8 – Qui a besoin d’être réconforté ?

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C’est étrange. Ils se concentrent sur Josiane, insistent pour qu’elle respire.

— Lentement, profondément… allez ma Jojo, c’est bien, détends-toi.

Ils lui expliquent une histoire d’effet miroir. Je vois pas ce qu’un miroir vient foutre dans cette histoire. N’empêche, au fur et à mesure qu’elle se calme, la P'tite en fait autant. Notre petite puce termine toute molle sur Josiane, plus par fatigue qu’autre chose. La pauvre, elle doit se demander ce qui lui est arrivé.

Une fois ses quelques bobos soignés, elle s’endore dans les bras de Josiane. Comme une seule équipe, on les suit toutes les deux jusqu’à notre chambrée. Du moins jusqu’à ce que Léonie ralentisse, la tête basse. Quand Momo s’accroche à la blouse de Josiane en suçant son pouce, elle fait volte-face et tape un sprint. Josiane semble ne pas savoir quoi faire. Je les avertis que je vais la chercher. Josiane fait un oui de la tête, mais je m’en fout de son avis.

Je retrouve Léonie dans le hall principal. Tout est de nouveau à peu près calme, comme si rien ne s’était passé, sauf près de la sortie où cela reste animé. Des engins s’y rassemblent. Cette fois-ci, pas des bus comme tout à l’heure. Ces derniers sont partis. Toujours des motos, mais aussi des camions qui tranportent autre chose que des marchandises à vendre et dont les petits trous suspects n’ont pas dû être fait sur un tournage de cinéma. Je me poste à côté de Léonie plantée comme un piquet. J’ai repéré aussi son Père Noël. Il grimpe sur une moto, attrape un casque, le tend à quelqu’un derrière lui en l’interpelant. La femme Fullmetal. Elle s’approche de lui en terminant d’enrouler une sorte d’écharpe autour de son cou et sa tête. Une de ses mains de métal balaie l’air pour refuser le casque. D’ici, ça se voit qu’il se marre. C’est lui qui l’enfile, alors qu’elle grimpe derrière lui.

On reste tous les deux comme des nouilles à regarder toute la troupe partir. Le grand noir termine tout seul, lui aussi. J’aurais pourtant pas été étonné qu’il parte avec eux. Jusqu’à ce que Léonie tape du pied, râle un coup mais gémit en même temps. Je sais pas ce qu’elle espérait, ce qu’elle attendait de ces gens-là, mais je garde mon bec fermé. L’eau dans ses yeux me montre qu’elle se retient de pleurer.

— Allez, viens… que je l’encourage doucement.

Je lui prends la main. Elle me suit. On retourne dans notre piole. Josiane est encore là. Alors que la P’tite est assise sur son lit, bien réveillée, à la suivre du regard, la femme aide Titi à enfiler son pyjama. J’ai pas réalisé qu’il était aussi tard. Les autres jouent chacun dans leur coin, certains déjà parés pour l’heure du dodo. Je m’approche d’Enzo, lui demande tout bas s’il sait pourquoi elle est encore là.

— La P’tite a chouiné quand elle a voulu sortir.

Léonie repiaffe un coup avant de se diriger vers notre cabane de tissu. J’ai bien une idée pour la réconforter. Ce serait de virer la Jojo. Mais ça, je peux pas vraiment. Alors je décide de rentrer aussi dans la cabane. J’ai pas le temps de faire passer mes jambes.

— Laisse-moi tranquille !

Toujours la trogne toute froissée, les yeux tout mouillés, repliée sur elle-même, tout qui me dit qu’il vaut mieux laisser passer l’orage. Elle fait du boudin, mais parce qu’elle est triste. Et c’est pas la grande joie chez les autres non plus. D’habitude, ça rigole, ça se chamaille, mais là, rien ! Et le souper qu’on nous amène un moment plus tard reste dans beaucoup d’assiettes. Sauf une : la P’tite. Elle mange pas autant quand on est juste nous, sans adulte. Josiane essaie bien d’animer la table, mais abandonne vite devant notre grande motivation.

Léonie n’a pas bougée de la cabane.

Après le repas, Josiane insalle la P’tite dans son lit. Une main sur son ventre, elle lui chantonne un petit air, pas fort, juste pour elle. Elle attend longtemps, pour être sûre que la P’tite s’est bien endormie.

Enfin, elle sort. Sauf qu’avant de passer la porte, elle nous dit qu’elle revient.

— Pas la peine ! que j’essaie de lui répondre, mais elle est déjà dehors.

Deux minutes après, elle est de retour. Elle tient un livre et une couverture. Elle va tout de go vers la cabane. Elle s’acroupie à l’entrée, entre à quatre pattes. Même moi ça m’intrigue.

— La journée a été difficile, hein ? Tu veux en parler ?

La réponse de Léonie est claire et nette.

— Non.

— Laisse-moi juste te lire cette histoire… Je parie que ça va te parler ! Si j’ai tord, et bien…

Titi et Momo me poussent, mais je ne bouge pas. Ils n’insistent pas et vont faire leur vie. Voilà qu’ils se mettent de la partie en enfilant la tête dans la cabane.

— On peut aussi ?

— Bien sûr ! On va se serrer un peu, ajoute-t-elle avec Théo qui s’ajoute, ainsi que les coussins et couvertures qu’elle les a envoyé cherché.

Enzo et moi, on reste dehors, mais on en profite aussi, qu’on le veuille ou non. Une histoire de bébés qui se sont sauvés pendant une fête sans qu’aucun adulte ne s’en rende compte. Un autre môme pas beaucoup plus grand qu’eux se retrouve avec tout le boulot sur le dos.

Ça rime comme une poésie. Faut avouer que c’est joli(1).

À la fin, Léonie éclate en sanglot. Cette fois, les mots de réconfort de Josiane sont pour elle.

— Mais oui, toi aussi tu est une petite héroïne. Tu t’occupes de tes petits amis, c’est beaucoup à gérer pour une petite fille. Tu est très courageuse. Et vous tous aussi. Vous prenez soin les uns des autres, les enfants, c’est… Si seulement tous les adultes en faisaient autant…

— Tu nous la relis ?

Titi a interrompu le silence qui avait suivi le soupir de Josiane.

Je suis déjà dans mon pieu quand ils sortent tous de la cabane et qu’ils vont se coucher, bordés par Josiane, qui elle-même s’installe dans un des lits à côté de celui de la P’tite. Léonie le lui a laissé et a rejoint Momo dans le sien. Ce n’est que pour ce soir, que je me dis.

Malgré ce cocon tout chaud dont je ne me lasse pas depuis notre arrivée ici, impossible de dormir. Ça tourne dans ma tête. J’ai peut-être laissé trop d’espace à cette Josiane. J’ai peur qu’elle nous pique la P’tite, je dois bien l’avouer. Mais si en plus les autres se rallient à elle…

Bon, en plus, j’ai envie de pisser. Avec tout ça, j’ai oublié d’y aller avant de me coucher.

Je me relève sans bruit, me dirige à la lumière de la veilleuse que les petits ont voulu garder cette nuit. Je vérifie sous mon matelas : mes doigts frôlent la lame. Mais en ai-je besoin, même avec ce qui s’est passé ? Ils ont agi super vite, contrairement à moi.

Ça ronfle gentiment. Aucun ne bronche quand j’enclenche la poignée. Tant mieux.

Je longe les couloirs. Un calme étrange règne. Pas un bruit, mais vraiment ! J’étais jamais sorti en pleine nuit. Ça fait tout drôle les lumières tamisées. Après ma petite affaire, je décide de jouer les ninjas. Trop énervé pour dormir de toute manière. Alors je pousse plus loin. Et à part un médic ici ou là qui s’affaire sur un chariot ou dans une chambre, je suis tout seul.

Même le hall est silencieux. J’ai pas plus de monde à éviter. Alors je quitte la partie hôpital et m’aventure du côté de l’armurerie.

Ouf ! Je me recule juste à temps. La porte d’un des petits dortoirs s’ouvre brusquement.

Un homme en sort. Je reconnais le grand noir. J’ai beau m’être applati contre le mur, je suis persuadé qu’il va me voir. Pour l’instant, il me tourne le dos.

Une voix ensommeillée marmonne quelque chose de l’intérieur de la pièce.

— C’est rien, juste un cauchemar, besoin de faire un tour, dit-il avant de refermer la porte.

Au début, il bouge pas. Puis sans se retourner, il s’en va.

Ouah, le bol !

Même si je sais pas ce que je risquais. Ça n’a pas l’air le plus méchant du coin.

Allez, j’ai envie de m’amuser. J’ai vu où il a tourné. Je prend la même direction. Et je continue comme ça : chaque fois qu’il emprunte un couloir, une fois qu’il a tourné, je passe la tête pour faire un repérage et j’avance une fois ma prochaine cachette repérée.

Je reconnais le couloir qu’il vient de prendre. Après, c’est un cul de sac. Enfin… il y a bien une ouverture, mais c’est tout étroit et pas travaillé, comme l’entrée d’une grotte cachée. Sûrement un projet d’agrandissement qui n’a jamais avancé. Et comme j’ai pas de lampe, j’ai jamais osé aller voir jusqu’où ça allait.

J’épie d’un petit coup de tête pour espérer voir où il entre, sans idée précise de ce que je ferais après.

C’est bizarre. Il s’est arrêté, juste quelques mètres avant ce fameux trou qui mène nul part. Il me tourne toujours le dos. Il se tient une main contre le mur. Je l’entend prendre une grande inspiration, puis…

Il se frotte les yeux avec son bras libre. Un reniflement, avant qu’il bifurque d’un quart de tour, s’affale dos au mur et se laisse glisser jusque par terre.

— Ça va, m’sieur ?

J’ai pas réfléchis. C’est venu tout seul. Mes jambes aussi avaient bougées toutes seules. Peut-être que le voir comme ça m’a rappelé Léonie un peu plus tôt. J’aurais fait pour lui ce que j’ai pas fait pour elle ? Je vais vraiment pas bien, moi !

En même temps, un gaillard comme ça qui pleure… Ou j’ai rêvé ?

— Hein ?… Euh, oui, merci… qu’il me répond tout perdu.

Bon ben, quitte à être là…

— Vous êtes sûr ?

— Oui oui… Je me fais du soucis pour une… Pour mes amis… Eh, tu es le jeune homme qui s’occupait de la petite équipe qu’on a récupéré, l’autre jour !

Ouah, il se rappelle ! Avec tout le monde qui a circulé dans le coin…

— Tu n’es pas couché ? qu’il continue. Tu devrais à cette heure-ci.

— Et vous ?

Ça le détend, il pouffe d’un petit rire.

— Je peux ?

Je suis gonflé, ou j’ai perdu la raison, mais ça me fait envie de me poser à côté de ce gars. Il me fait pas du tout peur, finalement.

— C’est gentil de t’inquiéter pour moi, qu’il me dit une fois que je me suis assis à côté de lui. Ils sont pas si nombreux à me poser cette question… Quelle ironie…

Je le laisse parler. Le sol est froid. Mais il fait chaud à côté de lui. Un vrai radiateur. Pourtant je le touche pas. Je suis pas si fou que ça.

— La journée n’a pas été facile pour tes amis et toi. Vous étiez là tout à l’heure. Ça va depuis ? Pas trop secoué ?

Il nous avait repéré ? Pas évident au milieu du ramdam.

— Et la petite puce, elle va mieux ? qu’il ajoute quand j’ai secoué la tête.

— Oui oui, ça va bien. Plus de peur que de mal…

— Tu veux en parler ? Tu as des questions ? Ce doit être un peu troublant tout cela, et tu as dû avoir peur.

Peur ? Oui et non. Je saurais même pas l’expliquer. J’étais pété de trouille, oui, et en même temps, j’ai tout regardé comme quand j’arrive pas à décrocher de la télé. Avec quelle facilité le blond il a tiré, et l’autre femme chelou qui avait l’air de s’en ficher royal de ce que devenait les autres gens autour.

Comme je dis rien, il continue.

— Moi je suis triste que des enfants aient assisté à une telle scène.

— Il est mort, l’énervé ?

— Le monsieur qui a fait peur à tout le monde ?… Je n’aime pas mentir aux enfants. Alors oui, il est mort.

— C’était un méchant alors ?

— De notre point de vue, oui. Je ne suis pas sûr que lui t’aurait répondu la même chose. Pourtant, il allait faire quelque chose de mal.

— Il allait tuer quelqu’un, c’est ça ?

— Je ne sais pas si on s’est trompé, c’est ce qu’on a cru en tout cas.

— Vous et ceux qui l’ont tué ?… Mais... si tuer c’est mal, ils sont méchant aussi ?

— Je dirais que… Si on les juge vite, ou pour ceux qui seraient du genre à faire du mal à une autre personne, oui, ce sont les méchants. Mais pas pour moi. Ce sont mes amis, tu sais. Ils ont fait un choix. Ils cherchent à protéger, tu comprends… pour éviter qu’un malheur arrive.

— Donc…. Un adulte peut fait du mal à un autre s’il a fait de vilaines choses ?

— Franchement… On ne devrait pas être autorisé à agir comme cela. C’est juste que parfois, cela arrive. J’espère qu’on pourra très vite ne plus le faire.

Bon, le type est cool avec ses amis, mais il dirait quoi si je lui avouais là maintenant que j’ai tué une vieille à coup de pelle ? Je sais pas si elle est morte, mais peut-être que si ? Et qu’en plus j’ai…

— Mais… j’hésite à me lancer. Et si un enfant fait des vilaines choses ?

Il prend son temps pour me répondre.

— Je dirais que... Un enfant n’est qu’un enfant. Les adultes autour de lui son responsables de cet enfant. De tout : sa santé, son bien-être. Donc aussi de ce qu’il fait.

— Non, mais s’il est tout seul, l’enfant, qu’il choisit, comme vos amis l’ont fait, de faire une très vilaine chose ?

— Mmh… Le vrai problème n’est-il pas que cet enfant se retrouve seul ? Sans personne qui prenne soin de lui ? La violence, c’est déjà compliqué à gérer pour des adultes. Nous voudrions faire mieux, mais nous ne sommes pas parfait… Personne ne l’est…

J’arrive plus à parler. Lui aussi reste muré dans le silence. J’ose plus le regarder. Les mots sortent toujours pas. Et puis, est-ce que je dois vraiment être honnête ? Il semble l’avoir été, mais à quel point je peux avoir confiance ?

— Tu veux une recette qui peut aider à faire fuir les mauvaises pensées et les cauchemars ?

Ouah ! J’ai failli sursauté.

— Il y a du manger qui peut faire ça ?

— Non, pas de la nourriture, qu’il me répond en rigolant. Enfin, pourquoi pas, mais je pensais plutôt à une astuce. Moi, quand je suis triste, je me rappelle les bons moments, les calins et les rigolades avec ma famille par exemple.

— Vous avez des enfants ?

— Oui, deux garçons. Mon ainé doit être à peine plus jeune que toi. Et toi, tu as des bons souvenirs ? Avec tes amis ? Vous avez vécu ensemble ces derniers mois, à ce que j’ai cru comprendre. Il y a eu des moments pas facile, mais aussi des chouettes, non ?

— Ah ouais ! Avec le Papé aussi.

— Tu veux bien m’en raconter ?

(1) A quatre pattes les bébés sont partis / Peggy Rathmann

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