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— Êtes-vous donc des bêtes ? rugit-t-elle, cambrée comme un gibet.

Elle marqua un temps pour goûter leurs mines déconfites.

— Vous ai-je donc dressées ainsi ? À agir comme des hommes ?

Un murmure outré anima de grimaces leurs museaux mal léchés. Une des teignes, la plus grande gueule d’entre-elles à n’en pas douter, s’offusqua :

— On n’est pas des zoommes ! N’est des femmes !

Une autre jugea opportun de la ramener.

— Les zoommes, ça vit pas en motte comme nous, ça traîne dehors comme les chiens zerrants.

— En meuuuuute, idiote ! Les zoomes, ça vit pas en meute, corrigea la plus teigne.

— C’est ce que je dis, reprit l’autre chieuse en la défiant. Les zoommes, ça viole tout ce qu’est beau. Avant, les zoommes sortaient le jour, y brûlaient le désert et le ciel, et les arbres et les animaux, mais plus maintenant, parce que weltma les chasse, qu’elle nettoie le bled de la vermine.

De toute sa froideur d'échafaud, elle acquiesçait de fierté. Les gamines lapaient ses paroles.

— Et demain ? lança-t-elle, emballée.

— Demain, y aura pratiquement plus de zoommes, reprit la chieuse toute fière. Alors y restera que des femmes, on ira chasser ceux qui restent, et le chergui, il arrêtera de colérer tout noir, et alors on sera toutes libres !

Elle sauta de son parapet, caressa la frange brune de la petiote qui venait de répondre.

— On pourra difficilement supprimer tous les hommes, tu sais, il en viendra toujours, encore et encore…

— Alors on pourrait peut-être les fermer dans des clapiers, comme les lièvres ? rétorqua la pipelette.

— Ce n’est pas possible, il faudrait beaucoup trop de clapiers, beaucoup d’eau et de nourriture qui ne reviendraient pas aux femmes.

— Yaya dit qu’on pourrait les dresser, qu’on pourrait faire des zoos de zoommes, comme ça se faisait quand elle était jeune, avec les zanimaux sauvages.

Elle accusa le choc. La vieille peau distillait ses idées rétrogrades aux mioches quand elle avait le dos tourné. Elle devrait la faire taire. La voix fluette continuait sur sa lancée. Les gamines, elles, y allaient chacune de leur avis dans une cacophonie perçante à lui dresser les poils du cou.

— Elle dit que ça peut être utile les zoommes, qu’y sont pas tous mauvais comme le diable, et qu’on peut en faire des bons compagnons, quand on les dresse jeunes comme nous. Elle dit…

— Ça suffit !

Elle avait vociféré la bave aux lèvres. La pipelette s’immobilisa, muette de peur.

— Yaya est vieille, sa mémoire n’est plus ce qu’elle était ! Elle oublie vite les choses, comme lorsqu’elle raconte des histoires, le soir, et qu’elle s'emmêle dans ses idées, ou lorsqu’elle confond les noms et les têtes. Elle a oublié que les hommes l’ont presque tuée, qu’ils ont détruit sa maison, son jardin, sa ville, ses enfants et ses amis avec leur guerre, leurs bombes et leur violence sournoise ! Elle a oublié que derrière leurs regards mielleux, se cache une affreuse bête qu’ils ne savent pas dompter, et que pas même nous, les femmes, n’avons su dresser. Ils sont dangereux. Vous devez être impitoyables ! Méfiez-vous. Ils sont traîtres, comme ces chats de rue aux minois mignons. Ils n’ont pas l’air redoutables comme ça, mais dès que vous leur tournez le dos, dès que vous montrez une faiblesse, ils attaquent, griffent et mordent, se jettent sur vous, sans cesse, à plusieurs, tant que vous résistez ! Ils vous dévorent, et ne croyez pas qu’ils attendent que vous soyez mortes…

Les petites monstres, blêmes, gobèrent le verbe dévorer d’un récital de déglutitions.

— Voulez-vous mourir ainsi ? Terminer en festin d’hommes ?

Elles secouèrent leur tête affreuse en silence. La cafteuse s’apprêtait à larmer tout blanc. Peu importe. Elle les avait recadrées à temps. Elle les toisa de toute sa hauteur, une à une.

— Vous avez des têtes affreuses ! siffla-t-elle. Je ne veux entendre qu’une seule voix à présent !

Elles acquiescèrent, tendues.

— Hier ?

— Les zoommes !

— Demain ?

— Les zoommes !

— Maintenant ?

— Les femmes !

La chieuse qui avait cafté yaya ne semblait pas se remettre de l’incident. Elle boudait la meute de sa gueule misérable. Une question semblait la tourmenter mais elle craignait visiblement de se faire reprendre à nouveau.

— Qu’est-ce que t’as, toi, encore ?

— Pourquoi…

La chieuse hésita, puis comprit qu’elle avait la parole et qu’on lui prêtait une oreille. Se tromper n’est pas une faute si personne n’est blessé. C’est ce que répétait weltma. Elle se lança.

— Pourquoi dit-on « demain, les zoommes » si demain nous devrons toujours les tuer ?

Une seconde, les pupilles dilatées des petites monstres engloutirent la lumière et les ombres. La grande sauvage se força à peser ses mots. Elle devait balayer le doute de leurs esprits confus. Elle sourit, frôla le visage caressant de la chieuse, gratta au fond d’elle les peaux mortes de compassion que le vent atomisé n’avait pas définitivement sclérosées, y trouva la réponse qu’elle cherchait.

— Parce que, vois-tu, mon chat, aujourd’hui comme demain, seul maintenant compte.

Le regard de la petite chieuse s’éclaira d’une lueur nouvelle, tandis que sa bouche formait un o délicat. Elle sourit à pleines dents, se leva et serra weltma de ses longs bras graciles de jeune mante.

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