EMMA

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EMMA

 Mon corps bouge, mais ce n’est pas volontaire. Un bruit sourd me parviens, très désagréable. Je peine à ouvrir les yeux, ils sont tellement lourds. J’arrive à légèrement les ouvrir, pour tenter de comprendre ce qu’il se passe. Je tourne la tête vers la droite. J’aperçois quelqu’un à travers des barreaux. Mes yeux ont de moins en moins de mal à s’ouvrir. Ma vision se précise. J’arrive à bouger, un doigt, puis une jambe.

 Deux personnes sont autour de moi. J'essaie de me frotter les yeux mais quelques chose m’en empêche. Je pose le regard sur mes poignets et constate un gros bracelet de cuir, sur chacun d’eux. On m’a mise les contentions.

— Je suis pas dangereuse, murmuré-je. 

— Tu es capable de me dire comment tu t’appelles et ou tu es ? 

— Je m’appelle Emma. Je sais pas où je suis. Vous êtes qui ? Et où sont mes parents ?

 Désormais, ma vision est redevenu normale. Une femme tente d’attirer mon attention. Je dirais qu’elle a 40 ans, ou moins. Elle porte une blouse blanche avec un chemisier bleu azur en dessous. Ses cheveux sont portés dans un chignon, et ses yeux sont bleus, et remplis de tendresse. Le badge qu’elle porte sur sa blouse attire mon attention.
“ Raphaëlle Martins, psychologue”.

 Une vague de souvenir, bien que flou, me reviens. 

 Je tourne la tête de l’autre côté. Une infirmière d’une trentaine d’année, vêtu d’une tenue de travail bleue, soulève mon poignet gauche pour me détacher.

— Emma. Je suis le Docteur Martins. Tu es hospitalisée à la Clinique des Sourires. Tu peux me dire ce qu’il s’est passé ? 

 Je l’observe longuement, mais je n’ouvre pas la bouche. Je n’ai pas envie de discuter, et encore moins avec une psychologue.

— Bon, je vais te laisser te reposer. Nous nous revoyons demain à 9h. Une infirmière viendra te chercher. A demain.

 Les 2 femmes s’éclipsent, me laissant seule avec mes pensées. Je me redresse avec difficulté, en ayant l’impression d’être passée sous un bus. Mon corps me semble lourd et je me sens tellement épuisée. J’observe autour de moi. Deux sac sont posés devant mon lit. La pièce contient un fauteuil rouge face à une table, une armoire vide, pour le moment, et mon lit. Je me lève et fais quelques pas. Je me sens déjà un peu mieux. Je regarde par la grande fenêtre. Ma chambre donne sur un magnifique parc, et sur une ville, avec plein de gratte-ciel un peu plus loin. J’observe longuement la vue. C’est probablement la meilleure vue que j’ai eu de ma chambre, sur toute mes hospitalisations.  Je pense que m’occuper l’esprit et faire quelque chose peut m’aider à me réveiller. Je prends alors mes deux sacs que je pose sur mon lit. L’un contient mes affaires. 3 jeans, 2 joggings, 1 pull, 2 vestes, 6 tee-shirts, 2 pyjamas et des sous-vêtements. Elle contient également ma trousse de toilette qui, j’en suis sûre, a été minutieusement fouillée par les infirmières. Une enveloppe est déposée au fond du sac. Je décide de mettre en pause le rangement de mes affaires, m’assois sur le lit et ouvre l’enveloppe.
" Emma,
Ton père et moi sommes vraiment désolés. Nous ne voulions pas te faire de mal. On t’a fais hospitalisée dans cette clinique pour ton bien, mais cette fois-là sera différente des autres fois. Nous ne viendrons pas te voir, nous ne t’apporterons rien. Cela ne veux pas dire que nous ne t’aimons pas ou que nous t’abandonnons, bien au contraire. Je pense que, te laisser respirer, ne peux être que bénéfique, pour toi comme pour nous. Je sais que la situation à la maison est très difficile en ce moment, surtout pour toi. Tu peux, bien évidemment, nous appeler. 

Nous t’aimons et nous espérons te revoir très vite parmi nous, en bonne santé et heureuse. 

Papa et Maman.”

Non mais, j’y crois pas. Ils vont me laisser pourrir ici.

— Il ne t’aime pas. Il te mente depuis toujours. La preuve, il t’abandonne ici. Il ne veulent pas d’une fille comme toi. Ingrate, faible, incapable d’être heureuse.

 Un bruit soudain me sort de mes pensées. J’ai l’impression que le mur a tremblé, j’entends du verre se briser dans la chambre d’a côté. J’ouvre la porte de ma chambre et passe la tête dans le couloir. Une infirmière sort de la chambre, tenant par les épaules une adolescente. Elle tient sa main recouverte de sang. Je commence alors, instinctivement, à masser mes poignées. Mes coupures me font mal, même avec le bandage. Je sens les points de suture. Je referme la porte, à cause des regards braqués sur moi. Je me dirige vers mon lit, range la lettre dans ma table de nuit.

 J'ouvre le second sac. Il est rempli de décorations, d’occupations. J’accroche mon affiche de mon groupe préféré, ABBA. Mais aussi des affiches de films comme “Joker” ou “Titanic”. Je scotche des photos au dessus de mon lit. Mes amies, mes parents, moi et même mon chien. En un rien de temps, cette chambre deviens MA chambre. Je sors une pochette orange. Dessus est écris “PAROLE+PARTITION”. J’ouvre la pochette et commence à feuilleter les pages. Je reste un long moment à les observer. 

 C’est quand quelqu’un toque à la porte que je me décide à les lâcher des yeux.

— Bonjour Emma. Je m'appelle Marie, infirmière. Je viens juste te prévenir qu'il est l’heure de manger. Tu viens à la cantine où tu préfères, exceptionnellement, manger dans ta chambre. 

— J’arrive.

 C’est la même infirmière que tout à l’heure, celle qui m’a retirée les contentions. J’attrape ma veste posée sur le bord de mon lit et l’enfile. Je ferme la porte et l’infirmière m’indique le chemin de la cantine. Je trouve sans grande peine. Il suffit juste de suivre le bruit. Je respire un bout coup et franchis l’encadrement de la porte. Je me stoppe net. J’observe ce qu'il se passe autour de moi. Il y a de l’agitation partout. J'ai l'impression que mon cerveau implose. Un mouvement à ma droite attire mon attention. Je tourne alors la tête et aperçois une infirmière s’approcher de moi.

— Salut, tu dois être Emma. Je m’appelle Magalie. Je suis ton infirmière référente, donc si tu as un problème, une question ou juste envie de parler, je suis là. 

 Nous nous rapprochons de la table où était installé Magalie avant que je n’arrive. J’aperçois la même fille que celle qui est sorti de sa chambre la main en sang, tout à l’heure, assise seule. Nous nous arrêtons en face d’elle et je m’assois.

— Soraya, je te présente Emma. Elle est nouvelle ici et il me semble que tu vas partager ta chambre avec elle cette nuit. Ça te dérangerais de lui expliquer comment ça marche. 

 J’ai horreur qu’on m’appelle la nouvelle mais je suis trop fatiguée pour répliquer. Magalie s’éclipse, me laissant seule avec Soraya. Elle me jette un rapide coup d’œil, mais je la fixe. J’ai besoin de ces informations. Elle a l’air peureuse. Je ne pensais pas faire peur à ce point-là. Elle attrape un stylo dans sa poche et sa serviette. Elle commence à écrire dessus. J’observe autour de moi pendant qu’elle écris. Je constate différents groupes. Les plus petits doivent avoir 11 ans, peut être 12. Un groupe attire particulièrement mon attention. Ils sont à 4, à parler fort et à me dévisager. Soraya me tend la serviette. 

“ Réveil: 8h
Petit déjeuner: 8h30
Temps libre 9h à 10h30
Activité thérapeutique ou rdv psy: 10h30 à 11h30
Repas du midi: 11h30
École, chambre ou rdv psy: 12h30 à 16h
Goûter: 16h
Temps libre: 16h10 à 19h
Dîner: 19h
Chambre: 20h jusque 22h
Extinction des feux: 22h”

— Tu as des questions ? me demande-t-elle, d’une voix timide.

 Visiblement, parler pour elle est très difficile. J’ai rencontré d’autres filles comme elle mais jamais aussi renfermée. Je plie la serviette et la fourre dans ma poche. Je quitte la table, avant même qu’une infirmière ne m’est ramené mon plateau. Je n’ai plus envie d’être ici, je me sens trop fatigué et ma tête me fais mal. 

 Une fois dans ma chambre, je m’installe sur le fauteuil rouge qui donne sur le parc. Je laisse place à mes pensées, qui sont loin d’être discrète et positive.

— Tu es enfermée, ici. Tu fais encore souffrir tout le monde, tes amies, tes parents. Tu n’est qu’une moins que rien, incapable de vivre normalement. Des personnes ont des problèmes beaucoup plus grave que toi et ils ne s’ouvrent pas les veines pour autant. 

 Une main sur mon épaule me sort de mes pensées.

— Tu es partie avant que je ne te ramène ton plateau. Tu devrais manger un peu.

 L’infirmière me ramène mon délicieux repas du soir. Purée de carotte avec du poisson. La seule chose mangeable est la pomme, que je mets de côté pour cette nuit. Je sens qu’elle va être agitée.

 Quelques minutes après, quelqu’un toque à la porte.

— Emma, Soraya partage ta chambre cette nuit. Elle est gentille. C’est l’occasion parfaite d’apprendre à vous connaître. Allez, Soraya, je te laisse. A demain. 

 Je ne la salue pas et elle se pose sur le lit vide. Elle s’allonge et s’endors. Je décide de faire de même.

*

— Bonjour, Emma. Comment te sens-tu ?

— Je vais parfaitement bien. C’est pour ça que je suis enfermée ici.

 La psychologue m’énerve. Son sourire est scotché sur son visage, mais il est loin d’être sincère. 

— Je sais que c’est compliqué de se retrouver ici. Mais, d’après ton dossier, tu as déjà été hospitalisée avant ?

— J’ai du mal à voir le rapport, rétorqué-je. 

— Comment c’est passée cette première nuit ? C’est souvent la plus compliquée, affirme t-elle, toujours avec son sourire malaisant.

— J’ai fixé le plafond toute la nuit. Il n’est pas très beau mais je dois me contenter de ça.

— Magalie m’a dit que tu es passée au réfectoire hier. Tu as fais des rencontres ?

— Ouais, une fille. Soraya. Loin d’être bavarde et c’est mieux comme ça. Elle m’a expliqué comment ça fonctionnais et je suis repartie dans ma chambre.

— Pourquoi ne pas être restée ?

— J’aime pas être une bête de foire. Et puis, je commençais à avoir mal à la tête.

 La psychologue note des choses. Ses yeux font des allers-retours entre moi et son carnet. Ne tenant plus en place, je me lève et commence à scruter les livres de sa bibliothèque.

— Tu as l’air en colère, je me trompe ?

 Je m’arrête un instant, lui lance un regard noir, qui confirme sa théorie. 

— Contre qui est tu en colère ?

— Ça n’a aucune importance.

— Si, ça en a. Tu peux être en colère après le médecin des urgences, qui a suggéré ton hospitalisation. Tes parents, qui t’ont mise ici. Ou contre toi.

 Je tourne subitement la tête.

— C’est idiot d’être énervée contre soi-même. Nous faisons des choses, volontairement. Tu peux, à la limite, regretter, mais pas ressentir de la colère. Tu peux être en colère contre d’autres personnes, car tu ne contrôles pas leurs actions. 

— La colère est un sentiment complexe, et loin d’être idiot. Il arrive que l’humain fasse des choses sans réfléchir, sur un coup de tête. Mais il est plus simple d’être en colère contre les autres, que soi-même. 

 Je fixe l’un des livres de sa bibliothèque, “ Anxiété à 1000% !”. J’ai lu ce livre, lors de ma première hospitalisation. Je refusais de croire que j’avais de l’anxiété, alors le psychologue de là-bas me l’a prêtée, pour me faire comme un déclic. Et ça a fonctionné. Je l’ai lu en une nuit, et après, je me suis totalement ouverte, pour sortir de ça. Mais c’était visiblement inutile, vu ma situation actuelle. 

 Le docteur Martins tente de communiquer avec moi, pendant près de 30 minutes. Elle essaie de me parler de ce qui m’a conduit ici, de mes parents, mes passions. Elle finit pas laisser tomber.

— Bon, je crois qu’on va s’arrêter là. Cet après-midi, tu as un cours d’art thérapie avec Magalie, ton infirmière référente, et moi. Il y aura aussi Soraya, et 2 autres garçons, Peter et Camille. 

 Je quitte son bureau, sans la saluer. Je me dirige vers la salle TV, d’où le son de mon émission préférée me parviens. Il y a du monde. Je me pose dans le canapé et commence à regarder. Alors que la publicité viens de commencer, un garçon vient me parler.

— Salut, t’es nouvelle. Je m’appelle Camille. Et toi, tu t’appelles comment ?

— Salut, je m’appelle Emma et, effectivement, je suis nouvelle.

— Je veux pas paraitre indiscret, mais pourquoi t’es ici ? me demande t-il, tout gêné.

 La fille qui jouait au jeu de société avec Camille intervient. 

— Certains ont fait des paris sur ta venue. Ça arrive à chaque fois qu’il y a un nouveau. C’est une sorte de passe-temps. Je n’ai pas participé pour infos.

— C’est sûr. Tu sors demain !s'empresse de répliquer le garçon. 

 Je me sens soudain gêné, au milieu d’un début de dispute. Le petit reporte son attention sur moi, attendant ma réponse. Je lève mes deux poignets en croix au niveau de mon visage.

— Je me suis ouvert les veines. 

— Tu t’es coupé combien de fois sur chaque bras ? Et de combien de centimètres et de profondeur. C’est très important. Ça peut me permettre de déduire combien de litres de sang tu as perdus. 

 Cette question me met extrêmement mal à l’aise. Je regarde la fille qui est intervenue. Une infirmière arrive au même moment.

— Marie notre sauveuse. Camille n'arrête pas de poser des questions à Emma. Et je te laisse deviner lesquelles. Malgré sa semaine ici, il n’a pas l’air d’aller mieux. 

— Camille, laisse Emma tranquille, interviens l'infirmière. Va écrire ou dessiner pour te changer les idées. Mais pas de maths.

— Mais tu ne comprends pas, rétorque le garçon. Les maths, c’est le seul truc qui me soulage. Je voulais juste déduire combien de litres de sang elle avait perdu. C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher. 

— Tu veux que j’appelle le docteur Martins pour qu’elle te prenne en rendez-vous. 

 Camille accepte, les yeux rempli de larmes et se grattant la paume de la main, visiblement déjà très abimée. Il suit l’infirmière hors de la salle TV.

— Désolé pour ça. Camille a un problème avec les maths. Je sais pas quoi précisément, mais on dirait une drogue. Si il n’a pas sa dose, il se gratte la main. Mais, en tout cas, il est super intelligent. Au fait, je m’appelle Sophie. 

 Je lui souris et retourne à mon émission d’où la pub vient juste de se terminer. 

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