtant, immanquablement, après chaque prestation, il vomissait. Une réaction de culpabilité de son corps et de son esprit. Il se dégoûtait, littéralement.

Yvan se rinça la bouche. Il s'étira, remit sa tenue dans l'ordre. Il fit rapidement le ménage et vérifia une dernière fois qu'il ne ressentait vraiment rien. Rassuré, il se retrouva au soleil, un bonbon à la menthe entre les dents. Avec un sourire mi-figue mi-raisin, il monta dans sa vieille Ford Fiesta modèle 1998 dont il aimait les courbes arrondies. L'autoradio se mit à beugler du Smashing Pumkins. C'est au son de Love qu'il se dirigea vers Sète.

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