Chapitre V - Un peu de feu, beaucoup de fumée (2/2)
– Impossible de ressortir quoique ce soit des images de vidéosurveillance. Pour des raisons techniques, évidemment.
J’en étais dégoûtée.
– Tu es le Diable en personne, crachais-je en rejetant son étreinte.
Trois heures, vingt-neuf minutes. Entre deux coussins, je me perdis dans les flammes de la cheminée électrique. La chaleur de la tasse réchauffait mes mains glacées. Secrètement, j’échafaudais mon évasion. Je ne pouvais quitter la garçonnière dans cette unique tenue, si on pouvait considérer que la chemise de mon geôlier en était une. Observant celui-ci du coin de l’œil, le parfum chocolaté de la boisson s’atténuait au profit de la fragrance enivrante qui recouvrait le col de l’habit. Caractérielle, saisissante et masculine, mêlant une impossible association de douceur et de barbarie.
Plus tôt assis à son piano, Nicholas Dark s’était laissé aller à une démonstration surprenante. Ses doigts parcouraient les touches avec aisance, maniant tant les noires que les blanches avec une maîtrise que je lui enviais.
Nous n’avions pas échangé un mot depuis l’épisode du réquisitoire, mais dans un éclat de bonté insoupçonné, il m’avait une nouvelle fois approchée, un chocolat chaud en guise d’offrande, avant de s’asseoir à l’extrémité du canapé. Une sonnerie se fit retentir.
– Maintenant ? s’enquit-il, le combiné à l’oreille et la mine inquiète. Laisse-le entrer.
Nous nous dévisageâmes en chiens de faïence.
– Nicholas ?
Je me levais avec prudence.
– Petite visite de courtoisie, grogna-t-il, peu enclin à bavarder.
Alors que j’allais prendre les jambes à mon cou en direction de la chambre dans laquelle je m’étais retrouvée inerte quelques heures plus tôt, la porte s’ouvrit et dans un élan incontrôlé, je me retrouvais attirée puis soulevée à califourchon sur Nicholas par la seule force de ses bras.
Sa bouche vint s’écraser sur la mienne, et celle-ci, s’entrouvrant pour protester, se fit forcer le barrage par la langue de l’héritier. Embarquée de force dans une danse langoureuse, mes mains prirent appui contre ses épaules pour m’en dégager. Sa main dominante se perdit dans les boucles de mes cheveux qu’il délivra alors que la seconde prenait possession de ma chute de reins.
– Ne résiste pas, ordonna-t-il tout bas entre deux assauts. C’est un agent fédéral.
Un courant électrique parcourut ma colonne vertébrale. Raidie, j’abandonnais ma lutte.
– Dark, l’interpella une voix forte après s’être raclée la gorge une première fois, sans grande réussite.
– Navrée, chéri, lui succéda une voix devenue familière. Je lui ai dis que tu n’étais pas seul mais cet imbécile s’est pour le moins montré... insistant.
Mordant sa lèvre dans l’espoir de lui décrocher une réaction, et l’arrêt de cette mascarade, l’intéressé releva la tête.
– Ryan ! s’exclama-t-il en refusant mon retrait, ses mains emprisonnant fermement mes lombaires.
– Pour toi, c’est agent Pearson, espèce de petit enfoiré.
Timidement, je pivotais ma tête en la direction du nouveau venu. Grand, matte, le crâne rasé et peu commode.
– Ma belle, tu veux bien venir avec moi ?
Joséphine avança d’un pas sur le flanc du visiteur. Incertaine, je jaugeais Nicholas comme pour intimer sa permission, ce qu’il m’accorda.
Honteuse, je saisis la main tendue de la pin-up qui recouvrit mes épaules sous son aile protectrice, m’entraînant finalement dans la chambre.
– Douglas s’est fait descendre à la sortie de ton bar à putes. On recherche trois suspects. Deux hommes d’une trentaine d’années, caucasiens et sans doute frères. Peut-être jumeaux. Avec une nana. Brune, blanche, une queue de cheval, plus jeune. T’as des infos ?
L’importance de la discussion qui se déroulait ici bas était moindre face aux émotions qui m’avaient submergées quelques secondes plus tôt. Le baiser de Nicholas, la chaleur de sa peau presque étouffante… je me postais devant la fenêtre, portant mes doigts à mes lèvres. Je pouvais encore y sentir les siennes. Ce n’était pas le premier baiser que j’avais imaginé.
– Pourquoi a-t-il fait ça ? demandais-je avec une totale innocence à Joe.
Ma question parut la surprendre.
– Tu l’ignores ?
Elle émit un rire amusé et se posta à mes côtés.
– Les bougres qui t’ont agressée étaient dans le collimateur de Nicholas depuis quelques mois. Le policier qu’ils ont éliminé était véreux, comme beaucoup ici. Ils faisaient affaires ensemble. Si nous t’avons empêchée de t’en aller, ma belle, c’est uniquement pour ta sécurité. Un témoin a mal interprété ce qu’il a vu et nous avons dû prendre certaines mesures. Les flics te pensent dans le coup même si ils ignorent encore ton identité.
Elle m’adressa une caresse légère sur l’épaule et se dirigea au bout de la pièce avant de se retourner.
– Oh, Gabriela ! Pour le baiser, c’était surtout parce qu’il en avait envie depuis un moment.
Elle me fit un clin d’œil complice et disparut dans une pièce voisine alors que les hommes semblaient avoir réglé leurs différents sans heurts. C’est Joséphine, à nouveau, qui se chargea de reconduire l’agent à la sortie.
– Ton téléphone. Et tes clés.
Refaisant surface, mon hôte lança les affaires confisquées sur le lit et ceux-ci se perdirent dans sa literie. Je le fusillais du regard, lasse de son attitude.
– Je suis libre ?
Je serrais les poings.
– Tu l’as toujours été, souffla-t-il à mon oreille.
Cette nouvelle proximité me fit enrager. Je le repoussais sans ménagement.
– Ne m’approche pas.
Épuisée, endolorie et morte de peur, un flot de sanglots étranglait ma gorge. Je luttais de toutes mes forces contre l’émotion et ravalais mes larmes.
– Sinon ?
Sa main m’empêcha, comme à son habitude, de fuir une énième fois face à sa menace. Sa présence m’inquiétait plus que l’idée de me retrouver de nouveau face à mes agresseurs. Mais cette fois, dans un élan incontrôlé, ma main atterrit sur sa joue en un bruit sec et violent. Ses yeux s’étaient tout aussi brutalement tournés vers le mur avant de revenir à moi, et malgré leur clarté, j’y discernais un monstre.
Cinglée ! La folie laissa rapidement place à la panique. Bien que justifié, je regrettais mon geste et en redoutais le retour de bâton. Je fis un bond lorsqu’il se mouva en ma direction.
– Vraiment ? s’enquit-il en serrant les dents. C’est tout ce que tu as ?
– Tu étais prévenu. A quoi tu t’attendais ?
Agité et nerveux, il passa sa langue sur ses lèvres.
– Plus d’ardeur.
– Pervers, crachais-je face à son allusion.
Comme insatisfait, Nicholas continua à frôler l’interdit. Plus prudent, il avança sa main vers ma joue, puis vers une boucle rebelle qui couvrait partiellement mon visage et qu’il repoussa sur mon omoplate.
– Pucelle, souffla-t-il à mon oreille en s’éloignant, m’infligeant une main aux fesses à son passage.
Le retour de Joséphine me coupa l’herbe sous le pied et m’empêcha de répliquer. Le regard désapprobateur qu’elle infligea à son associé ne le fit aucunement sourcillé.
– Ne rentre pas dans son jeu, m’assura-t-elle avec une douceur rassurante une fois seules, mes vêtements sur le bras. Nicholas se comporte comme un petit garçon dans la cour d’école avec les filles.
– Il est donc retardé ?
Elle ria avec bienveillance en se déchargeant de mes habits.
– Habille-toi, ma jolie. Nous te ramenons chez toi.
Et ne t’en fais pas pour ton père. Je me suis permise de répondre à ses messages à ta place. C’est un homme qui tient beaucoup à sa petite fille. J’aurais aimé avoir le même. Tu as de la chance.
Quatre heures, vingt-deux minutes. Le cube métallique atteignait son ultime pallier. A l'ouverture de ses portes, une bourrasque glacée nous secoua, Joe et moi. Deux voitures nous faisaient face. était la Ford familiale, dissimulée par ma protectrice, tandis que l'autre était d'un plus grand luxe. Ses phares me mirent en joue et m'aveuglèrent. A son bord, son propriétaire afficha une énième moue moqueuse, escorté par l'une de ses travailleuses de nuit. Puis, dans une brève accélération et des crissements de pneus largement exagérés par la résonance du lieu, il déserta.
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