9 – Une belle promesse ?

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C’est vrai que j’ai coulé des jours heureux chez le Papé. Avec tous les autres, au fil du temps, je suis redevenu un gosse comme les autres. Rire, jouer, dormir, manger, rien d’autre à penser. La plupart du temps.

Ce n’était d’ailleurs pas toujours aussi calme que lors de mon arrivée.

Le Papé veillait sur nous. À ce qu’on soit propre, des dents jusqu’à l’espace entre nos doigts de pieds. À ce que nous ne nous baladions pas en pyjama toute la journée. A ce qu’on ne se couche pas trop tard. Il nous enquiquinait même pour que nous suivions des leçons. La première fois, j’ai cru qu’il se moquait de moi. Le monde avait tourné la boule, je voyais pas pourquoi on devait encore s’embêter avec des maths et de la lecture.

— Tu croyais quoi ? Hein ? C’est pas parce que les écoles ont fermé que j’vais te foutre la paix. Pas question d’avoir des ânes bâtés chez moi, ça non !

Les autres en pleuraient de rire derrière.

J’ai pas eu envie de pleurer longtemps. Quand il m’a demandé de calculer le poids du cerveau d’un imbécile, je l’ai élu meilleurs prof du monde dans ma tête.

Les jeux, nous avons complété ce que le Papé avait déjà avec ce que nous trouvions, écumés dans les habitations visitées et abandonnées, ou des créations fait maison, de bric et de broc, au gré de l’imagination des uns et des autres. Avec du tissu à rideau bien solide, les grands ont fabriqué une balancoire pour les plus petits. Momo rayonnait de joie dès que ses fesses s’y installaient.

La longueur des couloirs du bunker permettait de belles courses en mini-vélos. Tous les recoins obscures enjolivaient les parties de cache-cache. Même les ainés participaient. Plus de séparation avec les grands faisant bande à part, “trop grands” pour s’amuser à ces enfantillages. Au milieu des fous rires, on avait tous le même âge.

Des moments plus sérieux s’imbriquaient dans ces journées sans fin. Le Papé avait bien organisé les choses pour démarrer, mais plus il y avait d’enfants, plus il s’avérait nécessaire de compléter les stocks, au moins en nourriture et vêtement. Les trois ados s’en chargeaient jusqu’ici, alors que le Papé allait de son côté pour s’occuper des ses points-jardin, comme il appelait cela. Il partait jamais en même temps que les grands, pour pas que les plus jeunes fassent des bêtises. Question de sécurité. Léonie se postait à la tour de guet, relayée par les petits qui tenaient moins longtemps. Un rôle amusant, mais dont je comprenais l’importance. J’était suffisament grand pour cela. Aussi, alors que je voulais me rendre utile, c’est le rôle qu’on m’a proposé.

À ma première montée, ça m’a fait un effet ! C’était bluffant. Une sorte de couvercle en métal noir surplombait notre tête, avec des ouvertures régulières pour observer les alentours. Avec les jumelles, c’était encore mieux. Je pensais pas qu’on pouvais voir d’aussi loin. On était au milieu de nulle part. Alors aller là-dessous, ça avait comme un petit goût d’aventure.

Le couvercle pouvait s’ouvrir, mais sauf urgence, cette action était strictement interdite ! Un joli arrangement herbu et terreux le camouflait à l’extérieur. Un secret des plus précieux ! C’était notre responsabilité que de poursuivre la mission. Notre sécurité. Je l’ai appris lors d’un repas où j’ai insisté pour participer aux sorties. J’y ai bien chargé mes arguments, et je n’étais pas le seul.

— Pour preuve, Papé, m’avait défendue Fredo, il est resté bien plusieurs semaines dehors, tout seul, et il est bien là avec nous, non ?

— Et il pourrait se faufiler dans des passages trop petits pour nous, avait ajouté Nico, mon autre avocat. Même Elisa doit se plier dans la cabane dans l’arbre.

— Mouais, on verra.

— Au fait, que je me suis lancé, comment vous l’avez trouvé, cet abri ?

— Je l’ai trouvé, c’est tout, m’a-t-il répondu sans cesser de manger sa soupe.

— Ah ! Mon Papé et son humilité légendaire. Un de ses vieux copains l’a trouvé par hasard, lors du débroussaillage d’un terrain qu’il venait d’acheter. Il a rien dit à personne, sauf à mon Papé. Tu vois, il a une grande qualité, mon Papé : il sait garder les secrets !

— L’écoute pas. Mon copain, il voulait juste en faire son petit coin rien qu’à lui. Mais je l’ai vu venir, le merdier. Je l’ai vu venir… Et il m’a écouté, et j’en ai hérité. C’est tout.

— Ça veut dire quoi hériter ? avait demandé Titi.

— Ça veut dire que l’autre a clamsé et que…

— Nico !

— Quoi ?… Ah oui, pardon ! Pas de mots méchants devant les enfants. Son copain, il a rejoint les anges, ça va, t’es content, le vieux ?

— Nico, qu’est-ce qu’on va faire de toi…

— Ça va, Papé, il a rien fait de mal ! le défendit Elisa avant de reprendre pour nous : son copain, au Papé, il avait pas d’enfants. Alors il avait prévu que quand il mourrait, mon Papé en deviendrait le propriétaire du terrain, et donc de ce bunker.

— Ouah, t’es savante, Elisa, s’extasia Momo.

— Et ça c’était une sacrée bonne idée, le vieux, réagit Nico. Et la deuxième, c’est quand le Papé s’est fourré dans le crâne qu’il pourrait sauver les orphelins du quartier.

— Tout ça grâce à mon vieux copain ! Sans lui, vous seriez pas là, et moi non plus.

Elisa, sa petite fille, avait été la permière, bien sûr. Et après un petit tour du paté de maison, ou plutôt de barres HLM à ce que j’ais compris, la troupe s’était agrandie. La P’tite en seconde, trouvée par le Papé alors qu’ils cherchaient Fredo, un ami d’Elisa, puis Nico, ami de Fredo qui savait où il pourrait le trouver. Momo, Léonie et Titouan furent des enfants errants récupérés plus tard.

On s’était tous un peu raconté, mais pas grand-chose de plus, comme si cela ne comptait plus. Tous perdus, abandonnés, aux parents disparus, évaporés (sauf Nico qui avait préféré fuir cette dégénérescence comme il disait, sans qu’on sache pourquoi), mais l’important était de vivre. Et on vivait bien. Il y avait tout ce qu’il fallait à l’intérieur. Un stock de conserves et de bidons d’eau incroyable. Une réserve de lampes solaires à n’en plus finir, alcool à brûler et même bouteilles de gaz qui nous assuraient lumière, cuisine et chauffage. Et des toilettes sèches pour le compost, car le Papé voulait que nous mangions des bons légumes frais.

Les légumes servirent de raison ultime pour organiser de grandes virées tous ensembles, car à force de rester enfermer, les petits devenaient intenables. Après avoir trouvé un endroit à l’abri des regards et pas trop loin de notre nid, on s’y est tous mis. Une école à ciel ouvert, qu’il appelait ça, le Papé. Et les grands apprenaient aussi. Quand ils ont déniché quelques vaches dans un pré, Nico a découvert combien une vache, ça courait vite !

— À mon avis, c’était un taureau, lui avait répondu le Papé, qui regrettait d’avoir loupé cela, mais qui reprit vite son sérieux. Je soupçonne que si ces vaches se portent bien, c’est qu’il y a quelqu’un dans le coin qui s’en occupe. Nico, Tu me montreras où c’est, d’accord ?

— Tu veux pas emmener Fredo, plutôt ?

— Pourquoi ? Ça t’amuse de t’occuper des petits maintenant ? Ou c’est pour rester seul avec ma petite-fille ? Ne me prend pas pour un idiot, je te prie. Et tu verras, tu perdras pas au change. J’ai même comme dans l’idée que tu auras l’occasion d’apprendre à tâter des tétines en toute délicatesse.

— Eurk, Papé ! s’était écrié Elisa, alors que Nico paraissait tout bizarre et que Fredo tournait rouge tomate derrière sa main qu’il avait plaqué contre sa bouche.

J’ai pas compris un traitre mot, ni pourquoi ils avaient réagit comme ça. Quand j’ai raconté ça à Mahdi, il a sacrément rigolé.

— C’est de l’humour de grand, qu’il m’explique sans plus de précision. Et alors, il y avait quelqu’un ?

— Oui. C’était un monsieur tout seul. Le Papé m’a emmené aussi, autant pour me tester que pour rassurer la personne. Il paraît qu’on se méfie moins des gens quand ils sont avec des enfants. Le monsieur était tout content de pouvoir partager ce qu’il avait, et on a eu du beurre et du fromage pour tout l’hiver. Et le lait qui sort du pis de la vache, ben c’est pas bon !

— J’aurais bien aimé le connaître, ton Papé, que j’entends un moment plus tard.

J’ai plus envie de me rappeler le Papé, Elisa et tous les autres. J’ai comme envie de bouder ou… je sais plus.

Un autre moment plus tard, j’ai bien chaud. Je flotte dans une bouillotte à la température idéale. La bouillotte a le visage de papa. Il me ramène dans mon lit. J’ai dû encore m’endormir devant la télé, capricieux que je suis de vouloir jouer les grands. Il me pose, ramène ma couette sur moi. Mais c’est plus papa.

— Tout va bien, mon grand. Dors maintenant, il est tard.

Mes yeux lui obéissent. Ce qui ne m’empêche pas de reconnaître la voix de Josiane.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Rien de grave. Je te ramenais juste un petit bougre baladeur. Un brave p’tit gars, ma foi.

— Hihi ! Maman !

Pas un appel, pas une demande, l’affirmation joyeuse d’un enfant qui s’amuse.

Là, j’ai rouvert un œil. Théo. La journée, il cherche sa mère partout, parce qu’il ne se rappelle plus à quoi elle ressemble. En fait, elle se cache dans ses rêves. C’est pas juste. Il devrait rêver éveillé la journée, il la retrouverait plus facilement. Ou au moins, il serait moins malheureux après toutes les fois où ses mamans espérées n’étaient pas sa maman.

Josiane se lève. Elle remet sa couverture en place, lui caresse affectueusement les cheveux. Puis elle se dirige vers la P’tite, la mate tel un bijou précieux.

— Tu sembles t’être attaché à eux, dit le type.

Elle fait chut avec un doigt sur la bouche. Les deux adultes semblent se mettre d’accord par signe et sortent de la pièce en laissant la porte légèrement entrouverte. Dans l’obscurité revenue, je saute du lit en mode ninja, me colle derrière la porte. Comme je m’y attendais, ils restent là pour discuter.

— Est-ce que nous avons des nouvelles de leurs parents ?

La Jojo lâche un gros soupire.

— La plupart sont même incapables de nous donner leur nom de famille ou la ville où ils vivaient…

— Alors j’espère que ce projet de base de donnée génétique aboutira. C’est une bonne idée.

— Pas sûr dans certains cas… Cette petite, qu’elle continue devant le silence surpris de son compère, personne de censé ne la reconfierait comme cela à ses vrais parents. Les signes de maltraitance sont avérés.

— Ah oui ?

— Défaut de soins et d’affection dans la prime enfance. J’imagine cette adorable puce toute seule dans son berceau avec personne qui vient lui parler ou même la toucher, et ça me… ça me débecte !

— Mmh, je vois. Ce n’est peut-être pas cela qui s’est passé. C’est souvent plus compliqué qu’on ne le croit.

— Je sais, mais… La neuro l’a vue tout de suite. Maïa nous a conseillé de beaucoup la stimuler. Elle a déjà eu des cas avec une collègue qui les drolotaient comme des bébés, avec des résultats assez étonnant. Elle doit avoir seulement deux ans, et demi tout au plus. Cela peut aisément se rattraper, mais cette enfant aura besoin d’être accompagnée toute sa vie.

— Ce que nous devrions faire pour tous. Que ce soit les nôtre ou ceux-là, les enfants sont notre richesse. Merci de prendre soin d’eux… Tu sais, si tu veux, tu peux partir, tu pourras leur consacrer beaucoup plus de temps qu’ici.

— j’aimerais bien… Mais seule, je ne peux pas m’occuper d’eux tous.

J’aurais dû le parier. Elle veut juste la P’tite ! J’ai bien compris qu’elle lui veut pas de mal, au contraire. Mais pas question qu’on nous sépare. Et puis… Et nous, on a fait du mal à la P’tite ? Où on l’aurait pas assez aider ? Parce qu’elle était déjà spéciale chez le Papé.

— Tu ne seras pas seule, tu le sais bien. Toute une communauté peut vous aider.

— Oui, je sais. Je connais la maxime : nous sommes tous responsables les uns des autres. Cela reste à voir au long terme. Et puis, il y a encore tellement à faire, non ? La prochaine mission, par exemple, vous allez faire quoi ?

— Disons qu’il s’agit de dénicher et de se débarrasser d’une probable chausse-trappe.

— Ah oui ? Et avec quels dégâts humains derrière ?

— J’entends la critique. C’est juste que cela s’amuse déjà à s’entre-tuer, hélas. Nos compagnons ne font qu’accélérer les choses. Le prix de nos actes, nous le paierons plus tard. Et si ce prix consiste en des vies épargnées, au final, pourquoi pas ?

— Quelle amertume ! Mahdi, tu as l’air épuisé.

— Tiens, la deuxième fois qu’on se préoccupe de moi, ce soir. Mais je ne peux pas l’être, fatigué. Nous n’en sommes qu’au début. Et c’est moi qui en fait le moins !

— Eh bien, ça c’est de l’autopersuasion ! finit par répondre Josiane après un silence.

— Pardonne-moi. Je dis des bêtises. Ja sais que certains ont un comportement quelque peu… discutable…

— Quelque peu, en effet !

Son ton reste plus doux, malgré le piquant de la remarque.

— Pas sûr que je parvienne à les calmer, je te promets rien…

— Tu viens de dire que c’est pas le moment.

— Non. Je t’assure qu’on a besoin d’eux… Je ferais d’ailleurs mieux d’aller dormir moi aussi, si je veux être en forme quand ils passeront me récupérer.

Ni une ni deux, je décide que c’est le bon moment pour retourner dans mon lit et jouer les enfants sages. Assez instructif, leur petit échange. Encore des reproches sur les actes de certains d’entre eux.

Je suis pas le mieux placé pour les juger.

Je suis peut-être même le mieux placé parmi eux.

Mais est-ce que mes petits sont en sécurité avec eux ? Ils nous ont protégé, après tout…

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