Chapitre V - Un peu de feu, beaucoup de fumée (1/2)
– Du nouveau ?
Mon premier sens s’éveillait. Ne captant que ce qui se rapprochait de chuchotements inaudibles par instant, je comatais encore lourdement.
– Elle pionce encore.
– Où est le flic ?
Un son sourd sonna à proximité.
– C’est une affaire réglée. Comme le reste.
– Je vois, acquiesça la voix féminine. Que vas-tu lui dire ?
– Rien qui la regarde.
L’air se fit électrique tandis que je retrouvais difficilement la vue.
– Et tu penses qu’elle se contentera de ça ? Elle ne m’a pas l’air stupide cette gamine.
– Tu m’emmerdes, Joséphine.
Ma jambe fut prise d’un spasme incontrôlé, générant le bruit d’un frottement contre les draps.
– Elle se réveille.
Les silhouettes s’éloignèrent de la pièce pour regagner l’étage inférieur. J’ignorais le temps qu’avait pris mon agonie, mais la convalescence était rude. Mon cerveau, lui, me comprimait avec allégresse et mes oreilles sifflaient. J’en grimaçai et portai mes doigts jusqu’à mes tempes.
Je tentais de reprendre l’ascendant sur la situation, fouillant dans mes souvenirs. Ces derniers manquaient de netteté. Je baissais les yeux.
Sous le tissu satiné, je constatais la nudité de mes jambes, vêtue d’une chemise trop grande pour moi. Seuls mes sous-vêtements restaient inchangés.
– Il n’arrête pas de l’appeler. Tu devrais t’occuper de ce détail aussi. Sauf si tu souhaites voir débarquer les flics ici une nouvelle fois ?
– Charges-en-toi. Pareil pour sa voiture.
Mon cœur loupa un battement. De quoi devait-elle se charger ? Pourquoi ? Je me tirais du lit pour me rapprocher des voix. Mes premiers pas furent incertains. Telle une espionne, je tendis une oreille en direction des escaliers, dos au dernier panneau de mur de la chambre.
La complice disparut sous sa cape, plantant son commanditaire au milieu de la pièce. Les mains dans les poches de son jean, Nicholas soutint la fuite de Joséphine quelques secondes, l’air songeur.
Il se reprit en venant chercher le col de son t-shirt dans sa nuque pour s’en débarrasser. Le feu monta à mes joues lorsque le vêtement glissa le long de son dos. Sa musculature saillante dévoilait une parcelle de peau entièrement tatouée.
– Jolie chemise.
Mes yeux trouvèrent les siens dans le miroir du séjour. Démasquée, je me décollais du mur.
– Où est-elle allée ?
Nicholas me fit face. Ses iris arboraient toujours fièrement la même flamme suffisante.
– Jusqu’à ta caisse.
– Pourquoi ? Et qu’est-ce que je fais dans cette tenue ?
– Comment tu te sens ? bifurquait-il en échappant à mon champs de vision.
– Tu ne m’as pas répondu, Dark.
Dans son indifférence habituelle, l’apollon poursuivait ses activités dans la cuisine. Précautionneusement, je le retrouvais, parcourant le parquet grinçant de l’appartement. La décoration était affirmée et luxueuse, quoi qu’épurée, et les murs vertigineux. La musique ambiante, discrète, était un rappel à celle qui m’avait accompagnée une première fois à la demeure de l’héritier. Je me postais devant lui, l’îlot central faisant guise de frontière entre nos deux corps.
– Toi non plus.
Il afficha une moue amusée entre deux gorgées d’alcool fort.
– Pour la déplacer.
Devant ma mine surprise, il se pencha en avant, ses poings tapotant la surface lisse du meuble.
– La police est à cran depuis quelques heures dans le quartier. Rien de plus.
– La police, répétais-je en un souffle, arquant un sourcil en fixant ses mains. L’homme dans la ruelle, l’uniforme… Bon sang ! Qu’est-ce que tu as fait ?
Des flashs me revenaient par bribes. Je me retins au dossier de la chaise la plus proche. Mon départ du club, l’intonation, le meurtre… et ces hommes, ma chute.
Un sentiment d’angoisse me submergea et un voile humide couvrit mes yeux. Ma main tira le tissu de la chemise sur mes jambes encore trop découvertes.
– Ils ne t’ont rien fait, Gabriela. Je t’ai vue tomber et j’ai eu le temps d’intervenir. C’est Joe qui t’as changée et je t’ai mise au pieu.
– Et… et… balbutiais-je en posant une fesse sur le siège. L’autre homme ?
– Le flic ?
Je hochais la tête.
– Mort.
Nicholas me scrutait. Le défi l’avait quitté, à l’affût du moindre signe de réaction négative.
– Mais…
Je secouais la tête. Quittant la chaise, je l’enfouis entre mes paumes.
– Je veux rentrer chez moi. Il faut que j'y aille. Où sont mes affaires ?
Je balayais l’espace du regard, prenant le chemin de la chambre au second étage.
– Minute.
Dark m’avait emboîté le pas tout aussi décidé que je ne l’étais. Pressée, je n’eus pas le temps d’atteindre la première marche que mon ventre heurta le bras du brun ténébreux. Ma tentative de forcer le passage ne lui fit aucun effet.
– Ne me touche pas ! Laisse-moi passer !
Froidement mais sans violence, il me repoussa deux petits mètres en arrière.
– Calme-toi.
– Me calmer ? m’emportais-je, hallucinée. Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans ta tête à la fin ? Il y a encore deux jours, j’avais une vie des plus normales, et là... ?
– Et là ?
– Et là, en quelques heures, je pourrais me retrouver accusée de pas moins de trois chefs d’inculpation dans deux crimes différents dont l’un mêlant un membre des forces de l’ordre ! Et tout ça ? A cause de…
Nicholas rapprocha son visage du mien, les lèvres imbibées et sa glotte déglutissant l’eau de vie dont l’odeur boisée me répugnait.
– Pas faux. Tu es restée impassible devant les violences de mon frère. Et, manque de peau, tu as été le témoin du meurtre d’un agent de police. Pendant qu’il agonisait, tu t’es enfuie et alors que ses collègues patrouillent le périmètre en ce moment même, à la recherche du coupable ou d’un éventuel témoin. Et toi… dit-il en calant son avant bras sur le mur, à quelques millimètres de ma joue. Encore, toi, tu te trouves chez moi sur cette même rue, dénudée et indifférente à ce qu’il se passe ici bas…
– Ça ne s’est pas passé comme ça ! lui criais-je, révoltée.
– Possible, murmura-t-il à mon oreille. Cet homme prenait sa retraite à la fin du mois. Il était marié depuis trente ans et laisse derrière lui une femme cancéreuse, des gosses et leurs mioches. Son fils est mort en héros en Afghanistan. Tu n’as donc jamais été la fille de quelqu’un, Gabriela ?
Je respirais avec difficulté devant de telles accusations mensongères.
– Tu es monstreux...
– Toi aussi, tu es monstrueuse, retournait-il en posant sèchement son verre sur une étagère voisine. Enfin, c’est ce que tout le monde croira.
– Mais je n’ai rien fait !
– C’est ce que je dis. Une touriste soutiendrait avoir vu deux hommes armés accompagnés d’une jeune femme dans la ruelle où le cadavre a été retrouvé. Un aller à la cabine téléphonique la plus proche et il n’y avait plus personne à son retour. Seulement le macchabée.
Ses yeux gris partaient à la conquête des miens. Son index et son pouce prirent possession de mon menton avant que ce dernier ne vienne caresser superficiellement ma lèvre inférieure.
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