SORAYA
SORAYA
— Dis moi, Soraya, comment tu te sens ? me demande le Docteur Martins, la psychologue de la clinique.
— La nuit a été compliquée. J’arrête pas de penser à mes parents et a tout ce qu’il s’est passé. Le peu que je dors, je fais des cauchemars.
— C’est normal. Ce que tu as vécu est très traumatisant. En plus de tes anxiolytiques, je vais te rajouter un somnifère. Ça va t’aider à bien dormir. Dis moi, tu écris dans ton carnet ?
— Oui. J’écris surtout la nuit. Mes pensées, ce que je ressens. . . Ça peux m’aider à m’endormir.
— Je suis contente, alors. Tu trouves que tu as fais des progrès depuis que tu es ici ?
Je commence à jouer avec mon pendentif. Je réfléchis longuement.
— Il m’arrive d’aller dans la salle TV, quand il n’y a pas trop de monde et que je me sens bien. J’ai vaguement discuté avec une fille du centre. Elle s’appelle Annabelle.
La psychologue me regarde et souris, l’air victorieuse.
— Anna m’a aussi dit que tu as été 15 minutes avec eux, en classe, hier. Elle était très heureuse.
— Oui, j’avais envie d’essayer. Mais c’est trop compliqué.
— Je sais que c’est compliqué, mais 15 minutes, ce n’est pas rien. Peut être que, dans 1 semaine, tu y passeras 20 minutes. Souviens toi, à ton arrivée, le simple fait de penser que tu allais voir d’autres enfants te faisais paniquer.
Je rougis. Je n’aime pas que l’on me fasses des éloges. Après tout, tous les autres enfants du service y vont. Ce n’est pas si incroyable que ça.
Alors que la psychologue me félicite pour ces avancées, quelqu’un toque à la porte. Une infirmière, d’une trentaine d’années, entre en hâte dans le bureau. Elle est vêtue de sa blouse et de son pantalon bleu ciel habituel, assorti de ces sabots. C’est la tenue règlementaire ici. Certains enfants ont déjà tentés de mettre fin à leurs jours ou se scarifient. Les tenues des infirmières et des médecins ne comportent que du tissu. Pas de ceinture autour de la taille, pas de boucle d’oreille. Ici, l’ambiance est glauque et chaleureuse en même temps.
Je suis soulagée de cette entrée.
— La nouvelle va arriver. Elle commence à se réveiller.
La médecin me regarde, visiblement embêtée d’interrompre la séance. Elle se tourne vers moi et me souris, l’infirmière restant sur le pas de la porte.
— Je suis désolée mais je dois y aller. Pour la prochaine fois, j’aimerais que tu réfléchisses à ce que tu ressens quand tu penses à tes parents. Si tu veux, tu peux le noter dans ton carnet.
Je me lève et elle me suit de près. Nous sortons, elle me salue avant de se diriger dans le couloir des filles. C’est un long couloir situé à l'opposé de son bureau. Les murs sont peint d’un vieux jaune et des affiches y sont accrochés. Je vais dans la même direction qu’elle pour rejoindre ma chambre. Il y a beaucoup d’agitation dans le couloir. Il y a 2 garçons, Peter et Scott, qui sorte de la chambre d’Annabelle. J’entends un bruit sourd arriver derrière moi. Je me plaque contre le mur et me bouche les oreilles. Cependant, je garde les yeux ouverts. Une adolescente est allongé sur un brancard, à peine consciente. Elle a 15 ou 16 ans peut-être. A travers les contentions qu'elle porte, je perçois un bandage sur son poignet droit. Elle a sûrement essayée de s’ouvrir les veines. Elle porte un vieux tee-shirt du groupe ABBA, qui laisse voir des bras remplis de cicatrices. Le brancard finit sa course dans la chambre voisine à la mienne.
Alors que je ferme les yeux pour tenter de calmer mon cœur qui s’est emballé, j’entends des murmures qui proviennent des chambres en face. Ici, chaque nouvel arrivant est une distraction. J’ouvre la porte de ma chambre et la referme violemment. Mon cœur bat toujours la chamade, j’ai la petite voix dans ma tête qui se fait de plus en plus forte. Je me jette sur mon lit.
— Il se moque de toi. C’est vrai, regarde toi. Tu paniques à cause du bruit du brancard. Les autres enfant qui était là sont plus jeunes et, eux , n’ont pas eu peur, me susurre t-elle.
Je sors mon carnet et un stylo de ma table de nuit. Je l’ouvre à une page vide et je commence à écrire.
“ Soraya, le 13/04/2024, à la Clinique aux Sourires
Je sors d’un rendez-vous avec le Docteur Martins. On a vaguement parlé car on a été interrompue par une nouvelle arrivée. Je lui ai dit que je pensais beaucoup à Papa et Maman, et elle m’a demandé de réfléchir à ce que je ressens quand je pense à eux. Je sais pas pourquoi ça l’intéresse et je ressens des choses que je ne devrais pas ressentir. Je suis triste qu’il ne soit pas avec moi, mais je suis en colère qu’il m’est mise dans ce maudit bus. Et mon frère me manque. Quand je suis parti, l’Armée n’avais pas encore fait de funérailles et je ne pourrais pas y assister. C’est vraiment injuste ! Je crois que je suis surtout en colère en ce moment, mais je sais que je ne devrais pas. Ce sont mes parents et ils ont fait ça pour me protéger. Mais je ne peux pas m’en empêcher.
Il y a aussi la petite voix dans ma tête qui m’énerve. Il y avait beaucoup d’agitation dans le couloir avec l’arrivée de la nouvelle. Le bruit du brancard m’a fait paniquée et elle n'arrêtait pas de me dire “ regarde les petits en face, ils n’ont pas peur mais toi, si. Tu es une peureuse. Il se moque tous de toi”. Le fait de l’écrire, elle se tait.
La nouvelle à l’air sacrément blessé. Elle a sûrement essayée de se suicider en s’ouvrant les veines, elle avait un bandage. Ces bras sont également pleins de cicatrices, comme les miens”
Ça toque à la porte de ma chambre. Je referme et range mon carnet. Je ne fais plus un bruit. Je n’ai pas envie de voir qui que se soit.
— Ouvre, Soraya, je sais que tu es là.
C’est Peter. Il ne lâchera pas l’affaire tant que je n’aurais pas ouvert. Ma peur s’empare de mon corps. Mes jambes se paralysent. Il continue de tambouriner à ma porte. Je ferme les yeux. Inspire 4 secondes... retient 2 secondes... et expire 3 secondes. Je recommence une seconde fois et prends mon courage à deux mains. Je me lève, m’approche doucement de la porte, pose la main sur la poignée et l’abaisse. Peter est debout, avec son vieux jogging gris et son tee-shirt troué sur l’épaule.
— Il y a une nouvelle, tu veux parier ? Pour le moment, Scott, Jennifer et moi pensons tentative de suicide par médicaments. Camille, Laura, Annabelle et Martin pensent à une scarification trop profonde. Tu en penses quoi, toi ?
— Euh.. Je...hum..., balbutié-je.
Je referme vite la porte et m'écroule contre celle-ci. J’entends Peter râler et une infirmière intervient, en lui demandant de déguerpir et de me laisser tranquille. Je les entends s’éloigner. Une terrible colère monte en moi. Je ne suis pas capable de dire quelques mots d’affilés. Je sais juste bégayer à chaque fois que l’on me parle. Je me relève et fait les 100 pas dans ma chambre. Je recommence à respirer, mais ça ne me calme pas. C’est même le contraire. Sans vraiment le contrôler et avant que j’ai le temps de réfléchir, mon poing a tapé contre un cadre. J’observe ma main. Elle est en sang. Je tremble. Je reste debout, au milieu des bouts de verres. Deux infirmières se précipitent dans ma chambre et l’une d’elle m’emmène à l’infirmerie.
— Que s’est-il passé, Soraya ?
— Rien, ça va, grommelé-je.
L’infirmière se pose à genou devant moi. Son regard me dit “je sais que tu mens, dis moi tout”.
— Ce genre de chose ne t’est encore jamais arrivée en 3 semaines. J’ai vu Peter devant ta chambre avant que tu tapes. Il s’est passé quelque chose avec lui ?
— C’est juste que je suis incapable d’aligner 3 mots. Il a commencé à me parler de la nouvelle. Il voulais que je parie sur sa venue. J’ai pas su répondre et je lui ais claqué la porte au nez. Je suis vraiment débile.
Je commence à pleurer et à remonter en pression.
— Soraya, écoute-moi. Tu n’est pas débile. Tu as des difficultés à discuter avec les autres et c’est normal après ce qu’il t’est arrivé. Mais tu as fait d’énormes progrès en 3 semaines. Alors, oui, le chemin va être long mais tu vas y arriver. J’aimerais être aussi courageuse que toi. Tu veux que j’appelle Magalie ou le docteur Martins.
Je lui fais un non de la tête. J’ai envie de voir personne. Elle marque une pause et termine de me désinfecter la main.
— Tu as juste quelques égratignures, rien de grave. En attendant que ta chambre soit propre, tu dormiras avec Emma cette nuit. Elle n’est pas bavarde, ne t’inquiète pas.
Mon regard se remplit d’inquiétude. Je ne vais pas le supporter. La nuit, c’est le seul moment ou je peux vraiment être seule. Je ne vais pas y arriver.
— Ne t’inquiètes pas. Ça va bien se passer et si tu ne te sens pas bien, tu peux passer nous voir. Pour le moment, ça te dérange d’aller dans la salle TV. Je crois qu’il n’y a que Camille. Je vais te chercher ce qu’il te faut pour cette nuit.
— Je peux y aller, tu sais, lui dis-je, en ayant repris mes esprit.
— Bien essayé mais c’est non. C’est plein de bouts de verres et je ne veux pas que tu en prennes un. Je vais y aller.
Je quitte l’infirmerie et me dirige vers la salle TV ou il n’y a, effectivement, que Camille qui compte les crayons. Je l’est toujours trouvé assez étrange. Annabelle m’a dit que c’était un génie mais j’ai du mal à y croire. Au moins, il n’essaie pas de me faire la conversation.
Je m’assois sur le canapé et mon cerveau commence son activité favorite, me torturer en pensant. Je réfléchis à ce que j’ai fais. Je m’en veux tellement. J’aurais pas dû taper dans ce cadre. J’aurais dû prendre un bout de verre avant que les infirmières n’arrivent. J’aurais pu me couper et aller mieux, pendant quelques temps. Mais ça m’aurais valu l’isolement. Je décide de me lever du canapé et de regarder le planning de mes activités de cette semaine, pour essayer de me changer les idées. Demain, c’est art-thérapie avec Magalie et la psychologue. Magalie est mon infirmière référente. C’est vers elle que je dois me tourner si je veux voir la psychologue en dehors de mes rendez-vous où si j’ai un problème. C’est mon ange gardien en quelque sorte.
Alors que je suis de retour sur le canapé et plongée dans mes pensées, une infirmière m’indique qu’il est 19h00, l’heure d’aller manger. C’est le pire moment de la journée. La cantine est bruyante, remplies d’enfant qui court partout. Je m’assois à une table, seule, dans un coin de la pièce. Ce soir, c’est purée avec du jambon. Mes pensées tournent tellement en boucle dans ma tête que j’en oublie de manger.
— Hey, Miss, tout va bien ?
Magalie s'est assise à côté de moi. Je sursaute sur ma chaise et j’ai l’impression que mon cœur va s’arrêter.
— Oui, ça va. Et toi ?
— Moi, oui. Tu ne manges pas ? m'interroge-t-elle.
— Désolé, mais je n’ai pas très faim. Je peux aller dans ma chambre s’il te plaît ?
— Désolé, ta psy a dit que tu dois manger avec les autres. Tu as quoi à la main ? me demande t-elle, comme si elle l’ignorait.
— J’ai cassé un cadre de ma chambre, rien de grave.
Je lève la tête de mon assiette et aperçois quelqu’un rentrer dans la cantine. Elle a l’air d’un zombie. Elle porte un jogging avec un tee-shirt ABBA. C’est la fille qui était sur le brancard tout à l’heure. Magalie se lève, se dirige vers elle et je les aperçois se rapprocher de ma table.
Non, non, tout sauf ça !
— Soraya, je te présente Emma. Elle est nouvelle ici et il me semble que tu vas partager ta chambre avec elle cette nuit. Ça te dérangerais de lui expliquer comment ça marche.
Par pitié, tout sauf ça. A ce moment précis, je hais Magalie. Emma s’installe en face de moi et me fixe. J'essaie de parler mais ma gorge est tellement serrée qu'aucun son ne sort. Je sors un stylo de la poche de ma veste et attrape la serviette qui est sur mon plateau.
“ Réveil: 8h
Petit déjeuner: 8h30
Temps libre 9h à 10h30
Activité thérapeutique ou rdv psy: 10h30 à 11h30
Repas du midi: 11h30
École, chambre ou rdv psy: 12h30 à 16h
Goûter: 16h
Temps libre: 16h10 à 19h
Dîner: 19h
Chambre: 20h jusque 22h
Extinction des feux: 22h”
— Tu as des questions ? demandé-je, d’une voix à peine audible.
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