Chapitre 6 Ailleurs

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 Il ouvre les yeux. Et se réveille tout à fait dans une pièce éclairée par de simples bougies. Une pièce dans laquelle règne une semi-obscurité.

 Ce qu'il voit en premier dépasse l'entendement. Un coup d'œil circulaire le renseigne rapidement sur ce qui l'entoure. Huit personnes sont présentes, en assis tailleur. Trois sur sa droite, trois sur sa gauche, une à ses pieds et il devine plus qu'il ne la voit une dernière personne derrière sa tête.

 Posés sur le rebord du lit à baldaquin dans lequel il est allongé, en face de chacun de ces inconnus, des bougeoirs qui éclairent faiblement la pièce. Des bougeoirs ? Mais où diantre est-il ?

 Ses yeux s'habituent peu à peu à la pénombre. Il distingue alors des visages qu'il ne connaît pas, des visages sereins et comme soulagés. Les huit personnes arborent tous, en guise de vêtements, une espèce de long tissu épais d'une couleur unie qui leur recouvre tout le corps, à l'exception des bras qui restent nus. Autour de leur cou, comme d'immenses chapelets, composés de boules en bois de teinte sombre et terminés par deux croissants qui s'entrecroisent. Mais qu'est ce que c'est que ce cirque ?

– Il est réveillé, dit un homme sur sa droite.

– Mais son esprit semble avoir gardé en mémoire qui il a été dans sa dernière incarnation, précise l'individu derrière lui.

– Comment cela est-il possible ? interroge un homme sur sa gauche.

– Très peu de personnes ont réussi à survivre à la septième colère. Nous ne savons pas grand-chose sur ce qui peut bien se passer après, répond la femme qui lui fait face.

– Reviendra-t-il jamais à lui ? demande un homme sur sa gauche.

– Nous ne pouvions pas même garantir sa survie. Nous ne sommes sûrs de rien. Personne ne peut prédire s'il retrouvera ou non sa personnalité d'origine, avance l'homme derrière Anselme.

 Anselme, lui, ne pipe pas un mot des échanges qu'il perçoit nettement. Dernière incarnation, septième colère, personnalité d'origine. Mais qu'est-ce que ce charabia ? Il veut revoir ses parents, revoir ses amis, sortir de ce lieu inconnu et étrange.

 Il se décide. Il va se lever et faire faux bond à ces personnes qui semblent tout droit venir d'une autre époque, tout droit venir d'un autre monde. Il a aperçu, sur sa droite, une porte dont il espère qu'elle n'est pas fermée à clef. Il n'aura qu'à bondir de ce lit à baldaquin et s'enfuir à toutes enjambées. Une fois qu'il sera loin et qu'il sera seul, il lui sera plus facile de réfléchir à la façon de regagner sa maison, son chez lui.

 Oh non ! Il s'en aperçoit d'une façon aiguë maintenant : il est complètement prisonnier dans des draps qui lui interdisent tout mouvement !

– Je ressens sa peur, intervient un des énigmatiques individus autour de lui.

– Oui, moi aussi, il a essayé de bouger et s'est aperçu qu'il est entravé dans des draps, assura un deuxième individu.

– La procédure est formelle. Nous ne devons pas l'aider. Il doit surmonter l'épreuve seul. Silence maintenant, ne le troublons plus par nos paroles, intima l'homme situé dans son dos.

 Le silence se fit aussitôt. Surmonter l'épreuve seul ? Est-il donc entouré de fous ? De quelle épreuve parlent tous ces gens ? Ils semblent le connaître et du peu qu'il a vu dans cette pénombre, lui n'en reconnaît aucun.

 A-t-il été enlevé ? Peu probable, qui aurait intérêt à l'avoir enlevé ? Peu probable mais pas impossible. L'accoutrement des personnes qui étaient avec lui dans la pièce, leurs propos étranges. Il en fut subitement certain. Il était en présence d'illuminés appartenant à une secte. Ils l'avaient enlevé à des fins obscures et il lui fallait absolument se libérer au plus vite.

 Il banda tous ses muscles et testa la résistance des draps qui le maintenaient... Les draps étaient épais et très solides. Il pouvait à peine remuer.

 Garder son calme et respirer profondément. Voilà ce qu'il doit faire. Garder son calme. Cependant, il sent dans son ventre une chaleur terrible. Il ne peut pas garder son calme. Il ne supporte pas d'être ainsi ligoté dans des draps qui l'emprisonnent complètement. Cette chaleur, il la reconnaît pour l'avoir déjà ressentie récemment. C'est la colère qui le gagne. Une colère qu'il ne maîtrise pas. Il a, cependant, le sentiment étrange qu'elle peut lui être utile. Et utile maintenant.

 Alors, il se concentre sur elle. Plus précisément sur l'inhabituelle chaleur qui se propage de son ventre à son corps tout entier. Plus précisément sur cette condition insupportable dans laquelle il se trouve. Pour mieux se concentrer, il ferme les yeux et suit le cheminement de la chaleur à travers son corps.

 Il a toujours détesté être enfermé. Il ne se souvient pourtant d'aucun traumatisme qui l'aurait conduit à ce sentiment extrême, mais il tient en horreur cette impression de ne pouvoir se mouvoir comme il le souhaite. Et il ne peut bouger ne serait-ce qu'un doigt.

 Il bout de colère. Qui sont ces gens ? Que lui veulent-ils ? Depuis combien de temps l'observent-ils ainsi ? Veulent-ils sa mort ? Les questions se bousculent dans son esprit. Aucune ne trouve de réponse.

 Il bout de colère. Les draps sont si serrés qu'ils lui font maintenant mal à la peau. Et cette douleur alimente sa colère. Il la sent se propager à travers ses membres. Il ne saurait expliquer comment mais il la sent devenir chair. Il sent maintenant chacun de ses muscles répondre aux sollicitations de son esprit. Une énergie nouvelle afflue dans tout son corps, brûlante et comme lumineuse.

 Cette sensation nouvelle le déconcerte quelque peu. Il a l'impression de pouvoir percevoir chacun de ses muscles, chacun de ses ligaments, chacun de ses tendons. Cette impression désagréable aussi que les bandages se resserrent sur son corps, entravant plus encore toute possibilité de mouvement, interdisant plus encore tout espoir de se libérer.

 Subitement, dans son esprit, une digue cède. Un flot de colère le submerge en entier. Est-ce encore de la colère ? Le mot lui semble faible pour décrire l'émotion qui l'envahit alors. Sous l'effet de cette fureur, il serre ses deux poings. Il serre ses deux poings ! Ses bandages ont donc une faille ! Il va l'exploiter, reprendre sa liberté de mouvement et châtier tous ceux et celles qui l'ont ainsi capturé et ligoté.

 Sa haine est totale. A ses envies de meurtre se mêlent les sensations de colère absolue qui irriguent chaque partie de son corps. Il brûle de l'intérieur.

 Une deuxième digue cède à son tour. Dans son corps cette fois-ci. Dans tout son corps. C'est comme si une lumière intense le traversait en entier.

 Puis, comme si les draps n'existaient plus, il se lève droit comme un i sur le lit à baldaquin.

 Cri rauque de triomphe.

 Débarrassé des draps qui l'entravaient jusqu'alors, il dévisage d'un regard dur les huit inconnus. Lève un bras, menaçant.

 S'effondre brutalement.

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