Chapitre 17

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Pour une fois, la caserne était silencieuse. Les autres chevaliers n'étaient pas là, mais elle était loin d'être en ordre. Il n'y avait aucun semblant d'organisation, encore moins de propreté. En cherchant un peu, on pouvait trouver des miettes sur n'importe quelle surface. Pire encore, l'endroit puait la saleté et la transpiration. Lavio ferma les yeux, essayant de se rendormir. Il n'était pas fatigué, mais il aurait aimé l'être. Le sommeil aurait été une échappatoire. Le capitaine ferait sûrement une remarque ironique sur le fait de tirer au flanc ou, pire, de dormir en plein jour, surtout pendant une assemblée. Lavio se fichait complètement des critiques imaginaires du capitaine.Il avait d'autres raisons de se sentir mal.

La conversation avec Hilda ne cessait de se répéter dans sa tête. Mais aussi mal qu'il se sentait, il ne ferait rien de différent. Il était le seul à ne pas être allé à l'assemblée. Comment aurait-il pu ? Il n'était pas comme les autres chevaliers. Il n'était pas du genre à entretenir des rumeurs, surtout compte tenu de sa relation avec la princesse. Il n'allait pas non plus rester les bras croisés à la regarder commettre la plus grosse erreur de son règne.

Shiro piquait Lavio sans cesse, comme à son habitude lorsque son maître était de mauvaise humeur pour lui remonter le moral.

— Arrête, Shiro. J'ai fait de mon mieux pour l'aider. Sa décision est prise, tout comme la mienne, murmura Lavio en se tournant sur le côté, loin de son oiseau. J'abandonne. Elle peut faire ce qu'elle veut, mais je refuse d'appeler cet idiot "Votre Majesté" . Bon sang, s'il existait un autre monde, j'irais là-bas juste pour m'éloigner de tout ça. À ce stade, je ne sais pas qui est le plus fou : Yuga pour penser qu'il est à sa place à ses côtés ou Hilda pour son étrange affection pour lui. Si je n'étais pas un tel lâche, je leur rirais au nez en leur disant à quel point tout cela est absurde.

Il voulait de tout son être faire en sorte que ce ne soit pas vrai.

Lavio se sentit immédiatement coupable. Hilda n'avait rien laissé paraître de tel et avait semblé très déçue lorsqu'il avait refusé d'assister à son discours.

Elle me considère toujours comme son ami, pensa Lavio. C'était suffisant.

Lavio essaya d'imaginer la voix calme et raisonnée de son ancien moi avec laquelle il avait conversé à Skull Woods.

— Tu sais, mon pote, il fut un temps où l'une de mes plus grandes peurs était d'affronter Yuga au combat, et regarde comment ça s'est passé...

Shiro émit un petit cri d'approbation.

— Peut-être que je peux tirer profit de la situation financière.

Après tout , Yuga était facilement déconcerté par les arguments de vente de Lavio, et il y aurait de nombreuses occasions de le plumer. Il n'hésiterait pas à escroquer Yuga pour chaque rôle qu'il pourrait jouer dans l'avenir d'Hilda.

Lavio faillit émettre un petit rire de joie - faillit.

Soudain, la porte d'entrée s'ouvrit brusquement, forçant Lavio à se redresser. Debout sur le seuil de la caserne se trouvait le capitaine, ses joues potelées étaient rougies. Pourtant, Lavio pouvait également voir une lueur dans ses yeux. Quoi qu'il se soit passé, le capitaine s'en délectait.

— Nous avons des problèmes, mon garçon. Dépêche-toi ! Pas le temps de t'expliquer.

Lavio n'avait pas besoin de poser de questions. Il n'était pas exagéré de penser que quelque chose s'était mal passé lors de l'assemblée. Il espérait simplement qu'Hilda était en sécurité.

Ils se frayèrent un chemin à travers la foule du personnel du château. Tous deux furent bousculés et ballottés.

Le capitaine jura à voix basse, puis cria :

— Tout le monde, s'il vous plaît ! Je comprends votre indignation, mais vous ne pouvez pas abandonner vos postes. N'importe lequel de mes hommes qui franchirait cette porte serait coupable de haute trahison. Me suis-je bien fait comprendre ?

Lavio lança un regard d'excuse au capitaine.

— Pourquoi pensait-elle qu'il pouvait faire ça ? demanda-t-il sèchement.

— Ha ! Je me le demande aussi ! acquiesça le capitaine.

Quelques chevaliers qui avaient entendu son avertissement malgré le bruit des voix élevées restèrent en retrait.

En passant devant la plupart de la foule et en entrant dans la grande salle, Lavio vit Yuga protéger Hilda de l'assaut des objets qui leur étaient lancés. Il tournait le dos à la foule tandis qu'Hilda enfouissait son visage dans le devant de sa cape. Tous se turent en remarquant un chevalier solitaire montant les escaliers avec son épée dégainée.

Lavio se figea, reconnaissant le chevalier comme celui qui avait été le plus franc à propos de la possibilité d'une exécution. Aussi tentant que cela puisse être de ne rien faire, Lavio savait qu'il y avait une chance qu'il ne s'arrête pas à Yuga.

— Hé ! Arrêtez ça ! Le cri de Lavio résonna dans le grand hall tandis qu'il montait les escaliers.

Hilda leva les yeux. En voyant Lavio, un air de soulagement passa sur ses traits, jusqu'à ce qu'elle et Yuga remarquent que le chevalier se rapprochait d'eux. Il s'arrêta net, mais ne rangea pas son épée ni ne recula. Tout le monde dans le hall regardait avec une attention soutenue.

Yuga fronça les sourcils avec haine.

— Que penses-tu faire, imbécile ? Je me suis excusé. Maintenant, retourne dans ta caserne fétide et poursuis ta médiocre existence. Penses-tu qu'un chevalier aussi banal que toi ait une chance contre moi ?

Le chevalier ignora Yuga, mais s'adressa plutôt à la princesse.

— Ceux qui se battent pour le mal méritent le même sort, n'êtes-vous pas d'accord, Votre Altesse ? Voulez-vous vraiment aller défendre ce monstre ? Si vous le faites, personne ne pleurera votre disparition. Pensez-vous que vous seriez une reine adéquate ? Quel genre d'héritage pourriez-vous créer ?

Hilda regarda le chevalier d'un air vide. Seul Lavio pouvait voir la douleur dans ses yeux. Yuga lança au chevalier un ricanement méprisant.

— Toi, écoute-moi , espèce de plèbe insolent ! La princesse et moi allons...

— Waouh... C'est présomptueux ! intervint Lavio d'une voix forte, s'adressant au chevalier et interrompant Yuga en même temps.

— Tais-toi, héros ! grogna le chevalier. Tu as eu ta chance.

Le chevalier ne se retourna même pas pour saluer Lavio.

— Hé, j'essayais juste de te faire entendre raison ! dit Lavio, sous le choc.

Ce type était-il sérieux ? Pour qui se prenait-il ? Soit il était vraiment stupide, soit son ego était aussi obèse que celui de Yuga. Peut-être les deux.

— Je devrais peut-être m'occuper de la princesse en premier. On ne peut pas la laisser le sauver à nouveau, n'est-ce pas ? dit le chevalier à Lavio, d'un ton qui lui fit dresser les cheveux sur la tête.

— On ? Tu as une araignée au plafond ou quelque chose comme ça ? Si tu veux la tuer, tu devras d'abord nous passer sur le corps ! grogna Lavio. Donc, de toute façon, tu n'as aucune chance, mon pote.

— J'aimerais te voir m'arrêter, lâche !

Le chevalier leva son épée et avança vers le couple. Lavio se prépara à attaquer.

En un instant, Yuga leva sa main libre, matérialisant son bâton. Le chevalier n'avait aucune chance. Le chevalier s'immobilisa et commença à s'élever dans les airs, jusqu'à se retrouver suspendu au-dessus de la petite foule qui restait. Un vacarme s'éleva alors que tous regardaient avec horreur le chevalier se tordre dans les airs. Yuga donna un autre coup de baguette. Un cadre portant la Triforce à chaque coin apparut sous le chevalier.

Yuga fit tournoyer le bâton vers le bas, et le chevalier hurla lorsqu'il fut attiré dans le cadre avec une force vertigineuse. Tout ce qui restait était un simple tableau représentant chevalier. Ceux qui étaient restés pour regarder commencèrent à fuir, serviteurs et chevaliers confondus. Enfin, le calme était revenu dans la grande salle. Le tableau tomba sur le sol en pierre.

— Débarrasse-toi de cette saleté ! souffla Yuga, regardant Lavio avec impatience.

Lavio croisa le regard d'Hilda pour obtenir son approbation. Elle lui adressa un sourire gêné et hocha la tête.

Hésitant, Lavio s'agenouilla pour ramasser le tableau. Il se retira dans les escaliers où se tenait le capitaine. Le capitaine regarda le tableau, mal à l'aise.

— Ce n'est pas grave, capitaine... Je peux réparer ça...dit Lavio.

Il baissa les yeux sur le bracelet à son poignet, soulagé d'avoir toujours le remède contre la magie de Yuga.

Au moins, c'est réversible et il s'en est servi pour protéger Hilda, pensa Lavio. Les pouvoirs de Yuga ne lui semblaient plus aussi terrifiants. Il lui pardonnait – pour cette fois.

Le capitaine se détendit. Il s'approcha pour mieux voir le tableau.

— Ce sera sans doute un événement banal quand il sera roi... Vive la nourrice royale, je vois déjà le tableau ! Le capitaine sourit.

— Capitaine ! gémit Lavio.

Il n'aimait pas du tout le jeu de mot du capitaine.

— J'aurais dû la garder pour plus tard.

— Pour plus tard... ou peut-être pour jamais ?

Lavio se retourna vers le couple. Ils semblaient avoir tourné leur attention l'un vers l'autre.

— C'est hors de ton contrôle, mon garçon.

Le Capitaine posa une main rassurante sur l'épaule de Lavio.

— Si tu investis trop d'énergie à essayer d'opposer deux personnes qui veulent être ensemble, tu risques de devenir aussi misérable et instable que...—

Le Capitaine s'interrompit, faisant un geste vers le chevalier du tableau.

Lavio resta bouche bée. C'était peut-être la première fois que le capitaine disait quelque chose d'intelligent. Intelligent, mais toujours difficile à avaler.

Il hocha la tête et se dirigea vers les portes principales, le tableau de chevalier à la main.

— Venez, capitaine, nous avons un chevalier à discipliner !

Il se força à sourire.

L'homme plus âgé le suivit dehors.

Lavio jeta un dernier coup d'œil en haut des escaliers. Yuga et Hilda étaient déjà partis.

La douce lumière du soleil illuminait le Royaume sacré, créant une lueur d'aube perpétuelle. C'était un lieu intemporel, magnifique, parfait même. Il ne restait aucun signe de brisure ou de délabrement.

Hilda regarda sa main gantée. Elle voyait sa Triforce qui scintillait. Elle se sentait tout sauf pleine d'espoir, mais elle n'avait jamais vu le Royaume Sacré dans toute sa magnificence. Pendant un bref instant, elle sut que son souhait n'avait pas été vain.

— C'est notre Royaume Sacré...dit Hilda d'une voix creuse.

Elle savait que Yuga n'avait pas besoin d'explications sur l'endroit où ils se trouvaient. Elle considérait seulement à quel point c'était étrange, d'avoir autant d'émotions contradictoires concernant cet endroit.

— Le nôtre ? demanda Yuga, amusé.

— Oh…

Hilda s’arrêta, voulant expliquer son étrange tournure de phrase.

— C’est toi qui l’as découvert la dernière fois, alors… Cet endroit me rappelle nous… J’aimerais pouvoir rester ici pour toujours.

Les traits de Yuga s'adoucirent.

— J'espère que vous ne prenez pas à cœur ce que ce chevalier faible d'esprit a dit, Votre Grâce.

— Peut-être un peu. Comment puis-je ne pas me laisser affecter ?

Il ne lui était jamais venu à l’esprit que cette Lorule pouvait être aussi injuste, aussi cruelle. Son peuple était contre elle – une fois de plus. Sauf que cette fois, elle était la seule à blâmer, pas les mauvais choix de ses ancêtres. Cela ne faisait qu’amplifier la douleur de leur jugement. Peut-être que sa lignée était vraiment maudite.

— Tu ne m’en veux pas de t’avoir obligé à faire quelque chose qui s’est finalement retourné contre toi ?

— Non, Votre Grâce. Même pas un tout petit peu.

Ses paroles semblaient si sincères. Hilda ravala un sanglot.

— Pourquoi ?

— Me demander de faire quelque chose que je préférerais ne pas faire est trivial, répondit-il simplement.

Elle sentit qu'il avait autre chose à dire, mais son arrogance rendait la chose difficile.

— Vous l'avez fait pour mon bien... Je ne suis pas mesquin comme ces imbéciles. Pensez-vous toujours que je vais vous trahir ? Pensez-vous que j'ai toujours cherché à devenir roi de Lorule pour le plaisir ? Je suis né roi, Votre Grâce. Le Marais des Démons était trop imparfait - tout comme votre Lorule est imparfaite. J'ai certainement fixé des objectifs plus nobles dans des vies passées, en essayant de retrouver mon ancienne perfection. Les caprices de votre peuple n'ont aucune importance. Nous appartenons ensemble de cette manière, Votre Grâce.

— Yuga... C-c'était un lapsus. Il n'y a aucune chance que nous puissions...

Hilda trébuchait sur ses mots.

Yuga gloussa.

— Un lapsus très révélateur, Votre Grâce. J'ai déjà dit à notre héros en devenir vos intentions quand je l'ai rencontré hier soir.

— Tu n'as quand même pas osé ?!

Les yeux d'Hilda s'écarquillèrent, au bord des larmes et d'un rire hystérique.

— Si, dit fièrement Yuga.

Hilda prit une profonde inspiration, essayant de se retenir de frapper Yuga avec son bâton.

— Il avait besoin de savoir où était sa place quand il me parlait.

— J'essaie de maintenir la paix entre vous deux. Et s'il utilisait ça comme prétexte pour te tuer ? Les légendes appelleraient ça une fin heureuse, mais pour moi...

— Une telle préoccupation est vaine, Votre Grâce. Votre père était respecté par la plupart. Il a suffi d'une personne amère pour mettre fin à ses jours. Donc c'est pareil...

— Je suis sûr que cela a dû être pareil pour ma mère alors qu'elle passait les dernières heures de sa vie à crier de douleur et à supplier que son roi l'emmène.

Un air de répulsion traversa ses traits, mais pas celui qu'il aurait adressé à ceux qu'il considérait comme inférieurs à lui. C'était probablement l'expression la plus triste qu'elle ait jamais vue de sa part.

— Vous n'êtes pas obligée de me le dire, Votre Grâce. J'étais là...

Hilda regretta aussitôt de s'être moquée de lui. Elle n'était au courant de ces événements que parce que la nourrice de sa mère, Embla, lui avait raconté l'histoire de sa naissance quand elle était jeune. Il était difficile d'imaginer ce que cela avait dû être de vivre cela pour de vrai – en tant que jeune enfant, qui plus est. Elle se sentait également un peu gênée de parler de ces événements si ouvertement avec lui pour la première fois. Pourquoi ne lui en avait-elle pas parlé avant, se demanda-t-elle. Cela n'avait pas été gênant quand Embla le lui avait raconté. Pourquoi était-ce gênant d'en parler avec Yuga ?

— Je suis désolé... Je ne voulais pas... Yuga, qu'est-ce qui ne va pas

— J'aimerais pouvoir te dire que je ne laisserai jamais cela nous arriver...

Yuga se tut. Il sortit le morceau de parchemin plié et le tendit à Hilda. Alors que ses yeux parcouraient le texte, ses traits s'alourdirent.

— C'était ta vie la plus récente. Quand mon exécution a été ordonnée, j'étais convaincu que tu me méprisais, tout comme le héros et le roi de cette époque. J'ai passé ma vie à poursuivre la Triforce, mais quand est venu le moment de mourir, tu étais la seule chose à laquelle je pensais. Toutes mes vies se sont terminées avec cette même angoisse, mais je n'aurais jamais pensé que ma mort pourrait te laisser si brisée. Je suis désolé que cela nous soit arrivé, Votre Grâce.

Elle lui rendit le parchemin sans dire un mot. Il posa sa main sur le bas de son dos.

— Regarde comme elle l'aimait.— Hilda sourit doucement, se sentant soulagée de tenir dans ses mains la preuve qu'elle avait eu des sentiments pour lui dans une vie antérieure.

— Que vous dirait-elle de faire, Votre Grâce ?—

De nouvelles larmes coulaient sur ses joues, des larmes de réconfort. Cette fois, ce fut la princesse Hilda qui dirigea le baiser.

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