Chapitre II - Le bal du Cygne (3/4)
La soirée battait son plein et le discours d'ouverture de Lily Dark avait été longuement applaudi. Dix-huit ans et une aisance oratoire déconcertante. Les discussions que j'avais eues ici et là avec mes nouveaux amis m'avaient beaucoup appris. Lors de telles réceptions, l'important était de se faire voir et d'être vu. Personne n'accordait réellement d'importance à la cause humanitaire et les donations n'étaient qu'une question d'égo.
Plus tard dans la soirée, un mouvement de foule similaire au précédent avait de nouveau accaparé notre attention. Surtout celle des hommes. Athéna Dark avait fait une arrivée remarquée bien que tardive, suscitant la joie de sa jeune fille, mais également je l'aurais juré, la forte désapprobation de son époux.
- Ils sont tous comme ça dans cette famille ?
Alyssa et Elena éclatèrent de rire après avoir échangé un regard amusé. Les garçons, quant à eux, s'étaient retirés pour affaire avec d'autres hommes dans un fumoir voisin.
- Intimidants ? avouait Aly. Ouep mais pas que. Tu n'as pas encore vu les fils, Gabriela. Iris couche avec Damian. Il n'y a rien d'officiel. Regarde, elle a pris de la distance depuis l'arrivée d'Athéna Dark et prend bien soin de l'éviter. Ils sont séparés mais encore mariés. C'est un peu une forme de respect...
- Ça fait très primaire, non ?
- C'est vrai, dit-elle avec une moue légère. Mais c'est comme ça que les choses se passent ici.
- On est chez les loups. Elena fit mine de mordre. Maman Dark est puissante, même sans son mari. Elle pourrait virer Iris d'un coup de pieds aux fesses si l'envie lui prenait. Elle n'est pas que belle.
Inconsciemment, mon regard s'était attardé sur les protagonistes, ce qui m'avait desservie lorsque j'avais croisé celui d'Athéna, le feu aux joues.
- Et que font les deux fils ?
Mes interrogations pleuvaient, ce qui dérogeait à mes habitudes. J'étais plutôt discrète et respectueuse de la vie des autres, mais il fallait avouer que cette famille mêlait des sentiments contradictoires en moi.
- Bastian est dans les affaires avec son père.
- Selon Pierre, il espère lui succéder à la tête de l'entreprise, reprit Alyssa. C'était couru d'avance. Mais ça s'est un peu compliqué pour lui dernièrement. C'est un original avec pas mal de déboires. Ce qui n'est pas du goût de papa. Il est assez taré dans son genre et la première a en faire les frais, c'est bien sûr sa nana. Il a un frère. On le voit rarement, c'est un rebelle dans son genre. Il a un club, c'est tout ce que j'en sais. Et puis, tu as Lily...
- Juste derrière toi, Moore.
Derrière Aly et sans qu'aucune de nous trois avions pu la voir venir, Lily Dark nous surplombe de toute son assurance, un sourire revêche aux lèvres. Sa rivale, ma meilleure amie, ne se démonte pas et arbore la même arrogance.
- A qui t'es-tu offerte cette fois pour rentrer ? Décidément, tu ne recules devant rien.
Je crois discerner un mauvais rictus sur le visage d'Alyssa. Elle est piquée au vif mais sa fierté lui interdit toute transparence. Je redoute un affrontement physique et m'approche.
- Et tu es venue avec ta garde rapprochée.
La jeune femme me dévisage de haut en bas durant un temps infiniment long.
- Lily Dark. Mais j'imagine que ton amie t'as déjà parlé de moi. C'est l'une de mes groupies.
Son air amusé n'apaise pas l'atmosphère étouffante dans laquelle nous sommes plongées depuis son intervention. Je me ressaisis et tente d'adopter un air faussement détendu.
- Gabriela. Gabriela Carter. Je...
L'adolescente hausse un sourcil et secoue la tête, comme pour chasser une mauvaise vision et me coupe l'herbe sous le pied.
- Peu importe.
Aïe. Je me racle la gorge et me détourne de son oppressante attention. Je réalise à cet instant que j'avais sous-estimé l'image que lui avait collée ma meilleure amie. Pétasse.
Fort heureusement, l'affrontement est interrompu par ses obligations et notre rencontre me laisse bête et désarmée. Je remarque à peine l'accolade d'Elena qui se veut être compatissante.
- Ne t'en fais pas, ça aurait pu être pire.
Abasourdie, je délaisse la flûte en cristal encore emprisonnée entre mes doigts devenus moites. Prétextant le besoin de me rafraîchir, je m'éclipse et je me retire à mon tour à la recherche d'une salle d'eau. La splendeur de l'hôtel se poursuit à travers ses murs et je rêvasse au fil de mon escapade. Il ne m'avait jamais été donné de pénétrer dans un bâtiment au si grand luxe. C'était un privilège de pouvoir y circuler librement dans un rôle autre que celui de l'employée que j'aurais seulement pu être. Les voix se taisent progressivement et les notes de musique laissent place au silence le plus total, à demi perturbé par le bruit de mes pas sur le carrelage blanc d'un interminable couloir.
Soudainement, au bout de celui-ci, le bruit d'un vase qui s'éclate avec force au sol. Une porte entrouverte laisse s'échapper des éclats de voix qui m'obligent à me faire plus discrète dans mon approche. J'hésite un court instant à rebrousser mon chemin et me fait percuter par une femme dans sa course. Dénudée et en larmes, celle-ci n'est pas une des nombreux convives mais une serveuse plus tôt aperçue en service.
Légèrement en retrait et dans l'entrebâillement de la porte, j'aperçois Pauline Dark en compagnie d'un homme. J'ignore qui il est mais tous deux se disputent violemment. Je devine rapidement qu'il n'est autre que Bastian. A demi-nu, la chemise déboutonnée et le pantalon à mi-cuisses, ce dernier se rhabille avec nonchalance et semble se tempérer face à une épouse déshonorée.
Soudainement, et dans un élan de brutalité calculée, l'homme adultère saisit sa femme par la gorge et la plaque avec force contre le billard sur lequel il semblait faire ses affaires avant d'être pris sur le fait.
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