Chapitre 1 : Le Retour du Seigneur des Forêts

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Vous savez ce qui est vraiment cool ? Les dieux celtes. Vous savez ce qui n’est pas cool ? Être recrutée par l’un d’entre eux quand on est une adolescente qui ne pense qu’à survivre à sa journée au lycée. Oui, vous avez bien lu. Moi, Emma Duval, 17 ans, obsessionnelle du rangement, qui peine à rester éveillée pendant les cours de trigonométrie, j’ai été choisie par un dieu celte. Franchement, je me serais contentée de passer mon bac.

Tout a commencé par une matinée parfaitement normale. En tout cas, normale selon les critères du Vermont, ce qui veut dire que le lever du soleil était splendide, avec une légère brume flottant sur les collines, et que ma mère me harcelait déjà pour que je me lève avant que je ne sois officiellement en retard. Je me suis extirpée de mon lit, en jurant qu'un jour je me marierai avec mon oreiller. Après tout, c’était la seule relation qui ne me demandait pas de faire des efforts le matin.

Tout semblait suivre son cours habituel, jusqu'à ce que je remarque quelque chose de bizarre. Le ciel, habituellement bleu clair ou grisâtre (selon l'humeur imprévisible de la météo du Vermont), avait une teinte... verte. Je ne parle pas d'un vert timide ou d'un vert "peut-être-je-dois-nettoyer-mes-lunettes". Non, c'était un vert éclatant, du genre "invasion extraterrestre" ou "peinture murale ratée". Honnêtement, cela ressemblait au vert que mon petit frère utiliserait pour dessiner des extraterrestres dans son cahier de coloriage. Vous savez, un vert criard, totalement inapproprié pour le ciel de 7 heures du matin.

Ajoutez à cela une brise chaude qui transportait une odeur de forêt fraîchement coupée, et je me suis dit que quelque chose ne tournait pas rond. Peut-être que c'était le fait que notre ville, toujours paisible, ressemblait soudain à l'un de ces films d'horreur où la nature prend vie et se venge des humains. Dans le doute, j'ai fait ce que toute personne saine d’esprit ferait : j’ai ignoré le problème et continué ma routine. Procrastiner, c’est une compétence que j’ai peaufinée au fil des ans.

Après m'être habillée (un exploit quand on a encore les yeux à moitié fermés), j’ai attrapé mon sac et filé dehors. Sur le chemin du lycée, j’ai remarqué que les animaux agissaient bizarrement. Ce n’est pas que les animaux de la forêt soient jamais très sociables – ils préfèrent généralement éviter les humains – mais là, c’était comme s'ils avaient tous décidé de participer à une sorte de concours de "qui peut être le plus étrange".

Les oiseaux chantaient. Jusque-là, rien de fou, sauf qu’ils chantaient beaucoup plus fort que d’habitude, comme s’ils essayaient de crier quelque chose d’important que je ne pouvais pas comprendre. C'était le genre de cacophonie qu'on attendrait d'une fanfare de lycée qui essaie désespérément de jouer en harmonie mais échoue de manière spectaculaire. Et puis il y avait les cerfs. D'habitude, ils s’enfuient à la vue d’un humain, mais ces cervidés-là se tenaient là, raides comme des statues, avec leurs yeux écarquillés fixés sur quelque chose dans la forêt.

C’est là que j’ai fait ce que n'importe quelle héroïne de fiction idiote ferait. Oui, je me suis dirigée tout droit vers l'endroit que les cerfs fixaient. Ce n’est pas que j’aie un instinct suicidaire ou quoi que ce soit, mais je devais savoir ce qui se passait. Ou peut-être que je voulais simplement une excuse pour sécher le cours de maths. Après tout, ce n'est pas tous les jours que la nature se transforme en quelque chose de tout droit sorti d'un livre fantastique. De plus, qui n’aimerait pas avoir une histoire cool à raconter à la pause déjeuner ?

Je m'enfonçais dans les bois, le cœur battant un peu plus vite que d'habitude. Non pas que j'avais peur. C'était juste... un sentiment. Comme si je m'aventurais sur un territoire inconnu, et je ne parle pas seulement de la forêt. Chaque pas que je faisais semblait résonner plus fort que le précédent, comme si les arbres eux-mêmes tendaient l'oreille.

Puis je suis arrivée dans une clairière, et là, je l’ai vu.

D’abord, mon cerveau a décidé qu’il avait besoin d’une mise à jour. Je ne blague pas. Il a tout simplement refusé de traiter ce que mes yeux voyaient. Au milieu de la clairière se tenait une silhouette. Un homme ? Peut-être. Enfin, s’il n’avait pas eu des bois énormes qui émergeaient de son crâne. Oui, vous avez bien entendu : des bois. Du genre qu’on pourrait s’attendre à voir sur un cerf, sauf que ceux-là étaient accrochés à un être qui avait plus l'air d'un dieu de la nature qu’un animal de la forêt.

Il avait de longs cheveux bruns qui tombaient en désordre sur ses épaules, comme s'il avait évité les ciseaux depuis une éternité. Son visage était anguleux, marqué par des années (ou des siècles ?) d’expérience. Il portait une tunique en cuir, ornée de symboles anciens qui semblaient vibrer avec la vie même de la forêt. En gros, si un arbre pouvait se transformer en personne, ce type serait le résultat. Mais ce qui m’a vraiment frappée, c’était ses yeux. Ils étaient verts, d’un vert profond comme la mousse qui pousse sur les vieux chênes, et ils brillaient d’une sagesse que je ne pourrais jamais espérer comprendre, mais aussi d’une tristesse immense, comme s’il portait le poids de toutes les forêts du monde sur ses épaules.

J’étais paralysée. Non, pas paralysée par la peur. Juste... incapable de bouger parce que, sérieusement, que fait-on dans une situation pareille ? Est-ce qu’on dit bonjour ? On lui offre un cookie ? On prend une photo pour Instagram ? Mais avant que je puisse décider de mon plan d’action, il parla.

« Approche, enfant des Hommes. »

Ok, pas du tout flippant. Sa voix était profonde, résonnante, comme le vent qui souffle à travers les branches d’un vieux chêne. Elle semblait venir de partout à la fois, comme si les arbres eux-mêmes parlaient. J’ai senti une boule de panique se former dans mon estomac. Qu’est-ce que j’étais censée faire ? Courir ? M’évanouir ? Lancer une réplique cinglante ?

Et puis, quelque chose de bizarre est arrivé. J’ai parlé.

« Euh... Vous parlez à moi ? »

Bravo, Emma. Brillant. Un dieu de la forêt te parle, et c’est tout ce que tu trouves à dire.

Il esquissa un sourire. Pas un sourire joyeux. Plutôt un sourire triste, comme celui qu’on fait lorsqu’on se rappelle des jours heureux d’autrefois. « Je suis Cernunnos, le Gardien des Forêts. Je suis revenu pour constater les dégâts causés par votre espèce. »

D'accord, c’était officiel. Je délirais. Peut-être que je n’aurais pas dû sauter le petit-déjeuner.

« Et... que voulez-vous de moi ? » J’ai réussi à balbutier, essayant de ne pas paraître totalement paniquée, même si mon cerveau hurlait déjà qu’il fallait trouver une porte de sortie.

Cernunnos s'agenouilla, ce qui était encore plus flippant parce que même à genoux, il dégageait cette aura de puissance que même le principal du lycée n’avait pas. « Ce que je veux ? » répéta-t-il doucement, comme s’il se parlait à lui-même. « Je veux comprendre pourquoi les Hommes ont abandonné leur respect pour la nature. Je veux savoir pourquoi ils détruisent ce que j'ai juré de protéger. Mais surtout, je veux ton aide. »

Ma mâchoire a failli se décrocher. Mon aide ?! Comment était-il possible qu'un dieu millénaire veuille l’aide d’une fille dont la plus grande réussite à ce jour était de ne pas rater son bus pour l’école ? Je veux dire, je suis nulle en maths, et même ma mère doute parfois de mes capacités à ranger correctement ma chambre. Alors, sauver les forêts avec un dieu à cornes ? Certainement pas dans mes cordes.

Mais il y avait quelque chose dans ses yeux, quelque chose qui m’a fait réfléchir à deux fois avant de refuser. Comme un appel, une connexion inexplicable entre nous. Peut-être que je devenais folle, ou peut-être que c’était réel. « Comment puis-je vous aider ? » demandai-je, ma voix tremblante.

Son sourire s'élargit, triste et apaisant à la fois. « Les Hommes ont oublié. Ils ont oublié leur connexion à la Terre, aux forêts, aux créatures qui y vivent. Mais toi, tu n'as pas encore complètement perdu cette connexion. Elle est faible, mais elle est là, quelque part en toi. Je peux te la rendre plus forte, te rappeler ce que tu as oublié. Avec ton aide, nous pourrons commencer à restaurer l'équilibre. »

Je voulais lui dire qu'il faisait une erreur. Que je n'étais pas la bonne personne pour ça. Que je n'avais aucune idée de ce que signifiait "restaurer l'équilibre". Mais au lieu de ça, les mots sont sortis tout seuls, comme si ma bouche avait pris le contrôle. « Restaurer l'équilibre... Vous parlez de quoi exactement ? » demandai-je, ma curiosité dépassant ma peur.

Cernunnos se releva lentement, comme si le poids du monde pesait sur ses épaules. « Le monde naturel est en danger, Emma. Vos villes s'étendent, vos machines grignotent la terre, et les anciens liens entre les Hommes et la Nature se brisent. Si cela continue, il n'y aura plus de forêt pour parler, plus de créatures pour veiller sur les secrets anciens. Mais tu as le pouvoir de changer cela. Tu peux les faire se souvenir, leur montrer ce qu'ils ont perdu. »

J'ai avalé difficilement. Rien de tout ça ne semblait possible. Comment une adolescente pouvait-elle accomplir quelque chose d’aussi énorme ? Pourtant, une part de moi, enfouie sous toutes mes insécurités et mon scepticisme, voulait croire qu'il avait raison. Peut-être qu'il y avait une raison pour laquelle j'avais été choisie, même si elle m'échappait encore.

« Comment est-ce que je suis censée faire ça ? » insistai-je. « Je ne suis qu'une lycéenne, je ne sais même pas comment parler aux arbres, et encore moins sauver le monde. »

Cernunnos se tourna vers moi, ses yeux brillants d'une détermination tranquille. « Je ne te demande pas de sauver le monde seule, Emma. Je te demande de commencer par quelque chose de petit. De te reconnecter avec la nature, de faire comprendre aux autres l'importance de ce lien. Je vais te donner une partie de mes pouvoirs. Ils t'aideront à voir les choses sous un autre angle, à sentir ce que la nature ressent, à communiquer avec elle. Mais souviens-toi, avec ces dons viennent des responsabilités. Tu devras être prudente, car il y a des forces qui tenteront de te détourner de ta mission. »

Je pouvais sentir une boule de nervosité se former dans mon estomac. C'était beaucoup trop à assimiler en un seul coup. « Et si je n'y arrive pas ? » murmurai-je, plus pour moi-même que pour lui.

Cernunnos posa une main rassurante sur mon épaule. « Tu n'es pas seule, Emma. Je serai à tes côtés, et d'autres viendront pour t'aider. Mais c'est toi qui dois faire le premier pas. »

Je pris une grande inspiration. Tout cela semblait tellement irréel, mais une part de moi savait que je ne pouvais pas fuir. Pas cette fois. « D'accord, » dis-je finalement. « Je vais essayer. »

Il inclina la tête, comme pour approuver ma décision. « Bien. Nous commencerons demain à l'aube. Prépare-toi, car le chemin sera long et semé d'embûches. Mais souviens-toi, c'est dans l'obscurité que la lumière brille le plus fort. »

Et sur ces paroles, il s'évanouit, littéralement. Les bois semblaient l’absorber, comme si la forêt elle-même l’avalait, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de lui, seulement le silence.

Je restai là, au milieu de la clairière, essayant de comprendre ce qui venait de se passer. C'était à la fois terrifiant et excitant. Mon esprit tournait à cent à l'heure, jonglant entre l'incrédulité et la résolution naissante. Quoi qu'il en soit, ma vie venait de prendre un virage inattendu. Pas de retour possible en arrière.

Le chemin de retour au lycée me parut à la fois familier et étranger. Comme si, en quittant cette clairière, j'avais franchi un seuil invisible qui me séparait de la fille que j'étais ce matin-là. Les arbres semblaient me chuchoter des secrets que je ne pouvais pas encore comprendre, et les oiseaux, bien que toujours bruyants, semblaient moins désordonnés, comme s'ils se synchronisaient avec quelque chose que je ne pouvais pas percevoir.

En arrivant au lycée, j'avais encore du mal à croire que tout cela était réel. Comment pouvais-je expliquer à mes amis que je venais de rencontrer un dieu ancien ? Qu'il m'avait choisi, moi, Emma Duval, pour sauver la nature ? Ça ressemblait à une de ces histoires que ma prof de littérature nous faisait lire, avec des héros improbables qui finissaient par sauver la mise. Mais c'était ma vie, et je n'avais aucune idée de comment gérer ça.

Je me rendis à mon casier, essayant de paraître aussi normale que possible, ce qui n'était pas facile avec mon esprit en ébullition. Alors que j'ouvrais la porte du casier, je tombai nez à nez avec Jenny, ma meilleure amie. Elle me fixa avec un regard suspicieux, plissant les yeux.

« T'étais où, toi ? » demanda-t-elle en me scrutant. « T'as l'air d'avoir vu un fantôme. »

Je bafouillai une réponse, essayant de cacher ma nervosité. « Oh, tu sais, juste... une petite balade en forêt. Rien de spécial. »

Elle leva un sourcil, pas du tout convaincue. « Ouais, bien sûr. Parce que tout le monde décide de faire une balade en forêt à sept heures du matin, surtout avant les cours. »

J'esquissai un sourire gêné. « C'était pour... me détendre. J'avais besoin d'air frais. »

Jenny sembla accepter cette réponse, bien qu'à contrecœur. « Eh bien, la prochaine fois que tu décides de te détendre, essaie de ne pas être en retard en cours. Tu sais que Mme Lawson nous tuerait si on ratait un autre quiz de bio. »

Je hochai la tête, essayant de remettre de l'ordre dans mes pensées. Mais au fond de moi, je savais que ce matin-là avait tout changé. Ce n'était plus seulement une question de survivre à la journée au lycée. C'était une question de découvrir ce que cela signifiait vraiment d'être humaine, de comprendre notre lien avec le monde qui nous entoure, et de trouver un moyen de rétablir cet équilibre avant qu'il ne soit trop tard.

Alors que je me dirigeais vers ma classe de biologie, une pensée persistante continuait de tourner dans ma tête : si Cernunnos avait raison, si tout cela était vrai, alors ma vie venait de se transformer en une aventure épique que je n'avais jamais demandée, mais que je ne pouvais pas refuser.

Et quelque part, même si je ne voulais pas l’admettre, j'étais curieuse de voir jusqu'où cela allait me mener.Les premières heures au lycée après ma rencontre avec Cernunnos passèrent dans un flou total. J’avais beau essayer de me concentrer sur mes cours, mon esprit continuait de dériver vers cette clairière, vers cet être à demi-humain, à demi-cerf, et vers les paroles qu’il m’avait adressées. L’idée de porter une partie de ses pouvoirs était à la fois terrifiante et excitante, et je n’arrivais pas à déterminer si j’étais plus effrayée ou intriguée.

Le cours de biologie se révéla particulièrement ironique ce jour-là. Mme Lawson nous donnait une leçon sur les écosystèmes et la biodiversité, parlant de l’importance des chaînes alimentaires et de l’équilibre dans la nature. « Tout est connecté, » répétait-elle, comme si elle aussi portait un message caché de Cernunnos. C’était comme si le destin se moquait de moi, me rappelant que ma vie venait de prendre un tournant étrange.

Pendant qu’elle parlait, je ne pouvais m’empêcher de me demander si elle avait jamais entendu parler de Cernunnos ou des dieux anciens de la forêt. Peut-être qu’elle connaissait des légendes, des histoires que je pourrais exploiter. Mais comment lui poser des questions sans passer pour une cinglée ? « Excusez-moi, Mme Lawson, que savez-vous des dieux celtes et de leur connexion avec la nature ? Oh, juste une question d’intérêt général, rien à voir avec le fait que l’un d’eux vient de me recruter. » Oui, sûr. Totalement discret.

Quand la cloche sonna, je rassemblai mes affaires d’un geste mécanique et me dirigeai vers la porte. Jenny m’attendait déjà, le regard pétillant. « Tu sais ce que je me disais ? » commença-t-elle, tout en marchant à mes côtés dans le couloir. « On pourrait aller faire un tour en forêt cet après-midi. Tu avais l’air tellement zen ce matin, je me suis dit que ça pourrait me faire du bien aussi. »

Mon cœur rata un battement. Retourner dans la forêt ? C’était la dernière chose dont j’avais envie. Mais si je disais non, Jenny allait certainement poser des questions. Elle était déjà assez suspicieuse, et refuser sans une bonne excuse ne ferait qu’ajouter à ses doutes. « Euh, ouais, pourquoi pas ? » répondis-je, essayant de paraître décontractée.

Mais l’idée de retourner là-bas m’angoissait. Que se passerait-il si nous retombions sur Cernunnos ? Je n’étais pas prête à expliquer à Jenny que j’avais été désignée comme l’émissaire d’un dieu celtique. Elle me prendrait pour une folle, ou pire, elle voudrait en savoir plus. Et plus je réfléchissais à la situation, plus je réalisais que j’avais encore beaucoup de questions sans réponses.

Les heures passèrent et l’après-midi arriva beaucoup trop vite à mon goût. Jenny et moi quittâmes le lycée, et avant même que je ne puisse inventer une excuse, nous étions déjà en route pour la forêt. Le ciel était redevenu normal, d’un bleu éclatant, sans aucune trace du vert étrange de ce matin. Les oiseaux chantaient toujours, mais cette fois, leur mélodie semblait plus douce, plus harmonieuse. Peut-être que j’imaginais des choses, mais j’avais l’impression que la forêt elle-même retenait son souffle, comme si elle nous attendait.

« Alors, on va où exactement ? » demanda Jenny alors que nous nous enfoncions dans les bois. Elle marchait avec insouciance, ses pas légers, tandis que moi, je scrutais chaque ombre, chaque bruit, m’attendant à voir surgir une créature magique à tout moment.

« On peut juste… marcher au hasard, » répondis-je, espérant éviter la clairière où j’avais rencontré Cernunnos.

Nous marchâmes en silence pendant un moment, les bruits de la forêt remplissant l’air entre nous. Mais ce silence ne dura pas. Jenny était trop curieuse, trop perspicace pour rester tranquille longtemps. « Tu sais, Emma, tu as vraiment l’air bizarre aujourd’hui. T’es sûre que tout va bien ? »

Je pris une grande inspiration, cherchant mes mots. « Je… je ne sais pas trop. J’ai eu une matinée étrange, c’est tout. »

Elle fronça les sourcils. « Quel genre d’étrange ? »

Je soupirai. Autant lui dire une version édulcorée. « Eh bien, tu as remarqué le ciel ce matin ? Il était vert. Et puis, dans la forêt, j’ai vu quelque chose… ou quelqu’un. C’était… effrayant. »

Jenny s’arrêta net et me fixa. « Attends, quoi ? Tu as vu quelqu’un dans la forêt ? Tu devrais en parler à la police, tu sais. Il y a des gens louches qui traînent parfois… »

« Non, non, ce n’était pas un criminel ou quoi que ce soit, » m’empressai-je de clarifier, regrettant immédiatement d’avoir mentionné l’incident. « C’était juste… étrange. Tu ne me croirais pas de toute façon. »

« Essaie-moi, » dit-elle avec un sourire encourageant.

Je savais que j’étais en train de m’aventurer sur un terrain glissant, mais il y avait quelque chose en Jenny qui me donnait envie de partager. Peut-être qu’elle comprendrait, ou peut-être qu’elle penserait que je délirais. Mais elle était ma meilleure amie, et je ne voulais pas garder tout cela pour moi.

« Bon, d’accord, » commençai-je prudemment. « J’ai vu… un homme, ou plutôt une créature. Il avait des bois, comme un cerf, et il portait des vêtements en cuir avec des symboles dessus. Il m’a dit qu’il s’appelait Cernunnos et qu’il était un dieu de la forêt, revenu pour vérifier les dégâts causés par les humains. »

Jenny me regarda fixement pendant un long moment. Puis elle éclata de rire. Un rire franc, presque hystérique. « Sérieusement, Emma ? Un dieu de la forêt ? Tu es sûre que tu n’as pas mangé des champignons bizarres avant de partir ce matin ? »

Je me sentis rougir. Oui, ça sonnait totalement ridicule. Peut-être que j’aurais dû m’inventer une excuse plus crédible. « Je sais, c’est dingue. Mais je te jure, c’est ce que j’ai vu et entendu. »

Elle secoua la tête en riant encore. « OK, OK. Tu as une imagination débordante, c’est sûr. Peut-être que tu devrais écrire un livre ou quelque chose. Mais sérieusement, c’est la meilleure blague que tu m’aies racontée depuis longtemps. »

Je haussai les épaules, essayant de ne pas paraître vexée. « Oui, peut-être. » Mais au fond de moi, je savais que ce n’était pas une blague. Tout cela était bien réel, et tôt ou tard, j’allais devoir affronter cette nouvelle réalité.

Nous continuâmes notre promenade, et fort heureusement, nous ne rencontrâmes pas de dieux ou de créatures mythologiques. Quand nous fûmes de retour en ville, Jenny avait déjà oublié l’incident, parlant de ce qu’elle allait faire le week-end prochain et de la fête à laquelle elle voulait que j’aille avec elle. Mais moi, je savais que ma vie avait définitivement changé, et que ce retour en forêt n’avait été que le début.

Ce soir-là, en rentrant chez moi, je me sentis épuisée, tant physiquement que mentalement. Je m’effondrai sur mon lit, essayant de ne pas penser à ce qui m’attendait demain. Mais c’était impossible. L’idée que j’étais désormais liée à quelque chose de bien plus grand que moi, à une mission qui pourrait sauver ou perdre le monde naturel, était omniprésente. Et malgré tout, une petite voix en moi me disait que, quoi qu’il arrive, je ne pouvais pas fuir cette destinée. J’allais devoir affronter cette nouvelle réalité, avec ou sans l’aide de Cernunnos.

Alors que je m’endormais, une seule pensée résonnait encore dans mon esprit : et si je n’étais pas à la hauteur ?

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