Chapitre III - Loin du froid de décembre... (1/4)

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Deux heures, quarante-cinq minutes. Alyssa est affalée sur mon lit, se laissant porter dans son agonie. « Je réfléchis » m’a-t-elle affirmée, plus convaincue que convaincante, avant que je ne saute sous une douche brûlante. Mon unique sortie du week-end ne s’était pas éternisée mais fut riche en rebondissements. Plus que d’accoutumé, je m’étais attardée dans la salle d’eau, perdue dans mes songes. Des flash-back plein la tête, prisonnière des frères Dark et de leur obscurité. Je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer les différentes tournures qu’auraient pu prendre le cours de la soirée si l’ombre m’avait abandonnée à mon triste sort. Si Nicholas Dark ne s’était pas interposé.

– Aly ? insistais-je. Il faut que je te parle. Réveille-toi.

L’épave humaine se débat et geint face à mon insistance. Elle ouvre un œil, fébrile. Puis le second et les deux.

– Tu ne vas pas vomir, hein ?

Assise à ses côtés, je chasse une mèche de son visage sur lequel le maquillage a lourdement bavé.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle se redressa subitement.

– Tu t’es envoyée en l’air et tu ne sais pas comment me le dire ? J’espère que c’était un bon coup au moins !

Elle tangue sous l’effet des représailles et s’esclaffe devant son humour douteux.

– Tu t’es protégée ?

Je roule des yeux devant sa témérité. Elle était aussi lourde qu’un homme pouvait l’être lorsqu’elle s’aventurait sur ce terrain. Lui assenant un coup à l’aide de mon oreiller, je calais celui-ci contre mon ventre et m’y lovais.

– Arrête.

Je prie une profonde inspiration.

– Il s’est passé quelque chose à la levée de fonds.

Quand je me suis absentée, je suis tombée sur une scène assez difficile à regarder alors que je cherchais les toilettes. Tu avais raison au sujet de Pauline Dark et de son mari.

J’avais enfin réussi à capter l’attention de la jolie brune, toute ouïe face à mes déclarations. A présent en tailleur, son regard m’invita à poursuivre, m’accusant d’en dire trop ou pas assez.

– Bastian Dark était accompagné dans l’une de ces pièces par une autre femme… une serveuse. Elle les a surpris en sentant certainement l’entourloupe et elle a complètement pété les plombs. C’est parti en vrille.

– Il l’a cognée, c’est ça ?

Je grimace en ne sachant que faire de mes mains que j’entortille entre elles.

– C’est choquant ce que je vais te dire, soupira-t-elle. Mais ça se sait et personne ne pourra rien y faire. Ce n’est pas la voisine du troisième étage sur laquelle le mari alcoolo frappe lorsqu’il a bu un verre de trop. Ce mec est vicieux et puissant. Si tu interviens, non seulement elle ne partira pas, mais…

– Mais les choses pourront se retourner contre moi. Je sais.

Elle acquiesce en joignant ses mains aux miennes, consciente de la peine qui me hantait.

– Ils se sont mariés sans ne jamais s’aimer. C’est un mariage de convention que les pères respectifs ont jugé bon pour leurs affaires. Rien de plus, hélas.

Elle bu une gorgée du chocolat chaud que je lui avais porté lors de son petit somme.

– Et elle ne parvient pas à lui donner d’enfant. C’est une tare dans ce milieu quand il est question d’héritage et de la pérennité de l’entreprise. Ils sont très fermés.

Mon empathie me poussait à trouver l’épouse Dark plus attachante que n’importe lequel des autres membres de la famille. Pourtant, nous n’avions échangé aucun mot.

– Enfin, poursuivais-je. Je suis restée en retrait à peser le pour et le contre quand on s’est adressé à moi. Dans le noir, il m’était impossible de voir qui c’était. Jusqu’à ce que je le reconnaisse à la fin de la soirée.

Je lui intima de rester silencieuse lorsque bouche et yeux s’écarquillèrent.

– Oui, c’était bien Nicholas Dark. Il a pris ma défense lorsque son frère s’est montré trop entreprenant avec moi une fois qu’il en a eu fini avec Pauline. C’était… flippant.

– Quel enfoiré ! s’insurgeait Aly en cumulant les noms d’oiseaux à l’égard de Bastian. Qu’est-ce que vous vous êtes dit avant ça avec Nicholas ?

Nous avons continué d’échanger un moment sur les circonstances de notre rencontre avant de nous écrouler de fatigue. Alyssa m’avait précédée sans grosses difficultés, et moi, j’avais fixé le plafond un moment avant de me sentir apaisée.

Huit heures, sept minutes. J’étais aussi cernée qu’un braqueur de banque. Les cheveux en bataille regroupés en un vulgaire chignon et affichant les cernes d’une courte nuit, je m’attelais à mettre de l’ordre dans l’espace que nous avions saccagé la veille en rentrant. Du café. Cette drogue brune répondait au puissant appel de mes veines. Alyssa, elle, dormait à poings fermés et paraissait imperturbable. Elle n’émergerait pas avant quelques heures.

– Elle est encore tombée dans le champagne ? lançait une voix rieuse.

Mon père était planté sur le seuil de la porte et se moquait de celle qui était pour lui sa seconde fille. Le coussin qu’il lui lança en pleine tête ne déclencha pas plus de réactions.

– Elle est très maladroite. Tu le sais bien.

Il me donna une bise appuyée sur la tempe avant de me suivre à l’étage inférieur. La table était déjà prête pour le réveil de la fratrie et j’étais heureuse de voir que la maison n’avait pas totalement été retournée en mon absence. Rachel avait assuré le service de la veille à ma place, ce qui avait nettement facilité le travail de mon père. Je lui en étais reconnaissante.

– Et si tu allais courir ?

La proposition me surprenait autant qu’elle m’intéressait. J’avais commencé à courir plus pour évacuer la pression que par attrait pour le sport mais j’avais vite affectionné ce nouveau loisir. Je pouvais alors profiter de ce temps d’accalmie dominical pour me remettre dans le bain.

Me changeant et enfilant mes baskets, encouragée par la musique dans mes écouteurs, je quittais le domicile au pas de course et longeais l’allée principale du restaurant pour emprunter mon itinéraire habituel afin de rejoindre les sentiers boisés de la forêt voisine.

Le jour se levait progressivement, chassant avec peine l’obscurité matinale de la période hivernale qui tendait à s’éterniser. Le rythme entraînant des musiques qui se succédaient dans mon téléphone portable maintenait ma motivation et m’aidait à faire abstraction de la difficulté que j’éprouvais à reprendre la course. L’air glacé me brûlait les narines à l’inspiration et mes membres inférieurs s’étaient alourdis à l’effort mais je m’accrochais et j’adoptais un rythme régulier. L’humidité et les pluies importantes de ces derniers jours rendaient le parcours difficile à aborder.

Étrangement tôt, la sonnerie de mon portable me força à m’arrêter. Aiden ?

– Attend-moi ! m’intima-t-il à l’autre bout du fil, essoufflé.

A quelques mètres derrière moi et à vive allure se rapprochait Aiden avec un franc sourire aux lèvres.

– C’est notre discussion d’hier qui t’as motivée ?

Nous reprenions la course ensemble.

– Je t’avoue que ce n’était pas prévu ! avouais-je, le souffle saccadé. Mon père m’en a aussi parlé ce matin et j’ai trouvé l’idée bonne. Alors… me voilà !

Il hocha la tête alors qu’il m’avait déjà devancé d’un petit mètre. Je tirais sur mes jambes pour éviter qu’il ne creuse encore un peu plus l’écart.

– Tu cours souvent ici ?

– Pas du tout. Je t’ai vu rentrer dans les bois.

J’acquiesçais. Je courrais toujours seule mais sa compagnie m’était agréable et rassurante. Je n’avais jamais vu Aiden sous une forme autre que celle d’un voisin, et l’avoir à mes côtés dans un autre contexte que celui du restaurant me le montrait sous un aspect différent. C’était un beau jeune homme et Alyssa n’avait jamais manqué de me le faire remarquer. A de multiples reprises et d’autant plus depuis le retour de ce dernier, elle s’était improvisée entremetteuse et espérais faire évoluer notre relation, certaine de l’attirance d’Aiden envers moi.

La distance parcourue se creusait au fil de nos discussions et des nombreux sujets que nous abordions. J’en apprenais ainsi d’avantage sur ses années universitaires en Europe, sa passion pour la musique et sa relation passée avec une certaine Rebecca, une italienne rencontrée à Florence qui avait partagé son goût pour les road trip. Les nombreux pays qu’ils avaient visités ensemble et qu’il énumérait avec la même nostalgie dans les yeux me laissait à mon tour rêveuse. Je rêvais depuis l’enfance de l’Afrique et de ses safaris, de l’Asie et de sa nourriture, des Caraïbes et de ses paysages paradisiaques. La liste était sans fin.

Le retour d’Aiden avait été douloureux. Il était redevenu le jeune homme sympathique et apprécié du quartier qui avait pris vingt bons centimètres depuis l’adolescence, en nettement moins boutonneux. Les ailes lui avaient été brutalement coupées mais sa passion pour la musique, elle, avait demeuré et l’animait pleinement.

– On a formé un groupe avec une bande de potes, avouait-il fièrement en s’étirant sur le tronc d’un arbre mort au sol. Ça te dirait de venir nous voir jouer un de ces soirs ? On joue chaque jeudi dans un bar pas très loin de chez Alyssa.

– Pourquoi pas ? Elle pourra se joindre à nous ?

Il accepta instantanément ma requête comme je m’étais laissée aller à la sienne avant de s’excuser. Son père avait besoin de son aide pour divers travaux dont je ne comprenais pas bien les termes et notre excursion l’avait porté plus loin qu’il ne l’aurait cru. Je poursuivais ainsi seule en retrouvant le bord de la route. Bien que le jour fut levé, je ne vis pas la masse brune qui emboîtait mécaniquement mes pas.

A ma hauteur, celle-ci stoppa son élan pour imiter le mien. Je manqua de me tordre la cheville et ôta mes écouteurs. De la coûteuse berline s’abaissait une vitre arrière teintée à travers laquelle je ne pouvais qu’être vue.

– Monte.

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