Chapitre 10
La vision ondulait comme de l'eau lorsqu'on la touchait. Trois silhouettes regardaient la princesse loruléenne et le sorcier aux cheveux roux s'embrasser. Celle qui était la plus proche de la vision, une femme sculpturale avec de longues tresses blanches et un nez proéminent, retira sa main en souriant doucement. Pendant un bref instant, elle ressentit de la joie, malgré les ricanements des deux sorcières minuscules derrière elle.
— Comme c'est touchant. Ne pleure pas, Fayre ! se moqua Koume, l'une des sorcières.
Fayre n'avait jamais vu la princesse exprimer des émotions aussi crues, mais c'était le sorcier qui attirait la majeure partie de son attention. Il portait de beaux vêtements de coton et de soie, comme s'il était lui aussi un membre de la royauté. C'était un contraste frappant avec le tissu usé qui composait ses propres vêtements et ses bijoux de bois et de billes.
Fayre le suivait dans ses visions depuis qu'il avait huit ans, lorsqu'elle l'avait vu arriver au château avec beaucoup de tristesse. Un homme se trouvait à côté du garçon. Ils étaient clairement père et fils car ils partageaient les mêmes cheveux roux épais, mais c'était là que s'arrêtaient les similitudes. L'homme était d'une apparence assez classique et masculine, tandis que le petit garçon pouvait presque passer pour une fille avec sa silhouette élancée et ses cheveux longs. Une femme âgée apparut de l'intérieur du château pour les saluer. Elle pressa quelques roupies dans la main tendue du père, et sans même un au revoir, il sourit et tourna les talons. Le garçon ne cria pas, mais resta simplement là, déconcerté. La femme âgée s'avéra être la servante de la reine, et le but du garçon au château devint bientôt clair, car il semblait qu'elle le formait pour prendre sa place un jour. La reine attendait elle aussi un enfant, et bien que son état soit fragile, elle avait un côté méchant, traitant souvent le garçon avec cruauté. Fayre vit que cela brisait le cœur de la vieille femme. Pourtant, malgré sa grande loyauté envers la reine, elle n'avait jamais jeté le garçon dehors, supportant même le poids des longues tirades de la reine. Pour cela, Fayre était reconnaissante et mit de côté l'envie qu'elle avait initialement nourrie envers la femme. Au fil des années, le jeune sorcier montra une forte affection pour la fille de la défunte reine, et ils tombèrent naturellement dans leurs rôles. Fayre s'émerveillait souvent de la façon dont une princesse si jeune pouvait diriger le royaume, mais elle pouvait aussi voir que le sorcier lui permettait de le faire, inculquant peut-être à la jeune fille son immense confiance en elle. Et maintenant, il était clair que leur relation était plus que simplement une princesse et un domestique, comme Fayre le soupçonnait depuis un certain temps.
Fayre entrouvrit les lèvres pour parler, faisant de son mieux pour rester impassible, mais elle fut coupée.
— Que crois-tu qu'il lui ait dit ? Tu peux sûrement le lire mieux que nous, demanda l'autre sorcière, Kotake, sincèrement curieuse.
— Je... je crois que c'était : 'Je t'aime', dit Fayre.
Mais elle en était plus que sûre.
Le sorcier arborait souvent une expression suffisante. Il prenait de haut tout ce qui l'entourait. Mais il y avait aussi la façon dont il regardait la princesse. Il la regardait souvent quand elle ne regardait pas, et souriait d'une manière sincère où Fayre ne voyait aucune prétention ou condescendance comme il aurait pu le faire avec d'autres. Elle le voyait aussi dans la façon dont il brossait les cheveux de la princesse ou lorsqu'il appliquait une douce couleur lavande sur ses lèvres et ses paupières - si soigneusement. Parfois, après que la princesse soit tombée dans un profond sommeil, il déposait un unique baiser sur son front. Et si Fayre se concentrait simplement sur ces moments, elle pouvait presque oublier ce que les sorcières lui avaient dit ou même le faire passer pour les délires de deux vieilles toupies.
Koume émit un grognement frustré.
— À ce rythme, il ne s'emparera jamais des pièces de la Triforce. Je ne comprends pas. Les détenteurs de l'Espoir et de la Raison sont juste sous son nez, à la vue de tous !
D'un mouvement du poignet, elle fit éclater la vision, déversant de l'eau claire sur l'estrade du temple et le long des marches. C'était peut-être l'eau la plus pure du Marais des Démons.
Le sourire de Fayre disparut. Elle commença à descendre de l'estrade.
— Merci de m'avoir permis de le revoir une fois de plus...
— Ohohohoho, ça me brise le cœur de voir une mère séparée de son enfant, gloussa Kotake. Tu n'es pas d'accord, Koume ?
Koume ignora la question.
— En attendant, nous devrions continuer à planifier notre vengeance sur son père voleur. Qu'en dis-tu, Fayre ? Peut-être devrions-nous le brûler jusqu'aux os, ou alors le geler jusqu'à l'âme ? Quelle est la punition appropriée pour avoir vendu ton Yuga à la famille royale ?
Il était vrai que Fayre détestait cet homme pour ce qu'il avait fait. Il lui avait pris tant de choses en une seule journée : sa place dans sa société, sa fierté, sa joie et, par dessus-tout, son fils. Le jour où il s'était présenté dans le Marais des Démons sans prévenir et sans y être invité, Fayre était passée du statut de mère du futur roi à celui de personne inconnue. Comme les hommes extérieurs n'étaient pas admis dans leur village, c'était la première fois que Yuga rencontrait son père. Il avait exprimé sa désapprobation quant à la façon dont son fils était élevé et demandé à Yuga s'il voulait l'accompagner. Fayre avait supplié Yuga de reconsidérer sa décision, mais il ne l'avait pas écouté . Yuga s'était souvent plaint de l'horreur du marais, il n'en fallut donc pas beaucoup pour le convaincre de partir. Malgré ses supplications, elle était impuissante à empêcher son départ. Fayre se tourna donc vers celles dont elle savait qu'ils ne laisseraient pas Yuga partir si facilement, acceptant enfin de coopérer avec elles. Bien que la tristesse et la colère de Fayre persistaient, cela lui faisait froid dans le dos de savoir que les sorcières étaient toujours aussi déterminées à se venger. Compte tenu de tout ce qu'elle avait vu, Yuga avait peut-être eu la vie meilleure que son père lui avait promise.
— À quoi cela servirait-il maintenant ? demanda Fayre, une pointe de défi dans la voix.
Koume agita la main avec dédain et continua à bavarder avec sa sœur jumelle, ramenant la conversation sur Yuga et la princesse.
— Nous devons prendre les choses en main. Regarde à quel point la situation est périlleuse pour la famille royale. La princesse est la dernière de sa lignée. Si nous pouvons simplement nous débarrasser d'elle et du héros, tout sera à nous, y compris Sa Grâce.
Les sorcières éclatèrent de rire.
Fayre n'en croyait pas ses oreilles. Avant qu'elle ne puissent la faire taire, Fayre éleva la voix et répondit sèchement :
— Si vous portez la main sur elle, Yuga...
Une explosion d'énergie paralysante la frappa, la renversant en arrière. Elle atterrit sur les marches menant à l'estrade avec une telle force que cela lui coupa le souffle. Elle haleta pour reprendre son souffle, sa respiration était brusque et laborieuse. Elle essaya de s'asseoir, mais cela s'avéra impossible. Tout ce qu'elle pouvait ressentir était une douleur sans limite. Elle sentit tomber, tomber alors que tout s'estompait.
— Pauvre Fayre, bête et naïve. Nul doute que son désir pour la Triforce l'emportera sur tout cela - avec le temps. N'oublie pas ce qu'il est.
La voix de la sorcière devint lointaine et Fayre avait du mal à suivre la conversation. Koume abandonna son ton sévère, s'adressant à sa sœur.
— Ceci dit, il est devenu un très bel homme. Sa Grâce est de loin le plus beau de tous les mâlesnés dans le Marais des Démons au cours des 500 dernières années !
— 500 ans ? Je n'ai vu que quatre générations de rois du Marais des Démons, interrompit Kotake.
— Oh, tais-toi, idiote. Nous sommes des jumelles ! souffla Koume.
— Eh bien, je ne suis certainement pas assez vieille pour me souvenir de cinq générations de rois du Marais des Démons.
— Tu es sénile, Kotake !
Alors que les deux sorcières continuaient leur querelle, tout devint noir pour Fayre.
Mon fils n'est pas leur marionnette...
Fayre se réveilla, toujours étalée sur la pente ascendante des marches. Sa tête lui faisait mal. Les sorcières n'étaient nulle part en vue. En se relevant, elle découvrit qu'il lui fallait un grand effort pour marcher. Elle se traîna dans les couloirs jusqu'à ce qu'elle parvienne à sortir du temple, se sentant aussi décrépite que les restes préservés des anciens rois qui bordaient les couloirs du temple.
À l'extérieur du temple, elle descendit les anciennes marches de pierre et entra dans le village. Une épaisse couche de brume s'élevait des eaux troubles. Le marais des Démons était une série de rivages boueux, reliés par de simples ponts en bois. Parfois, les femmes voyageaient en canoës là où la profondeur de l'eau le permettait. Fayre entendait au loin les rires des autres sorcières. Elle ne pouvait se résoudre à les rejoindre. Elles ne pouvaient pas comprendre l'immense sentiment de perte qu'elle éprouvait. Ses épaules s'affaissèrent puis elle s'effondra, cachant son expression lésée avec ses mains. Elle scruta les profondeurs obscures, reconnaissante que son reflet ne puisse pas être révélé.
Certaines femmes préparaient leur voyage en ville pour trouver un compagnon. D'autres élevaient leurs filles ou perfectionnaient leurs compétences en sorcellerie. Elles organisaient souvent des rassemblements et des célébrations. Les festins étaient simples, mais ils compensaient par des divertissements. La musique flottait souvent dans l'air nocturne tandis que les sorcières plaisantaient entre elles. Un sujet commun de leurs plaisanteries était leurs voyages en ville et les hommes qu'elles avaient rencontrés.
Toutes les femmes de Misery Mire se considéraient comme des sœurs, même si elles n'étaient pas liées par le sang. Tous les cent ans, un homme naissait dans leur société et devenait leur roi. Toutes les femmes espéraient être la mère de cet enfant. Alors, quand Fayre avait donné naissance à un fils, elle n'en avait pas cru pas ses yeux, et la sage-femme non plus. Le chaos éclata peu après. Une fois la célébration terminée, Fayre avait reçu deux visiteuses inattendues : Koume et Kotake. Elles se présentèrent comme les matriarches de Misery Mire et les véritables figures d'autorité, exigeant qu'elle leur remette son enfant pour leurs propres intérêts. Le ricanement triomphant des sorcières emplit Fayre d'une appréhension qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant. Elles avaient été très énigmatiques, bien qu'elles lui aient dit des choses sur Lorule qu'elle n'avait jamais sues. Mais le pire était tout ce qu'elles disaient sur son nouveau-né. Était-il vrai que le bébé endormi qu'elle tenait dans ses bras avait autrefois mené une guerre contre une déesse à une époque révolue ? L'idée suffisait à ébranler sa sérénité habituelle. Pourtant, elle voulait simplement passer plus de temps avec lui. Il lui fallait du courage pour les refuser, mais elle ne s'est pas laissée décourager. Elle a convaincu les sorcières de laisser son enfant rester avec elle un peu plus longtemps. Elles l'avaient laissée tranquille, et Fayre n'a repensé à l'incident que quelques années plus tard...
Fayre regarde son fils de loin tout en remuant un grand chaudron de soupe. Il a une superbe chevelure couleur de feu, dont elle s'occuper pendant des heures. Il n'aime pas jouer avec les autres enfants, alors elle lui offre des crayons et de la peinture pour jouer. Elle lui a même composé une berceuse, chantant sa perfection. Elle est la femme la plus heureuse du Marais des Démons, et peut-être de tout Lorule.
Il dérange encore les cocottes aujourd'hui. Il a trouvé un bâton ce matin, et maintenant il pique les pauvres volailles avec. Elle lui avait dit une douzaine de fois :
— Ce ne sont pas des animaux de compagnie. Ce ne sont pas des jouets. Respecte-les et ils te respecteront.
Mais ses paroles de sagesse semblent être tombées dans l’oreille d’un sourd. La veille, il avait renversé un bocal en verre rempli de peinture sur l’une des cocottes, et cela lui a pris une heure pour tout nettoyer.
— Yuga, laisse les cocottes tranquilles, mon chou.
— Non ! rétorque le bambin.
— Si tu ne m’aides pas, tu n’auras pas de dîner.
Elle ment, bien sûr.
— Non !
Elle soupire en essuyant la sueur sur son front. Cuisiner dehors dans cette atmosphère humide n’est pas une tâche aisée.
"Non" semble être son mot préféré aujourd’hui.
— Tu sais, le futur roi du Marais des Démons doit dire plus que juste "non", lance-t-elle d’un ton taquin.
Puis elle entend quelque chose qui lui fait tout lâcher. La longue cuillère en bois s'enfonce dans le bouillon épais, mais peu lui importe. C'est le son le plus terrifiant qu'elle puisse entendre à ce moment-là - le son d'une seule cocotte qui chante, puis le silence, suivi d'un chœur de gazouillis furieux.
Son cœur fait un bond alors qu'elle file vers l'enclos des cocottes. Dans une cacophonie de chants, de gloussements et les cris stridents de son fils, elle peut sentir l'adrénaline qui se répand dans ses veines. Il est bien connu que les cocottes sont capables de picorer à mort un homme adulte s'il ne peut échapper à leur colère.
Lorsqu'elle atteint l'enclos, elle craint le pire. Il y en a tellement. Elle charge un orbe d'énergie dans sa main et le lance vers la horde. Cela s'avère juste suffisant pour disperser les oiseaux. Elle agite ses bras, se frayant un chemin à travers les cocottes furieuses, qui ont commencé à l'attaquer.
Elle aperçoit enfin son fils, roulé en boule à même le sol. Heureusement, ses vêtements lui offrent une certaine protection contre l'attaque. Sans perdre le rythme, elle ramasse son enfant et court aussi vite qu'elle le peut vers leur petite hutte. C'est comme si son attaque magique n'avait fait que rendre les coucous plus agressifs. Ils la suivent maintenant, leur vengeance n'étant pas satisfaite. Ils la picorent sans relâche, perçant la peau de ses bras et de ses épaules exposés. Elle hurle alors que du sang commence à couler de ses blessures.
Elle franchit le seuil de la hutte et claque la porte derrière elle. Elle prend un moment pour reprendre son souffle, presque en larmes. Le gloussement furieux devant sa porte commence à s'atténuer.
Elle le pose sur un comptoir, essayant de retrouver son calme. Elle remplit une bassine d'eau et commence à l'inspecter pour voir s'il est blessé. Ses yeux sombres se posent sur les siens, remplis de larmes, mais il ne dit rien. Sa peau est sans une seule égratignure. Même ses mains, qui ont été exposées à l'attaque, sont indemnes.
Comment est-ce possible, se demande-t-elle. Il n'y a aucun moyen de l'expliquer... sauf...
Cela pourrait-il avoir quelque chose à voir avec ce symbole sur sa main ?
D'après ce que Fayre avait pu comprendre, c'était la principale raison pour laquelle les sorcières le voulaient tant. Elles avaient dit que c'était un morceau de la Triforce. Elles étaient assez âgées pour savoir ce genre de choses, alors elle ne les a pas interrogées.
Après l'avoir calmé, elle le met au lit. Elle va laver le sang qui macule sa peau et ses vêtements. Une fois qu'elle a pansé ses blessures, elle retourne le voir. Il s'est endormi, suçant son pouce - avec la même main qui porte cet étrange symbole doré.
"""N.d.T : Pour ceux qui liraient ceci après la publication de mon roman Lorule - La quête de la beauté, oui, j'ai repris cette scène des poules, parce que je l'aime beaucoup. TLoH a est ma principale inspiration pour m apropre fic, donc j'y ai repris quelques éléments, dont le nom d'Embla ou l'idée des Twinrovas de Lorule."""
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