PETER
Peter
— Alors, petit frère. Comment tu vas ? Comment ça se passe ici ? me demande Seth, mon grand frère, lors de sa visite.
— C’est compliqué, mais je m’en sors. Et toi, comment tu vas ?
— Ça va bien. Sauf le fait que tu me manques. Maman s’est aperçue de ton absence, tu sais. Elle voulait venir mais je lui ais dit que, pour le moment, ce serait mieux qu’elle ne vienne pas.
— Et laisse moi deviner, elle est allée se chercher une bière au frigo pour oublier que tu lui as dis non ?
Seth baisse la tête, un peu honteux. Une colère s’éveille en moi. Je change vite de sujet.
— Tu ne l’avais pas cette chaîne avant. Qui te l’a offerte ?
— Nath. Une fille que j’ai rencontré au travail. Elle est gentille, belle et intelligente. Comment ça se passe ici pour toi ? Tu as fais des rencontres ?
— J’ai des amis, oui. Mais pas de filles en vue. Il y a un garçon ici, il s’appelle Camille. C’est un génie des maths. Sa chambre est rempli de posters de mathématiciens.
On aperçoit deux infirmières courir vers le couloir des filles. Seth sursaute, et commence à paniquer.
— Ne t’inquiète pas, Seth. C’est sûrement rien. Ici, des gens ont des problèmes plus graves et compliqués par rapport à moi. Certains se scarifient ou tente de se suicider.
L’une des deux infirmières se dirigent vers le bureau de garde, avec Camille qu’elle tient par les épaules.
— Amélie, dis moi, je peux faire visiter à mon frère ? je demande à l’infirmière.
— D’accord.
Je plonge mon regard dans les yeux de mon frère. Il a l’air un peu apeuré et je le comprends. C’est jamais évident de se retrouver dans une clinique psychiatrique. Beaucoup pensent que c’est pour les fous mais loin de là. Pour moi, c’est un espace de repos, où il est possible de renaître. Je me lève, suivis par Seth, et je commence la visite guidée. Elle se termine dans ma chambre.
— C’est moins glauque que je le pensais. C’est accueillant, et je vois que ça te fais du bien. Même ta chambre est plutôt cool. Au fait, je t’ai ramené de la déco pour ici et des affaires. C’est pas en restant en jogging que tu vas séduire une fille, me taquine t-il.
Nous rions tout les deux de bon cœur. Ça me fais du bien, je commençais à avoir le cafard de cette endroit. Nous continuons de discuter de jeux vidéos, de cette charmante “Nath”. Le temps passe à une vitesse folle. Quelqu’un toque à la porte de ma chambre, laissée ouverte.
— Je suis désolée Peter mais il va falloir que ton frère s’en aille. Il est l’heure de manger et tu as art-thérapie cet après-midi. Tient, au fait, les affaires que ton frère t’a ramené. Tout est OK, m’annonce l’infirmière.
Une profonde tristesse m’envahis. Je n’ai pas envie qu’il parte, je me sens bien quand il est là. Je me lève, le raccompagne jusque la sortie.
— Reviens me voir, s’il te plait. Et sans maman, j’ai pas vraiment envie de la voir et je crois pas qu’elle veut venir.
Seth m’embrasse sur la joue et passe les portes du bâtiment sans se retourner. Je m’assois sur les fauteuil présent dans le hall.
— Peter, tout va bien ? Tu ne devrais pas être à la cantine ?
La psychologue arrive, s’apprêtant à sortir.
— Ça va. J’allais y aller justement.
Je me lève et essuies mes yeux humides.
— N’oublie pas qu’on se voit cet après-midi, avec Magalie.
Je hoche la tête et me dirige vers la cantine. Je m’installe avec Camille, qui compte les petits poix de son assiette. Une infirmière est assise à côté de lui et l’observe.
— Ça ne va pas ? demandé-je, sans grande conviction.
— Ça peut aller, répond ce dernier.
Il se décide enfin à manger son assiette. Nous ne prononçons pas un mot du repas.
Je me sens trop mal. Voir Seth m’a remonté le moral, mais son absence me pèse encore plus. Je sais qu’il souffre de la situation et je m’en veux de lui faire ressentir ça. C’est vrai, lui as eu les mêmes parents, les mêmes obstacles que moi et lui n’a pas fini enfermé dans une clinique psychiatrique car il n’est pas capable d’encaisser.
Je quitte la cantine et me précipite dans ma chambre. Une fois arrivé, je ferme la porte, les rideaux et m’allonge sur mon lit.
— Regarde toi un peu. Ton frère fait l’effort de venir te voir et toi, tout ce que tu sais faire c’est regretter. En plus, tu ne sais pas ce que tu veux. Tu veux qu’il vienne car tu te sens apparemment bien lorsqu’il est là. Mais dès qu’il part, tu redeviens le même faible qu’avant ton arrivée.
Quelqu’un toque à la porte. Je ne réagis pas. J’entends la porte s’ouvrir et se refermer. Je ne dis rien, ne bouge pas. J’ai juste envie d’être seul. Quelqu’un agrippe la chaise et la place face à moi.
— Peter, que se passe t-il ?
Il ne manquait plus qu’elle.
— Rien, Docteur. Juste un peu fatigué.
— Je ne pense pas que se soit ça. Tu allais déjà mal quand je t’ai croisé dans le hall tout à l’heure. Tu veux bien me dire ce qu’il se passe.
— Ce qu’il se passe, c’est que je fais souffrir tout le monde. Mon grand frère est obligé de venir me voir ici. Lui aussi a tellement subi, et il ne s’est pas retrouvé ici pour autant. Face à lui, je suis tellement faible.
— Tu es loin d’être faible, Peter. Tu acceptes d’être ici, de me parler et d’être vulnérable. Tu acceptes l’aide qui t’est tendu, tout en aidant, parfois, les autres. Je pense que ton frère est inquiet, et te savoir ici le rassure. Il sait qu’il ne peux rien t’arriver ici. Lui a peut-être géré les choses différemment, mais ça ne veux pas dire qu’il n’a pas été en souffrance ou qu’il n’a pas de cicatrice. Et puis, ton frère est plus grand que toi.
Je m’assois sur mon lit et j’aperçois qu’elle porte un tablier. Elle remarque que je la fixe.
— Oh non, j’avais complètement oublié.
— Ne t’inquiètes pas. Je pense que ça peut t’être bénéfique de venir en salle d’art thérapie. Peut-être que tu arriveras à mieux comprendre ce que tu ressens.
— Je vous remercie.
Je lui souris, enfile une paire de basket et la suis jusque la salle d’activité. Soraya, Camille et une nouvelle sont avec Magalie, chacun un crayon en main.
— Ah, voilà le dernier, rétorque Magalie. De ce que j’ai compris, vous avez quasiment tous fais la connaissance d’Emma. Je veux que vous l’aidiez à s’intégrer. Bon, aujourd’hui, je veux que vous me dessiniez vos émotions. Qu’elles soient positives ou négatives, nombreuses ou peu. C’est clair ?
Nous hochons tous la tête. J’ouvre mon carnet ou j’ai déjà fais quelques dessins, pendant des ateliers de ce genre. Mes pensées sont sombress, très sombre. J’attrape alors un crayon noir et je commence à dessiner. Pour une fois, mes cours de dessins me servent vraiment à quelques choses. Mon père et mon frère ne cessaient de me répéter que j’avais un talent pour l’art et j’adore ça. J’ai alors commencé à me rendre au Club Dessin de mon collège dès la 6ème. Puis je me suis inscris à un club près de chez moi car, selon ma professeure d’art plastique, j’ai un “trop bon niveau” par rapport aux autres et elle voulait que j’explore plus mes capacités.
Le dessin se fait un peu tout seul. Je suis comme le narrateur, je décris juste. Mes mains sont comme les personnages d’un roman, c’est eux qui inventent l’histoire.
Je lève la tête de mon dessin et constate que tout les autres ont fini. Magalie et le Docteur Martins me regardent, toute sourire.
— Eh bien, maintenant que vous avez fini, j’aimerais que vous tentiez de m’expliquer votre dessin. Le choix des couleurs, vos sentiments, vos pensées. Ce n’est pas un exercice facile, mais ça peut vraiment être libérateur. Qui veut commencer ?
Sans grande surprise, personne ne lève la main et tout le monde baisse la tête. Je recommence à griffonner quelques détails sur mon dessin, pour paraître occupé.
— Très bien. Je commence, propose Magalie.
— On vous écoute, rétorque la psychologue, amusée que l’infirmière se prête au jeu.
Je pose mon crayon et relève la tête, attentif aux explications de Magalie. Elle a dessinée le portrait d’une famille, habillée de plein de couleurs différentes, avec un fond très noir.
— Merci Magalie pour ce jolie portrait et cette très bonne explication.
Nous rions tous car, honnêtement, Magalie est loin d’être douée en dessin.
— Peter, à ton tour. Montre nous tes talents d’artistes, annonce l’infirmière.
— OK. Mon dessin représente un homme emprisonné dans son esprit, un peu comme une prison. Autour de sa cellule, il y a des livres.
— Tu serais capable de nous dire comment se sent cette homme ? Ou comment tu te sens, toi, d’avoir dessiner ça ?
Tout les regards sont braqués sur moi. Je sens mon cœur qui commence à s’accélérer, des gouttes de sueur commence à couler sur mon front. Je commence à trembler. A ce moment précis, je me sens comme l’homme dans mon dessin. Je perds le contrôle de la situation et de mes pensées. J'entends une voix féminine, qui me semble lointaine.
— Peter, ce n’est pas grave. Je sais que c’est un exercice difficile, et ce que tu as fais est très bien.
Je sens que perd complètement le contrôle de mon corps. J’empoigne un pot à crayon, par chance vide, que je balance en direction de Soraya. Elle se baisse et se met à hurler, ainsi que Camille et Emma. Leurs cris me fait de la peine, j'ai envie de m'arrêter, de m'excuser, mais je ne me contrôle plus. Je continue de jeter tout ce qu’il me passe sous la main jusqu’à ce que Magalie et le Docteur Martins me plaque contre un mur. Je sens leurs mains fermes sur mes bras plaqués contre le papier peint froid de la salle d'activité. J’entends la psychologue hurler pour que quelqu'un lui vienne en aide. Mais je me débats toujours plus fort. Je donne un coup de tête à Magalie. Le rouge sur sa chemise bleue attire mon attention. Son nez saigne. Je sens qu'elle a retiré l'une de ces mains de mon bras gauche. 3 autres infirmiers arrivent et 2 d’entres eux aident Magalie pour me mettre au sol. L'un est à cheval sur mon dos, tenant fermement mes bras sur le sol, un autre me tenais les jambes. Le troisième me pique le bras, et je me sens de suite épuisé. Autour de moi, tout redeviens calme. Mes yeux se ferment après quelques secondes.
*
Je me réveille difficilement. J’arrive à sentir que mon bras droit est engourdi. J’essaie de le masser avec mon autre main mais quelque chose m’en empêche. J’ouvre les yeux et découvre que je suis attaché au lit. Je commence à m’agiter. Je n’arrive pas à savoir où je suis. Ce n’est pas ma chambre. Il y a juste un lit, situé au milieu de la pièce. Il y a aussi une fenêtre qui donne sur un couloir, ou il n’y a ni affiche, ni canapé pour se détendre. Juste un mur blanc, vide. J’aperçois deux femmes passer alors que j'appelle de l'aide. On toque à la porte et j’aperçois le Docteur Martins, avec Marie, une infirmière du service.
— Bonjour Peter, comment te sens tu ?
— Ça ira mieux quand on m’aura détaché, rétorqué-je.
La psychologue fais un signe de la tête à Marie et je me retrouve de nouveau libre de mes mouvements.
— Tu es en chambre d’isolement. Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ?
— Oui, malheureusement. J’ai pété les plombs. Comment va Magalie ? Et les autres ?
— Ne t’inquiète pas. Tout le monde va bien. Le nez de Magalie n’est pas cassé. Tu serais capable de me dire pourquoi tu as “pété les plombs” comme tu dis ?
— Je ne sais pas précisément. J’ai senti que tout le monde me regardaient. Et puis, il y a le dessin que j’ai dessiné. C’est difficile à admettre mais je me sens comme cet homme, dans sa prison. C’est comme-ci que ce n’étais pas moi qui contrôlais mon corps ou mon esprit. J’étais juste spectateur. Je suis désolée.
La psychologue est heureuse de ma confession. Elle souris. Plus de soulagement que de plaisir.
— Tu viens de faire un grand pas. En reconnaissant cela, tu reconnais que tu as de l’anxiété et qu’elle contrôle ta vie. Mais c’est fini. Je vais te donner les armes pour reprendre le contrôle. J’aimerais que tu passes me voir cet après-midi. Je pense qu’il est important qu’on discute plus en profondeur de ce qu’il s’est passé.
Je hoche vigoureusement la tête. Je masse encore mon bras, qui a du mal à se réveiller.
— Ton bras risque d’être engourdi un moment. On a du te piquer pour te calmer. Les autres sont au petit-déjeuner. Tu veux les rejoindre ou tu préfères rester ici un peu ? me questionne la psychologue.
— Je veux les rejoindre. Je dois m’excuser envers Soraya, Camille et Emma. Et puis, je vais pas rester ici indéfiniment.
— Ne sois pas trop dur envers toi même, Peter. Il est noble de ta part de vouloir t’excuser. Mais tu ne contrôlais rien.
Elle me sourit, et je le lui rends. Je sors de la chambre, la psychologue derrière moi. Elle me ramène vers le réfectoire. En entrant, j’aperçois Peter, Soraya et Emma installés à la même table. Ils rigolent tous ensemble. Camille m’a remarqué. Il donne alors un coup de coude à Emma qui se retourne. Je pense que c’est le bon moment pour les rejoindre.
— Il ne voudront pas te parler, et tu le mérites. Tu as failli blesser Soraya, car tu es incapable de te contrôler.
J’arrive à la table, ou je m’assois à côté d’Emma. Un lourd silence s’installe.
— Je suis désolé pour ce qu’il s’est passé hier. Je n’ai pas réussi à me contrôler et je sais que je fais peur quand je suis comme ça. Je m’excuse, Soraya, de t’avoir jeté ce pot de crayon. Et je suis désolé de vous avoir fait peur. Je comprends que vous ne vouliez pas me parler.
Alors que je m’apprête à sortir de table, Emma me serre fort dans ces bras. Elle me murmure à l’oreille.
— On ne t’en veux pas. Nous sommes tous en difficultés ici et chacun gère ça de façons différentes.
Camille et Soraya se lèvent, et m’enlacent tous ensemble. Je me sens le plus heureux du monde, malgré la culpabilité toujours présente. Personne ne m’a jamais enlacé comme ça, même pas mon frère. J’ai l’impression que, grâce à cette histoire, je me suis trouvé des amis. Mais pour combien de temps ?
— Vous allez l’étouffer. Lâchez-le et terminer votre petit déjeuner. Et que ça saute, ordonne Marie, sur un ton jovial.
Ils me lâchent, chacun retourne à sa place. L’infirmière me donne mon plateau de petit-déjeuner et quitte la table. Nous nous mettons tous à pouffer de rire.
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