Elle sentit leur odeur avant de les repérer. Ils étaient trois contre le vent, dans la rue déserte, à l’attendre, planqués à l’ombre du dernier croissant de lune, dissimulés par les bourrasques de cette poussière noire qui lui mordait les yeux. Pas téméraires. Pas fous non plus. La rue parlait. Des corps gisants étaient trouvés au matin, sur un lit de cendres tâché d’écarlate, salement cabossés, brisés, recroquevillés bizarrement, comme pliés dans des postures qu’aucun vivant n’aurait imaginé naturelles. La rue ne les pleurait pas. Leurs mères ne les pleureraient pas. La vie de ces hommes ne valait rien. Celles qui les trouvaient se félicitaient de leur sort, elles ne seraient jamais leur victime. Elles lâchaient un juron, marmonnaient une conjuration vaine, crachaient au sol, puis abandonnaient le corps aux nuisibles. Une milice les trouverait, plus tard, peut-être, si elle ne tardait pas. Il faudrait alors en retirer la vermine, logée à coup de dents pour s’abriter d’autres charognards plus belliqueux, plus gros, chiens et chats abêtis par la brutalité de la rue affamée. Non, la rue ne pleurait plus. Elle chuchotait, par contre. Elle psalmodiait des sifflements sourds censés dépêtrer ses boyaux de la nuisance d’une douve, jinnia parasite issue des fables de vieilles folles superstitieuses. Pourtant, lorsque suintait la nuit, les vivantes barricadaient les portes, comblaient les embrasures, braquaient des regards inquiets sur leur progéniture endormie, se surprenaient à prier parfois, pour celles qui parvenaient encore à croire, ou celles qui se rongeaient les sangs à la seule crainte de s’assoupir. Un silence poisseux à figer le temps coulait sur le bled. La rue se taisait, alors.