Chapitre 16
Les torches qui bordaient la salle jetaient une lueur étrange sur les hommes qui se tenaient devant les appartements de la princesse endormie. Le serviteur de la princesse regarda le jeune homme avec haine, voyant la même émotion dans le regard émeraude glacial du héros. Le héros de Lorule portait un gros bracelet en or autour de son poignet – le même qui avait disparu du trésor. Les soupçons de Yuga se confirmaient.
— Alors tu as bien le bracelet... et tu le portes pour te protéger de moi. Toujours un lâche, et maintenant un voleur. Est-ce que ton oiseau l'a volé pour toi ? Chaque jour qui passe nous éloigne de la lumière de Din.
— Je pensais qu'elle commençait enfin à entendre raison quand elle m'a permis de garder ce bracelet. Mais au lieu de suivre mon conseil, elle risque sa réputation, et même son propre royaume, pour un bâtard inutile comme toi. Je sais qu'elle va écrire ce discours d'excuses en ton nom. Elle doit penser que je suis tellement crédule.
Lavio soupira.Yuga se sentit déstabilisé. Pas parce Lavio avait parlé sans dédain ni colère, non, mais pour une autre raison.
Comment Hilda avait-elle pu donner à Lavio ce qui lui revenait de droit ? Pire encore, le plan d'Hilda était déjà en train de s'effondrer. Il lui fallut beaucoup de volonté pour ne pas élever la voix ou la main.
— Depuis combien de temps nous suivez-vous ? demanda sèchement Yuga .
— Assez longtemps. Si Shiro me crevait les yeux, je pense que je le remercierais. Quel genre de conseiller porte sa princesse dans les couloirs pendant qu'elle dort ?
Yuga laissa échapper un petit rire sardonique.
— Oh, s'il te plaît, Lavio, ne dis pas au capitaine ce que tu as vu. Il va lancer des rumeurs scandaleuses.
Yuga prit un moment pour savourer l'expression irritée du visage du héros.
— Elle a travaillé si dur qu'elle en était épuisée. Je la mettais simplement au lit, ajouta-t-il d'un ton plus sérieux.
— Même le serviteur le plus naïf ne croit pas que vos intentions soient sincères ou pures. Vous savez que vous ne changerez pas l'avis de qui que ce soit avec ce discours.
— Peut-être pas, mais si ça la rend heureuse, je le ferai. Je me fiche de ce que pensent ces imbéciles, mais tu es le pire. Tu penses qu'elle a besoin de quelqu'un pour la sauver de moi. Pire encore, tu penses qu'elle a besoin de quelqu'un pour la sauver d'elle-même.
— Elle serait tellement plus sage et raisonnable sans toi sur son épaule.
— Et ce château serait tellement plus attrayant si je n'avais pas à te voir. Bonne nuit, rongeur.
Yuga avait fait quelques pas quand il entendit Lavio marmonner derrière lui.
— Comment peut-elle pleurer pour quelqu'un comme toi ?
Yuga s'arrêta et regarda par-dessus son épaule.
— Qu'est-ce que tu as dit, rongeur ?
— Dans cette vie et dans la dernière... Peut-être aussi dans les autres. C'est effrayant de voir à quel point tu es égocentrique. Toute considération que tu lui accordes n'est qu'une illusion. Tu la dorlotes et tu lui mens pour te faire avancer, et elle est incapable de s'en rendre compte. Il n'y a rien de bon en toi. Tu n'es que le mal.
— Le mal n'existe pas. Ce n'est qu'un produit de légendes. Il n'y a que de la laideur et de l'imperfection. Et tu as tort. Mes sentiments pour elle ne sont pas une illusion. Que sais-tu de sa vie passée ? Tu ferais mieux de t'expliquer.
— J'ai récemment eu le plaisir de revivre ton exécution...
— Comment oses-tu me dire ça ? Tu veux qu'elle me déteste à nouveau ? siffla Yuga.
— Mais elle ne l'a pas fait... Lors de ton exécution, elle a pleuré pour toi. J'ai vu ce qu'elle ressentait. Une partie d'elle est morte ce jour-là et ses démons ont consumé ce qui restait... Creuse un peu et tu découvriras peut-être ce qu'il est advenu de la princesse de cette époque...
Lavio sortit de sa poche un morceau de parchemin plié et le jeta sur Yuga. Le papier le toucha en pleine poitrine avant de tomber au sol entre ses bottes pointues.
Yuga ne fit aucun geste. Il était en état de choc. S'était-il trompé sur l'indifférence d'Hilda à son égard dans le passé ? Sa vie passée n'avait pas été la seule où il avait affronté la mort avec la conviction qu'Hilda le haïrait et se méfierait de lui pour toujours.
— Je ne peux pas répéter la même erreur que lors de ma précédente incarnation – pas en toute bonne conscience. Mais en même temps, quoi qu'il se passe entre toi et elle – ça doit cesser. Si j'avais un souhait, ce serait qu'elle revienne à la raison.
Lavio lança un regard dur à Yuga avant de se détourner.
— Sa Grâce ne serait pas contente si elle savait que vous menaciez son futur roi ! lui cria Yuga.
Lavio s'arrêta et lança à Yuga un regard à la fois incrédule et dégoûté. Après un moment, il marmonna :
— Tu avais raison, chaque jour qui passe nous éloigne de la lumière de Din. Le héros disparut dans le couloir obscur sans un mot de plus.
Lorsque les pas de Lavio s'étaient estompés, Yuga se dirigea vers le papier plié à ses pieds. Le parchemin semblait délicat et vieilli dans ses mains. Il le déplia en prenant soin de ne pas le déchirer. C'était un dessin décoloré d'une jeune femme aux cheveux noirs dans une tenue pratique et ajustée. D'allure mytérieuse, elle était habillée de manière plutôt furtive. La majeure partie de son visage était masquée par un tissu, à l'exception de ses yeux. Elle avait une longue frange qui dépassait des tissus enroulés autour de sa tête. Le reste de ses cheveux était tressé. Yuga dut regarder à deux fois le bâton que portait la femme, car c'était le sien. Le texte était encore plus décoloré, mais il y avait une ligne qui était encore lisible.
— On pense que cette femme est la princesse disparue. Le roi a offert une récompense pour le retour sain et sauf de son unique enfant et de l'héritage royal qu'elle possède. Il est impératif qu'elle soit retrouvée. L'avenir de la famille royale dépend d'elle.
Les discussions et les ragots allaient bon train tandis que Lavio somnolait.
— Tu as entendu dire qu'il y aura une assemblée aujourd'hui ? Tu as une idée de ce que ça pourrait être ?
— J’espère que c’est une bonne nouvelle.
— Tu crois que ça a quelque chose à voir avec lui ? La princesse saura sûrement répondre à nos inquiétudes.
— Es-tu si naïf que ça ? Elle ne lèvera pas le petit doigt.
— Je me demande si Lavio sait ce que la princesse a l'intention de faire. Ne sont-ils pas proches ?
— Hé, ne le réveille pas ! Il est arrivé ici hier soir en titubant, avec une mine infâme. Il lui a fallu un certain temps pour enfin s'endormir. Le pauvre. Parfois, il le maudit même dans son sommeil.
"— Désolé. J'étais juste impatient de savoir... Ils disent qu'il est le héros réincarné. Comment la princesse peut-elle excuser une attaque contre le héros ?
— Espérons que ce clown recevra une sorte de punition. Certains serviteurs pensent que c'est une exécution. Une exécution...
Lavio se redressa brusquement. Il lui fallut un moment pour se rappeler ce qui l'entourait. C'était son premier matin de réveil dans la caserne, et la familiarité de sa maison lui manquait déjà, en particulier la paix et la tranquillité. Malgré le bavardage des chevaliers, Shiro continuait de dormir, blotti dans le sillon qu'il avait créé au bord de l'oreiller. Lavio était presque envieux de la capacité de son oiseau à dormir à peu près n'importe quoi.
— Finalement, ce psychopathe prétentieux aura ce qu'il mérite, rit l'un des chevaliers.
Cela a semblé exciter les autres, même si certains étaient en désaccord.
— Eh bien, si c’est vrai, pourquoi n’est-il pas enfermé dans l’une des cellules ?
— Tu veux me dire qu'il ne l'est pas ?
— Non, ils l’ont même vu avec la princesse.
Oh wow, ils ne vont pas être déçus. Ce serait inestimable s'ils se liguaient tous contre lui, mais... les choses pourraient mal finir pour elle... Je ferais mieux de la prévenir avant qu'elle ne s'enfonce dans un trou encore plus profond... Comme annoncer ses projets d'avenir pour lui.
Il ne voulait toujours pas y croire. Yuga avait-il menti ? Bien sûr, Yuga n'était pas du genre à mentir sur ce sujet-là.
Non, au lieu de cela, il aime juste me rappeler ce genre de choses.
Lavio sortit de sa couchette et enfila ses bottes en un clin d'œil. Shiro se réveilla et le rejoignit, sentant le malaise de son maître. Ils filèrent hors de la caserne avant qu'aucun des chevaliers ne puisse l'interroger.
Lavio fut soulagé de trouver Hilda seule dans son bureau. Elle pencha la tête lorsque Lavio fit irruption à travers les portes, essoufflé.
— Ah, bonjour, Lavio... Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Il fallut un moment à Lavio pour reprendre son souffle.
— Votre Altesse, je suis vraiment désolé. Certains chevaliers pensent que vous allez annoncer une exécution lors de l'assemblée d'aujourd'hui. Je voulais juste vous prévenir et vous avertir...
Les yeux écarlates d'Hilda s'écarquillèrent.
— Quoi ?
Puis son expression s'assombrit et ses yeux s'enflammèrent.
— Qui a pu répandre une telle désinformation ? C'était toi ?
Le cœur de Lavio se serra face à cette accusation.
— Non, je ne le ferais jamais... Je ne sais même pas comment une telle rumeur a commencé... Je suppose que c'était un vœu pieux, ajouta Lavio dans un murmure.
Hilda baissa les yeux, attristée par la remarque de Lavio.
— J'ai réagi de manière excessive. Je suis désolée. Je suis juste nerveuse quant à la façon dont mon peuple va prendre les excuses de Yuga.
— Votre Altesse, que comptez-vous faire ? C'est peut-être votre dernière chance de remettre les choses en ordre avant que les choses ne dégénèrent vraiment avec lui.
La main gantée d'Hilda se resserra autour de son bâton.
— Que proposes-tu exactement ? Je ne veux pas annuler le discours à cause de cela, ni céder à leurs attentes. Je veux croire que les excuses de Yuga peuvent apaiser les tensions. Il est important pour moi que mon peuple l'accepte.
Hilda détourna le regard, comme si elle était embarrassée.
— J'espère que vous comprenez, dit-elle fermement.
— Ce ne sont que des excuses, hein ? Tu lui demanderas juste de s'excuser et rien d'autre, n'est-ce pas ? Pas de grande annonce qui pourrait contrarier beaucoup de gens ?
— Non, rien de ce genre... Juste ce qu'ils ont besoin de savoir. Tu viendras à l'assemblée, n'est-ce pas ? Je pense qu'il serait préférable que tu sois présent.
— Votre Altesse, je ne peux pas me permettre de continuer ainsi. Je ne peux pas faire comme si tout allait bien.
Ses yeux s'éteignirent soudain.
— Lavio, s'il te plaît !
— Je suis désolé... Je ne peux pas participer à ça. S'il vous plaît, Votre Altesse, reconsidérez votre décision.
— Et tu penses toujours que tu m'es loyal ?
Elle n'avait pas l'air en colère. Elle semblait juste perdue. Il se sentait terriblement mal.
Le hall d'entrée du château commença à se remplir de chevaliers et d'autres employés du château, attendant l'arrivée de leur jeune souveraine. Le rassemblement était tout sauf organisé.
Hors de la vue de la foule grandissante, la princesse et son conseiller se dirigèrent vers le hall dans un silence presque total. Yuga referma ses longs doigts grêles autour de la main délicate et gantée d'Hilda pour la réconforter.
— Je t'aime, murmura-t-elle en le regardant dans les yeux avec une expression sombre.
Il pouvait sentir sa terreur.
— Je vous aime aussi, Votre Grâce. Mais pourquoi semblez-vous mécontente ?
— Quelque chose que Lavio a dit juste avant... Il ne viendra pas...
— Ah non ? Je pensais qu'il serait impatient de me voir me ridiculiser.
— Il a changé d'avis. Il n'est plus favorable au discours que nous allons prononcer. Il avait l'air très perturbé et a refusé de se présenter.
— Vous aussi, vous as changé d’avis ?
— Non... Je dois dissiper ces rumeurs. Il m'a dit qu'il y a des gens dans ma cour qui croient que tu seras bientôt exécuté.
Le sorcier s'arrêta, devenant aussi sombre qu'elle. La princesse inclina la tête pour le regarder à nouveau.
— Votre Grâce... J'avais l'intention de vous parler d'un certain événement de notre vie passée qui doit être abordé. J'espérais vous le dire quand vous serez prête à l'entendre, lui dit Yuga.
— Hier soir donc... Je n'avais pas l'intention de m'endormir en écrivant ce foutu discours. J'espère que tu n'as pas passé la nuit à m'attendre. Je te ferai pardonner.
— Après ces excuses, votre attention est légitimement la mienne.
Il lui caressa doucement le menton.
— C'est étrange, mais... j'ai le sentiment que Lavio sait que je te veux à mes côtés pour toujours.
Lorsqu’ils apparurent devant la foule, tout signe d’intimité avait été abandonné.
— Peuple de Lorule... commença Hilda. En tant que princesse de ce pays, il est de mon devoir de maintenir l'ordre et la paix. Soyez assurés que le héros et moi ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour y parvenir. Je souhaite répondre à vos inquiétudes concernant les événements récents et dissiper toutes les rumeurs que vous avez pu entendre. Mon conseiller sera placé sous ma surveillance directe. Bien que ses actions aient été hors de propos, elles ne constituaient pas un acte de trahison. Lorule a une histoire de cupidité et de violence, à laquelle j'espère mettre fin avec mon règne. Les déesses ont créé ce pays avec Espoir, Beauté et Raison. Ces vertus devraient guider tout dirigeant de ce pays. Il est de notoriété publique depuis un certain temps que le héros et moi sommes détenteurs de deux pièces de la Triforce. Sachez que le détenteur de la Triforce de la Beauté s'est récemment révélé à moi. Cette personne n'est autre que mon conseiller.
Il y eut des murmures dans la foule à ces mots. Le pouls de Yuga s'accéléra, mais il savait que ce fait ne pourrait pas être caché éternellement. C'était aussi clair que la marque sur sa main. Yuga pouvait voir Hilda commencer à perdre sa détermination également. Avait-elle fait une erreur ? Lorsqu'il s'avança pour parler, tous leurs yeux étaient fixés sur le triangle doré sur sa main.
— Je suis très déçu que le héros ne soit pas présent pour le discours de Sa Grâce. J'avais également quelques mots d'excuses destinés à lui, dit froidement Yuga.
Sa Grâce avait voulu qu'il s'excuse auprès de Lavio devant la foule pour sauver les apparences. Cette tournure des événements ne pouvait que nuire à leur cause. Irrité, mais soulagé de l'absence du héros, Yuga poursuivit. Cette fois, ses paroles étaient plus sincères.
— Je vous donne ma parole que je répondrai à vos attentes, Votre Grâce ; cela comprend la coexistence et le respect du héros, comme il sied à mon rôle. J'ai bien l'intention de tenir la promesse que je lui ai faite. En tant que son conseiller, mon altercation avec le héros était inappropriée. Je ne peux que la décrire comme un moment d'égarement de raison qui ne peut se reproduire si je veux rester dans ses faveurs. Sa Grâce a fait preuve d'une miséricorde imméritée à mon égard, et je lui en suis reconnaissant. Je n'attends la confiance de personne. Je vous demande seulement pardon pour mes actes. Je sais qu'une simple excuse n'est qu'une maigre consolation, mais mes remords face à sa perte de confiance en moi sont sincères. Par-dessus tout, je vous demande d'honorer ses bonnes intentions. Son royaume et son peuple sont tout pour elle.
Derrière lui, Hilda s'agita, surprise par ses derniers mots.
— Je ferai de mon mieux pour continuer à travailler à ses côtés et à la protéger. Que son règne conduise à une nouvelle ère de prospérité pour Lorule.
Les spectateurs étaient devenus presque silencieux lorsque plusieurs voix indignées commencèrent à s'élever de la foule. Quelques-unes se précipitaient déjà vers les portes sans avoir été renvoyées. La princesse resta rigide, fixant la foule sans montrer d'émotion - puis elle craqua. Des larmes commencèrent à couler sur son visage. Elle ne pouvait rien faire alors que son peuple la quittait. Ceux qui n'étaient pas encore sortis criaient et devenaient désordonnés. Une bouteille en verre siffla près de son oreille et se brisa en mille petits morceaux sur le sol en pierre. Yuga tira Hilda vers lui, tournant le dos à la foule alors qu'il la protégeait. Il la poussa vers le couloir, mais c'était comme si elle ne pouvait pas l'entendre.
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