Chapitre 11 : La Ronde des Cauchemars

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La pluie s'était enfin arrêtée, laissant une fine brume recouvrir les terrains de l'école comme un voile mystérieux. Les arbres qui bordaient les bâtiments semblaient être des sentinelles silencieuses, et l'air était encore chargé de la bataille émotionnelle de la veille. Emma, les cheveux encore humides de sa course sous l'averse matinale, avait du mal à se concentrer sur quoi que ce soit d'autre que ce qu'elle avait à accomplir aujourd'hui. Elle avait réussi à sauver quelques-uns de ses camarades, mais l’école était encore infestée d’une obscurité insidieuse.

Elle savait que la journée serait difficile. Après les événements de la veille, les autres élèves seraient encore plus méfiants, peut-être même hostiles. Mais elle n'avait pas le choix. Elle devait découvrir la source de cette malédiction avant qu'elle ne détruise tout.

En entrant dans le hall, Emma ressentit immédiatement la tension dans l'air. Les élèves étaient éparpillés en petits groupes, murmurant entre eux, lançant des regards furtifs dans sa direction. Il était clair qu'ils avaient tous été touchés, d'une manière ou d'une autre, par cette obscure influence. Leurs visages étaient pâles, leurs yeux vides de la lumière habituelle de la vie.

Emma prit une grande inspiration et se dirigea vers sa salle de classe, essayant de passer inaperçue. Mais à peine eut-elle franchi la porte que Mme Kingsley, sa professeur d'anglais, l'appela.

« Emma, pourrais-je te parler un instant ? » Sa voix avait cette étrange monotonie qui trahissait une lutte intérieure contre l'influence maléfique.

Elle s'approcha, le cœur battant la chamade. Le visage de Mme Kingsley était tiré, ses yeux semblaient inquiets. Emma se demanda brièvement si elle aussi était sous l’emprise de cette force obscure.

« Oui, madame ? » répondit-elle avec une prudence contenue.

Mme Kingsley la regarda avec une intensité inhabituelle. « J'ai... J'ai entendu des choses, Emma. Des choses que je ne devrais peut-être pas savoir. »

Le cœur d'Emma fit un bond dans sa poitrine. Était-ce un piège ? Ou bien Mme Kingsley était-elle encore lucide, consciente du danger ?

« Qu’est-ce que vous voulez dire, madame ? » demanda-t-elle prudemment.

La professeure baissa la voix, comme si elle craignait que quelqu'un d'autre n'entende. « L'école... il y a quelque chose de profondément perturbant ici. Je peux le sentir. C'est comme si une ombre s'était étendue sur nous tous, et je ne sais pas combien de temps je pourrai encore y résister. Mais je sais que tu es différente. Tu vois les choses que les autres ne voient pas. »

Emma hocha la tête, son esprit s'activant. Elle devait agir vite. « Je vais faire ce que je peux, Mme Kingsley. Mais j'aurai besoin de votre aide. »

Mme Kingsley la regarda avec une intensité renouvelée. « Tout ce que tu as à faire, Emma, je serai là pour t’aider. Je ne comprends peut-être pas tout ce qui se passe, mais je sais que tu es notre meilleure chance. »

Emma sentit un soulagement fugace. Elle n'était pas seule. Pas complètement.

***

Après les cours, Emma rejoignit Taranis et Cernunnos derrière le gymnase, à l’abri des regards indiscrets. Taranis, le dieu du tonnerre, se tenait là avec sa stature imposante, ses yeux brillant comme deux éclairs capturés. À côté de lui, Cernunnos, le Seigneur des Forêts, semblait une extension naturelle du paysage, ses bois imposants scintillant dans la lumière du soir.

« Nous avons peu de temps, » dit Taranis, sa voix résonnant comme un grondement lointain. « L’obscurité qui s’est installée ici n’est pas ordinaire. C’est une manifestation de quelque chose de bien plus ancien, quelque chose que nous avons peut-être sous-estimé. »

Cernunnos acquiesça, son expression grave. « Cette école est devenue un nid pour les cauchemars. Ce qui habite ces lieux n’est pas qu’une simple malédiction ; c’est un esprit d’un autre âge, un fragment de l’ancienne Nuit, celle qui régnait avant même la lumière des dieux. »

Emma sentit un frisson lui parcourir l'échine. « Vous voulez dire qu’il y a quelque chose ici... de plus puissant que vous deux ? »

Cernunnos posa une main réconfortante sur son épaule. « Pas plus puissant, Emma. Mais quelque chose qui connaît les failles des mortels, qui se nourrit de leurs peurs et de leurs doutes. C'est une créature du désespoir, née des ténèbres, et elle s'est ancrée ici, nourrie par les craintes des élèves et du personnel. »

Taranis frappa du poing contre la pierre. « Nous devons l’affronter dans son propre domaine, là où elle est la plus forte. Si nous la traquons dans ses propres ombres, nous pouvons la détruire avant qu’elle ne prenne entièrement possession de l’école. »

« Et comment on fait ça ? » demanda Emma, son esprit en ébullition face à l'ampleur de la tâche.

« Nous devons trouver l’épicentre de sa présence, » expliqua Cernunnos. « Là où les cauchemars sont les plus puissants. Ce lieu est devenu une ancre pour elle, un point de fixation à partir duquel elle diffuse son influence. »

« Je pense savoir où c’est, » dit Emma après un instant de réflexion. Elle repensa aux jours précédents, aux endroits où elle avait ressenti la plus grande peur, les zones de l’école où l’obscurité semblait la plus dense. « La salle des anciens, celle qui est toujours fermée. »

Cernunnos et Taranis échangèrent un regard. « Alors c’est là que nous devons aller, » conclut Taranis. « Mais nous devrons être prêts. Cette créature ne se laissera pas exorciser facilement. »

***

La nuit tombait quand Emma, Cernunnos, et Taranis se dirigèrent vers la salle des anciens. L'école était étrangement silencieuse, chaque couloir désert paraissant plus long et plus menaçant que d'habitude. Ils atteignirent la porte massive en bois, marquée par le temps et les générations d'élèves qui avaient autrefois franchi ce seuil. Emma ressentit un frisson, cette fois de peur, mais aussi d'anticipation. C'était ici que tout allait se jouer.

Cernunnos plaça une main sur la porte. « Je sens sa présence, » murmura-t-il. « Elle est là, juste derrière. Elle attend. »

« Alors ne la faisons pas attendre plus longtemps, » dit Taranis, sa voix emplie d'une détermination féroce.

Avec un léger effort, la porte s’ouvrit dans un grincement sinistre. L'intérieur était plongé dans l'obscurité totale. Emma, armée de sa flûte de pan, prit une grande inspiration avant de suivre les deux dieux à l'intérieur.

La salle semblait plus grande qu'elle ne le devait. L'obscurité semblait l’étirer, la tordre, chaque pas résonnant comme dans une caverne infinie. Les murs disparaissaient, remplacés par des ombres mouvantes, qui semblaient chuchoter entre elles, partageant des secrets inaccessibles.

Soudain, une voix retentit, glaciale et pourtant étrangement séduisante.

« Qui ose troubler mon sommeil ? »

Emma frissonna. La voix venait de partout et de nulle part à la fois. Elle chercha à identifier la source, mais l'obscurité était si épaisse qu'elle ne voyait même pas le bout de ses doigts.

« Nous savons qui tu es, » déclara Taranis, sa voix emplie de défi. « Et nous sommes ici pour mettre fin à ta malédiction. »

Un rire sombre emplit la pièce, résonnant comme un écho d'un autre monde. « Vous pensez pouvoir me détruire ? Moi, qui ai été là bien avant que votre espèce n’émerge de la boue ? »

Cernunnos prit la parole, sa voix douce mais ferme. « Tu as passé des siècles à te nourrir des peurs des hommes, à te cacher dans les recoins les plus sombres de leurs esprits. Mais ton temps est révolu. Nous sommes ici pour te renvoyer d’où tu viens. »

Les ombres autour d’eux commencèrent à se mouvoir, se rassemblant en une masse tourbillonnante au centre de la salle. Lentement, une forme émergea, un être d'obscurité pure, avec des yeux rouges qui brûlaient comme des braises dans l'obscurité.

« Je suis l’Ombre Primordiale, » déclara la créature, sa voix résonnant avec une puissance terrifiante. « Je suis la peur qui dévore, la nuit qui consume. Vous n’êtes que des insectes face à ma puissance. »

Emma sentit un froid glacial s’insinuer en elle. Mais avant qu’elle ne puisse succomber à la panique, Cernunnos posa une main rassurante sur son épaule. Son regard vert, aussi profond que la forêt elle-même, plongea dans celui d’Emma.

« Souviens-toi, Emma. La peur n’est qu’une ombre. Elle ne peut te toucher que si tu la laisses entrer. »

Taranis, de son côté, se dressa face à l’Ombre Primordiale, son aura crépitant d’électricité. « Tu as peut-être vécu des éons, mais tes jours sont comptés. La lumière du jour chasse la nuit, tout comme nous te chasserons d’ici. »

La créature de ténèbres sourit, un rictus qui semblait déformer l’espace autour d’elle. Elle s’étendit, ses ombres s’étirant vers les trois compagnons. Emma vit des visages se former dans cette noirceur, des visages familiers, ceux de ses camarades d’école, tordus par la peur et la douleur.

« Vous ne pouvez rien contre moi, » murmura l’Ombre Primordiale, sa voix un chuchotement qui résonnait dans les os d’Emma. « Je suis partout où règne l’incertitude, la haine, le désespoir. Ces jeunes âmes m’appartiennent déjà. »

Emma serra sa flûte de pan en bronze céleste. Cernunnos lui avait expliqué que cet instrument était plus qu’un simple outil ; il était un lien entre elle et les forces de la nature. Elle le porta à ses lèvres et, fermant les yeux, souffla doucement.

La mélodie qui s’éleva était douce, presque timide au début, mais elle gagna en force avec chaque note. Emma sentit quelque chose s’éveiller en elle, une chaleur douce qui commençait à repousser le froid. C’était comme si la forêt elle-même chantait à travers elle, une symphonie de vie et d’espoir qui perça les ténèbres.

L’effet fut immédiat. L’Ombre Primordiale grimaça, reculant légèrement devant la lumière invisible que dégageait la musique. Taranis saisit cette opportunité. Il leva son marteau, qui s’illumina de foudre, et l’abattit sur le sol. Un éclair déchirant frappa l’Ombre, la faisant hurler de douleur.

« Continue, Emma ! » cria Cernunnos, ses bois rayonnant d’une énergie verte alors qu’il se tenait prêt à renforcer l’attaque.

Emma, encouragée, joua de plus belle, laissant la musique guider ses mouvements. Les ombres reculaient de plus en plus, et elle voyait maintenant les visages de ses amis se détendre, leurs expressions de terreur se dissipant peu à peu. Ils étaient encore sous l’emprise de la créature, mais Emma sentait qu’elle les atteignait, qu’elle ravivait en eux une lumière qu’elle pensait éteinte.

L’Ombre Primordiale, furieuse, lança une dernière attaque désespérée. Les ténèbres se contractèrent en une masse dense et noire, se précipitant vers Emma comme un raz-de-marée de pure malveillance. Mais avant qu’elle ne puisse l’atteindre, Taranis éleva son marteau une fois de plus, déclenchant une tempête d’éclairs qui frappa la créature en plein cœur.

« Non ! » hurla l’Ombre, sa voix résonnant de désespoir alors qu’elle commençait à se dissoudre sous la lumière éclatante.

Cernunnos, joignant sa force à celle de Taranis, invoqua les forces de la nature. Des racines jaillirent du sol, emprisonnant ce qui restait de l’Ombre, l’étouffant sous leur étreinte. La créature se débattit, mais ses mouvements perdaient en force, son corps d’ombre se fragmentant, se dispersant dans la lumière conjuguée de Taranis et Cernunnos.

Enfin, avec un dernier cri déchirant, l’Ombre Primordiale disparut, dissoute dans un éclat de lumière qui éclaira la salle comme en plein jour.

Emma s’arrêta de jouer, haletante. La salle des anciens était redevenue ce qu’elle était autrefois : un simple espace vide et silencieux, sans trace de l’obscurité qui l’avait hantée. Les visages de ses amis, autrefois captifs de l’Ombre, avaient retrouvé leurs expressions naturelles, apaisées, presque endormies.

Cernunnos posa une main sur son épaule. « Tu as bien fait, Emma. La lumière que tu as réveillée en eux leur a permis de résister à l’emprise de l’Ombre. »

Taranis hocha la tête, son expression sévère adoucie par une lueur de respect. « Tu as prouvé ta valeur, jeune fille. Le courage ne réside pas seulement dans la force, mais dans la capacité à protéger les autres, à voir au-delà des apparences. »

Emma sourit faiblement, encore secouée par l’intensité du combat. « C’était... effrayant. Mais je savais que je ne pouvais pas laisser cette chose gagner. Mes amis... ils comptent sur moi. »

« Et tu les as sauvés, » confirma Cernunnos. « Mais ce n’est que le début, Emma. D’autres épreuves t’attendent, des défis qui mettront à l’épreuve non seulement ta force, mais aussi ton cœur. »

Taranis posa une main lourde sur l’épaule d’Emma, son regard fixant le sien avec une intensité presque intimidante. « Nous serons à tes côtés, mais n’oublie jamais que c’est ton humanité qui est ta plus grande arme. Les dieux peuvent t’aider, mais c’est ton esprit qui décidera de l’issue. »

Emma acquiesça. Elle comprenait maintenant que son rôle d’émissaire de Cernunnos était bien plus complexe et dangereux qu’elle ne l’avait imaginé. Mais elle était prête. Prête à affronter les ténèbres pour ramener la lumière. Prête à protéger ceux qu’elle aimait, même si cela signifiait affronter ses pires cauchemars.

Ils quittèrent la salle des anciens ensemble, laissant derrière eux une école qui se remettait lentement de son envoûtement. Le soleil se levait à l’horizon, baignant l’établissement d’une lumière dorée qui semblait chasser les derniers vestiges de la nuit.

Alors qu’ils s’éloignaient, Emma sentit une étrange paix l’envahir. Le chemin serait long et ardu, elle le savait, mais elle n’était plus seule. Elle avait Cernunnos, Taranis, et surtout, elle avait la force qu’elle avait découverte en elle-même.

Le silence matinal fut soudain rompu par le son d’une cloche d’église au loin, un rappel que le monde continuait de tourner, même après les pires tempêtes. Emma sourit en entendant le carillon. Oui, le monde continuait. Et elle continuerait aussi.

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