Chapitre II - Le bal du Cygne (4/4)
- Pauline... murmura-t-il d'une voix suave à quelques millimètres de ses lèvres. Te souviens-tu de ta dernière scène et des vilaines conséquences que celle-ci a engendré ? Hum ? Est-ce que tu t'en souviens, bébé ?
Je frissonne. Mon cerveau est en alerte. Devrais-je intervenir ? Appeler à l'aide ou même la police ? Ignorante. La voix dans ma tête se fait insultante à mon égard. Qui oserait mettre le nez dans les affaires conjugales d'une famille aussi puissante ? Les sous-entendus de mon amie devenaient soudainement très clairs. Mon cœur était au bord de l'explosion et ma culpabilité, elle, à un sommet jamais atteint jusqu'ici. Face à moi, la scène devenait insoutenable. Le prédateur s'amusait avec sa proie et celle-ci souffrait tant que seules de faibles supplications, inaudibles, parvenaient à s'échapper de sa gorge.
- Tu t'es perdue, petit cygne ?
Prise en flag. Dans la pénombre, une voix mielleuse s'amuse de mon indiscrétion. La silhouette de son propriétaire est difficilement perceptible. Ma tenue justifiant le sobriquet, j'émets un rire nerveux.
- On dirait. Je cherche mon prince.
Nous restons de longues secondes à nous observer sans l'émission de la moindre parole. Mon interlocuteur tire de longue lattes sur sa cigarette avant d'enfumer l'habitacle. Inutile de rester plantée là plus longtemps. J'hésite à saluer le fantôme de ces murs et tourne les talons.
- Il est mort.
Sa réponse, inattendue, me coupa dans mon élan avant que je ne pivote en sa direction.
- Qui ?
- Le prince, souffle la voix en écrasant sa cigarette sous sa chaussure avant de se redresser. Toi aussi, d'ailleurs. Vous êtes morts tous les deux.
Le Lac des cygnes. C'était mon ballet préféré. L'histoire était des plus tragiques mais c'était ce qui lui rendait de loin sa féerie.
- Il existe également des versions plus heureuses.
- Pour faire rêver les petites filles... avoua-t-il en faisant quelques pas dans ma direction. Tu es de ce genre-là ?
- Pas vraiment.
Je reculais sans m'en rendre compte.
- La mort nous met sur un même pied d'égalité. A mes yeux, elle rend les personnages plus accessibles. C'est ce que j'aime.
Le reflet de la lune m'offre une vue légère sur l'homme mystère en mettant en évidence une bouche bien construite et une barbe légère et soignée. En costume, lui aussi est masqué. Il dégage un flegme imperturbable et niche ses mains dans les poches de son pantalon. La chevalière qu'il porte à la main droite renvoi son éclat à la lune. Lui n'est pas un employé.
- Gabriela.
- Je sais.
Je ne cerne pas le sens de sa phrase sur l'instant. Deux petits mots anodins qui me dénude de toute part de mystère. J'avais pour certitude de connaître l'identité de chaque personne avec qui j'avais échangé au cours de cette soirée. Lui n'en faisait pas partie.
- Tiens, tiens... qui voilà. Notre petite voyeuse.
De la pièce à travers laquelle j'avais zieuté plus tôt sortait à son tour Bastian Dark, s'allumant à son tour une cigarette et plaquant son insolente chevelure en arrière.
- Ce n'est pas beau d'écouter aux portes, feint-il de me sermonner en boutonnant les boutons de manchettes de sa chemise. Mais tu as choisi de regarder. J'espérais que tu te serais jointe à nous. Aurais-je été trop brutal pour toi ?
Le feu me monte une seconde fois aux joues, à l'instar du moment où mes yeux avaient croisés ceux de sa maternelle. L'intensité de ses yeux d'un noir profond dans les miens m'irradient la colonne vertébrale, me faisant oublier l'air frisquet environnant. Je le sens me sonder, comme à l'affût de chaque réaction. Désirait-il me faire peur ? Mes jambes se transformaient en coton sous mon poids.
- Bastian, se faisait-il rappeler à l'ordre. Dégage.
Le ton du premier fumeur s'était fait autoritaire.
Bastian, lui, n'avait pas bougé d'un cil. Au contraire, ce qu'il avait pris pour une menace semblait l'exciter et l'encourager à réduire la distance qui nous séparait. Je me retrouvais alors acculée contre le mur et pouvait sentir son haleine lourde et alcoolisée. Vulnérable et seule face à deux inconnus.
Mais avant que je n'ai eu le temps de tenter de me dégager de son emprise, une main forte s'était posée sur l'épaule de l'héritier. L'ombre se voulait être mon protecteur. Je n'étais peut-être pas réduite à ma perte finalement.
- Rejoins tes amis, petit cygne. Je m'occupe du sorcier.
Je ne me fis pas prier pour obéir et mes jambes me ramenèrent maladroitement hors de leur vue jusqu'à Alyssa, élégamment entourée comme à son habitude. La soirée battait son plein mais les événements laissaient en moi un goût amer. Je ne parvenais pas à me libérer de ces images, ni même de mes émotions et fut soulagée lorsque mon amie m'incita au départ.
- J'espère que tu n'as pas profité de mon absence pour tuer Lily ?
Aly émit un grognement.
- Ne me tente pas.
Bras dessus, bras dessous, nous nous dirigeons vers la sortie. Elena et Pierre étaient déjà partis, à mon plus grand regret, mais ce n'était que partie remise. Quant à Daniel, je ne l'avais plus vu de la soirée mais sa faible promiscuité avec Aly m'assurait des retrouvailles prochaines.
Face au nombre incalculables de potins, je n'avais pas pu conter ma mésaventure à l'énergumène qui m'accompagnait mais nul ne doute que j'en aurai l'occasion dans la soirée avant notre coucher en débriefant comme nous en avions pris l'habitude.
C'était sans compter la présence de l'homme posté au sommet de l'escalier intérieur en fer-à-cheval. Il m'était impossible de me décrocher de lui, hypnotisée et égarée dans l'azur de ses yeux. Mon trouble semblait l'amuser.
- Aly ? chuchotais-je sans prendre la peine de me cacher. Tu le connais ?
La brunette releva la tête dans la direction indiquée alors qu'on l'aidait à enfiler son manteau.
- Et comment, souffla-t-elle. C'est Nicholas Dark. Pourquoi ?
C'était lui. La voix.
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