Chapitre 17 : Le Carnavale des Âmes Perdues
L'école d'Emma, cette fois-ci, paraissait encore plus sinistre. L'obscurité s'étendait non seulement à l'extérieur, mais aussi dans les couloirs. Alors qu'elle marchait vers son casier, des frissons la parcouraient. Depuis le combat avec les créatures de pollution et le réveil des anciens dieux, quelque chose semblait profondément perturbé. Ses camarades de classe ne la regardaient plus dans les yeux, et lorsqu'ils lui parlaient, c’était comme si leurs mots étaient vides, dépourvus d'émotion.
La première personne à vraiment lui faire sentir que quelque chose n'allait pas fut Sarah, sa meilleure amie. Emma avait essayé de lui parler dans le couloir, comme d'habitude. Mais ce jour-là, Sarah avait simplement souri de manière étrange et continué son chemin sans même s’arrêter. Cette attitude n'était pas normale, surtout venant de Sarah.
À la pause déjeuner, Emma se retrouva seule à une table, les regards de ses amis devenant de plus en plus distants. L'école semblait prise dans une atmosphère oppressante, comme un rêve étrange dont elle ne parvenait pas à s’échapper. Elle attrapa discrètement la flûte de pan que Cernunnos lui avait donnée et la glissa dans sa poche, pressentant qu'elle en aurait bientôt besoin.
En sortant de la cantine, Fenrir, le loup loyal de Cernunnos, apparut comme une ombre silencieuse près des casiers. Emma se sentit immédiatement rassurée en voyant sa silhouette robuste et son pelage luisant. Fenrir renifla l’air, montrant les dents en grognant doucement. Quelque chose le mettait en alerte. Ses yeux lupins brillaient d’une méfiance qu’Emma n’avait jamais vue auparavant.
« Toi aussi tu le sens, n’est-ce pas, Fenrir ? » murmura-t-elle, caressant son pelage épais. Le loup grogna, une réponse silencieuse.
Décidée à ne pas rester dans l'ignorance, Emma se dirigea vers la sortie. Cernunnos et Taranis devaient savoir ce qui se passait. Ses instincts lui disaient que cela allait au-delà des simples inquiétudes d'une adolescente. Alors qu’elle franchissait la porte arrière du lycée, elle fut soudainement engloutie par une vague de vent glacial. Les arbres autour de l’école semblaient se pencher vers elle, comme s'ils tentaient de l’avertir de quelque chose.
Dans la forêt voisine, Emma trouva Cernunnos, assis sur une souche d’arbre, son regard fixé sur les bois alentours. Il se tourna vers elle à son approche, ses cornes majestueuses scintillant dans les rayons du soleil d’automne.
« Emma, je m’attendais à te voir plus tôt », dit-il avec un demi-sourire. Mais son ton trahissait son inquiétude.
« Quelque chose ne va pas, Cernunnos. L’école... Mes amis... Ils agissent comme si... comme s’ils n’étaient plus eux-mêmes. » Emma se tenait droite, essayant de dissimuler sa peur, mais elle savait que Cernunnos pouvait la lire comme un livre ouvert.
Le dieu de la forêt fronça les sourcils et se leva lentement. « C’est exactement ce que je craignais. Le lien entre les anciens dieux et ce monde devient de plus en plus fragile. Quelqu’un, ou quelque chose, manipule vos amis. »
Emma sentit son estomac se nouer. « Qui ? »
« Les Émissaires de la Discorde. » C'était Taranis qui venait de parler. Le dieu des tempêtes, avec sa présence imposante et son regard sévère, s’approcha d’eux. « Ce sont eux qui jouent avec l’esprit des humains pour les pousser à la destruction. Ils ont peut-être trouvé un moyen de s’immiscer dans cette école, et cela va s’aggraver si nous ne faisons rien. »
Emma serra la flûte de pan dans sa poche. « Que pouvons-nous faire ? Je veux les sauver... sans les blesser. »
Cernunnos regarda la flûte d’un air pensif. « Il y a une façon de réveiller vos camarades. Mais cela exigera de vous une grande force d'esprit. Utiliser cette flûte pourrait permettre de briser leur emprise, mais les Émissaires ne se laisseront pas faire sans combattre. »
Emma inspira profondément. « Je suis prête. Qu’est-ce que je dois faire ? »
Taranis se tourna vers la direction de l’école, le vent sifflant autour de lui. « Vous devrez entrer dans un espace qui n’est pas tout à fait de ce monde. Un endroit où les esprits des Émissaires prennent le contrôle. Ce que vous verrez là-bas pourrait être trompeur, mais ne perdez jamais de vue votre objectif : ramener vos amis. Fenrir et moi serons là pour vous protéger, mais la bataille finale sera la vôtre. »
Quelques heures plus tard, Emma se tenait devant l’école, un sentiment d'appréhension au creux de l'estomac. Le bâtiment semblait plus imposant, presque hostile, comme si les murs eux-mêmes étaient vivants. Fenrir marchait à ses côtés, tandis que Taranis suivait à distance, prêt à intervenir en cas de besoin.
« Comment ça marche ? » demanda Emma en sortant la flûte de pan.
Cernunnos, qui l’accompagnait sous forme éthérée, murmura à son oreille. « Joue simplement la mélodie que tu ressens dans ton cœur. La flûte connaît les notes. »
Emma prit une grande inspiration, porta la flûte à ses lèvres et commença à jouer. Les premières notes étaient hésitantes, presque timides, mais bientôt la musique s’éleva dans l'air, mélodieuse et apaisante. Le vent sembla se calmer autour d'elle, et une lueur douce émana de la flûte.
À mesure que la musique s'amplifiait, une transformation se produisait. Le monde autour d’Emma commença à vaciller, comme un mirage. Les murs de l’école se déformèrent, fondant dans une lumière étrange et changeante, jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans un lieu complètement différent.
Elle était toujours dans l'école, mais celle-ci était désormais méconnaissable. Les couloirs étaient tordus, les portes grandes ouvertes menaient à des salles plongées dans l’obscurité, et des voix lointaines murmuraient des mots qu’elle ne pouvait comprendre. C’était comme si elle était entrée dans une dimension parallèle, une version corrompue de son monde.
« Ce lieu... » murmura Emma. « C’est l’endroit dont vous parliez ? »
« Oui, » répondit Cernunnos. « C’est ici que les Émissaires manipulent les esprits. Vous devrez les affronter directement, ici. »
Fenrir grogna, ses oreilles se dressant vers une ombre au bout du couloir. Emma suivit son regard et vit une silhouette s'approcher lentement. C’était Sarah, mais son visage était froid, dénué de toute émotion.
« Emma... » Sa voix était basse, presque monotone. « Pourquoi es-tu ici ? »
Le cœur d’Emma se serra. « Sarah, je suis venue te chercher. Ce n’est pas toi... Ils t’ont manipulée. »
Sarah sourit, un sourire glacé et terrifiant. « Manipulée ? Non, Emma. J’ai simplement vu la vérité. Tu devrais faire de même. Joins-toi à nous. »
Derrière Sarah, d'autres camarades de classe émergèrent des ombres, leurs visages tout aussi inexpressifs. Ils entouraient Emma lentement, comme des prédateurs traquant leur proie.
Emma fit un pas en arrière, ses doigts toujours serrés autour de la flûte de pan. « Ce n’est pas la vérité, Sarah. Ce n’est qu’un mensonge, un voile qui vous empêche de voir ce qui est réel. »
Taranis apparut soudain derrière elle, ses yeux brillants d'une lumière féroce. « Attention, Emma. Ils ne sont plus que des pions. Les véritables Émissaires ne sont pas loin. »
Le sol trembla légèrement sous ses pieds, et une forme massive et ténébreuse se matérialisa au bout du couloir. C’était un monstre fait de brume et d’ombres, ses yeux rouges brillants fixés sur Emma. Les Émissaires de la Discorde avaient pris forme.
Emma savait qu'elle devait agir vite. Elle porta à nouveau la flûte à ses lèvres et joua une mélodie plus puissante, une invocation des forces naturelles. À chaque note, les ombres autour de ses amis tremblaient et vacillaient, comme si la lumière perçait enfin leurs ténèbres.
« Continue, » dit Cernunnos, sa voix résonnant dans l’air. « Tu es proche, ne laisse pas la peur t’arrêter. »
Avec un dernier souffle, Emma joua une note haute et claire, et une explosion de lumière jaillit de la flûte. Le monstre des ombres recula, hurlant de douleur, tandis que ses camarades semblaient peu à peu reprendre conscience.
Sarah tituba en avant, ses yeux revenant à leur éclat habituel. Elle semblait désorientée, comme si elle émergeait d'un long cauchemar. Ses lèvres tremblèrent avant qu’elle ne parvienne à articuler : « Emma... qu’est-ce qui s’est passé ? »
Emma s’approcha prudemment, posant une main rassurante sur l’épaule de Sarah. « Tu étais sous leur emprise, mais je t’ai ramenée. Tout va bien maintenant. »
Cependant, Emma savait que tout n’allait pas encore bien. L'énorme créature faite de brume et d'ombres, l’Émissaire de la Discorde, n'avait pas disparu. Elle reculait dans l’obscurité du couloir, son corps se déformant et se reformant sans cesse, mais elle était toujours là, prête à contre-attaquer.
« Vous croyez m’avoir vaincue ? » gronda une voix caverneuse, émanant du monstre. « Je ne suis qu’une fraction de ce qui est à venir. Vous ne pouvez pas arrêter ce qui arrive, pas même avec vos faibles invocations de la nature. »
Emma sentit ses mains trembler, mais elle ne voulait pas laisser la peur la paralyser. « Si tu es seulement une fraction, je m’assurerai de te faire disparaître avant que le reste n’arrive. »
Taranis, qui jusqu’alors était resté en arrière, avança avec une expression déterminée. Le dieu des tempêtes leva son bras, et des éclairs crépitèrent autour de lui. « Emma, tu as fait le plus dur. Laisse-moi finir cette créature. »
Mais avant que Taranis ne puisse libérer son pouvoir, Cernunnos posa une main sur son épaule. « Attends. Cette bataille n’est pas uniquement la nôtre. Emma doit en être la clé, elle doit s'imposer dans cette lutte. »
Emma sentit le poids de cette responsabilité s'abattre sur elle, mais elle ne recula pas. Elle regarda ses amis, qui commençaient à s’éveiller autour d’elle, leurs regards emplis d’incompréhension et d’épuisement. Elle se tourna vers Fenrir, qui grognait toujours, le regard rivé sur l'Émissaire.
« Je vais essayer quelque chose », murmura Emma.
Prenant une profonde inspiration, elle leva de nouveau la flûte à ses lèvres. Cette fois-ci, elle se concentra non pas sur la lumière ou la mélodie enchanteresse qu'elle avait jouée auparavant, mais sur une force plus profonde, plus ancienne. Les notes qui s’échappèrent de l’instrument résonnaient avec la force de la Terre elle-même, un chant qui venait des racines, des pierres et des rivières.
À mesure que la mélodie progressait, le sol sous les pieds de l’Émissaire commença à trembler. Des racines s’élevèrent du sol, enlaçant le monstre, le tirant vers la Terre. Le monstre hurla, se débattant contre les liens de bois et de terre, mais rien ne pouvait contrer la puissance de la nature lorsqu’elle était invoquée ainsi.
« Non ! Vous ne pouvez pas me retenir ! » rugit la créature.
Emma joua plus fort, chaque note pulsant à travers l'air comme une vague. Les racines se resserrèrent, tirant l'Émissaire de plus en plus bas, jusqu’à ce que ses hurlements deviennent étouffés et qu’il disparaisse complètement sous la surface du sol.
Le silence retomba soudainement dans le couloir déformé. La tension dans l’air s'évanouit, et Emma sentit tout son corps se relâcher d’un coup. Elle baissa lentement la flûte, ses bras lourds de fatigue. Elle venait de canaliser une force qu’elle ne comprenait pas entièrement, mais elle savait que cela avait fonctionné.
Cernunnos s'approcha, ses yeux brillants d’une fierté douce. « Tu as fait bien plus que ce que je n’aurais jamais imaginé, Emma. »
Taranis hocha la tête. « Tu as montré aujourd’hui que tu es plus qu’une simple mortelle. Tu as utilisé la force de la nature comme un dieu ancien. »
Emma secoua la tête, encore étourdie par ce qui venait de se passer. « Je n’ai fait que jouer de la flûte… »
« Tu as fait bien plus que cela », répondit Cernunnos. « Tu as écouté la voix de la Terre, et elle t’a répondu. Peu d’humains en sont capables. »
Fenrir s'approcha d’elle, léchant doucement sa main pour la rassurer. Sarah et les autres élèves, maintenant complètement réveillés de leur torpeur, se regroupèrent autour d’elle. Ils avaient l’air confus, mais ils semblaient revenir à eux.
Sarah s’avança timidement. « Emma... je suis désolée. Je ne sais pas ce qui m'est arrivé... »
« Ce n’est pas ta faute », répondit Emma doucement. « Ils... les Émissaires de la Discorde, ils ont essayé de te contrôler, toi et tous les autres. Mais ça va aller maintenant. Vous êtes en sécurité. »
Taranis s'approcha, ses yeux parcourant la scène, toujours sur ses gardes. « Ce n’est pas terminé. Ce que nous avons combattu ici n’était qu’une petite partie des forces en jeu. »
Cernunnos hocha la tête. « Mais pour l’instant, vous avez repoussé les ténèbres. La Terre a besoin de plus d’âmes comme la vôtre, Emma. Des âmes prêtes à se battre pour l’équilibre, pour la vie. »
Emma sentit une vague d’émotions la submerger. Elle avait repoussé une menace qui dépassait tout ce qu’elle avait jamais imaginé. Elle avait ramené ses amis, mais à quel prix ? Cette bataille était-elle vraiment terminée ?
Elle ne le savait pas encore, mais elle comprenait qu'elle n'était qu’au début d’un long chemin. Un chemin parsemé de défis, de créatures et de dieux anciens, mais aussi de choix difficiles à faire. Le destin de la Terre reposait peut-être entre ses mains, et elle était prête à tout pour la protéger.
Les couloirs de l'école, bien que encore légèrement déformés, reprenaient peu à peu une apparence normale. Les lumières cessèrent de vaciller, et l’air devint moins oppressant. Emma échangea un regard avec Cernunnos et Taranis, un mélange de détermination et de fatigue gravé sur son visage.
« Prête pour la suite ? » demanda Taranis avec un sourire en coin.
Emma prit une grande inspiration et hocha la tête. « Prête. »
Mais au fond d’elle, elle savait que la route serait longue et parsemée d'embûches, et qu'elle aurait besoin de chaque allié, chaque note, chaque once de courage pour mener cette guerre à terme.
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