( ☿ )
La vieille avait tort. Le chergui retenait son souffle. Le ciel blanc-gris pleurait ses flocons de poussière noire comme des peaux mortes de lépreux. Leurs reflets obsidiens s’évanouissaient, engloutis dans les gerbes de rayons rosâtres dégueulées par le soleil. Elle aurait vu plus clair par une nuit d’éclipse orageuse.
Allongée sur le toit d’un riad à l’abandon, terrée sous le manteau de particules qui neigeait depuis des heures, elle se tenait à l'affût, à surveiller les allées et venues d’un énorme palais défraîchis fortifié de murs barbelés.
La grande fauve bouffait la poussière, respirait la poussière, et transpirait de l’atome. Elle avait passé bien trop de temps dehors. Elle se moquait des conséquences. Elle croquait le marmot, féroce comme une lionne enragée à qui l’on aurait retiré ses petits. Impatiente, elle affutait ses griffes sur un muret d’adobe émietté.
La vieille avait tort, mais ça importait peu à présent qu’elle gisait dans l'entrée, grise et bleue, avec sa mine boursouflée, ses yeux ahuris et sa langue trop bien pendue toute dehors. La vieille peau… Les petites retiendraient la leçon dorénavant.
Elle avait compris tout de suite qu’un malheur s’était passé. Elle avait vu les traces de passages autour de la bâtisse, les marques sur les serrures de leur tentative d’effraction et surtout, le mur écaillé aux endroits où ils s'étaient finalement faufilés.
Elle n’avait pas eu à demander ce qu’il s’était passé. À son arrivée, ces gourdes de bonnes femmes erraient la panique aux yeux. Trop tard. Le mal était fait. Les idiotes de garde avaient dormi sur leurs deux oreilles, inconscientes du danger comme des hases domestiques emmitouflées dans la douceur du clapier… Elle sévirait, plus tard.
Elle avait seulement demandé qui manquait. On lui avait montré la vieille. On lui avait conté la scène. La petite chieuse avait merdé. Les femmes enceintes, surprises dans leur sommeil au rez-de-chaussé, avaient hurlé. La vieille peau s’était jetée toutes griffes dehors dans les escaliers. Elle avait du cran la vieille. Le temps de sécuriser la chambre et de s’armer de flissas, l’ancêtre gisait au sol et les renards avaient filé, la petite chieuse et les deux grosses dans leurs gueules fielleuses.
Les petites monstres pleurnichaient à n’en plus finir. Elle avait montré les crocs, fait taire leurs gémissements futiles, avait aboyé ses ordres de replis, puis planqué la meute à l’abris d’une cache de fortune. Elle avait mis de longues heures à remonter la piste de ces sauvages. Ils se tenaient à l’écart, loin du cœur de la médina, loin derrière les remparts, à l’orée du désert près des zones irradiées.
Le jour n’en finissait plus. Le palais dormait depuis des heures. Elle attendait la nuit. Ils finiraient par sortir, partiraient en chasse. Elle pourra intervenir, alors. Elle devra être prête. Elle devra être forte. Elle sortira la petite chieuse de ce trou à rats. Et elle détruira tout ceux qui se dresseront entre elle et la petiote. Et les futures mères aussi. Rien que deux gamines… Elle sauvera les gamines aussi. Et elle sera forte et redoutable ! Et terrible. Implacable…
Elle s’abîma dans le sommeil.
Annotations