Chapitre 4 - Le Serviteur
La porte s’ouvrit en grand devant elle, découvrant un immense salon plongé dans l’ombre. En avançant de quelques pas, elle découvrit une magnifique cheminée de pierre où brûlait paisiblement un feu, réchauffant toute la salle. Quelques lampes éparpillées donnaient à la pièce une ambiance tamisée chaleureuse qui lui sembla tout de suite moins effrayante que le long couloir plongé dans les ténèbres.
Devant la cheminée se dressaient quelques fauteuils et un canapé brun recouvert de plaides aux couleurs pastel. Elle s’en approcha et effleura le mobilier du bout des doigts. À côté de l’un des fauteuils, elle trouva une petite table où elle déposa sa lampe à huile. Elle sentit alors sur elle la chaleur du feu de cheminée et se sentit tout de suite mieux.
En observant plus attentivement la pièce, elle découvrit une immense bibliothèque juste derrière elle, encadrant la porte qui venait de se claquer. Quelques tableaux à la peinture ancienne décoraient les murs et à gauche du feu… une fenêtre !
Elle resta figé un instant, peinant à y croire, puis, tout en souriant, elle se mit à courir jusqu’à l’immense fenêtre à double battant qui lui faisait face. Elle plaqua les mains sur le verre, impatiente de découvrir enfin où elle se trouvait et soulagée de pouvoir enfin voir le ciel. Pourtant, rien de ce qu’il se trouvait dehors ne lui donna de réponse. Son sourire retomba à plat et se transforma en grimace perplexe alors qu’elle découvrait un tout autre monde que ce à quoi elle s’était attendue.
Derrière les vitres s’étendait un gigantesque jardin aux multiples roseraies dont elle ne voyait même pas la fin. Quelques ronces courageuses rampaient même le long des murs extérieurs jusqu’à la fenêtre, comme pour montrer à la jeune fille les boutons de roses qui les couvraient. Pourtant ce n’était pas l’étrangeté des fleurs qui parsemaient le jardin qui la troubla, pas plus que le ciel d’encre qui s’étendait au-dessus de sa tête, mais plutôt la lune. Il ne lui semblait pas avoir jamais vu de lune pareille.
Grande, pleine.
Rouge.
Au loin, elle remarqua les ombres de ce qui semblait être une forêt. Elle voyait à peine le sommet des arbres dans l’obscurité ambiante, mais il lui sembla que la forêt devait faire le tour du domaine, pareille à une barrière protectrice.
Tout était si étrange ici.
Doucement, elle se décolla de la fenêtre, reculant de quelque pas et croisa les bras. Où donc pouvait-elle bien être ?
Soudain, une ombre sur sa gauche l’interpella. En se tournant vers elle, elle découvrit une silhouette bossue dans l’obscurité de la pièce. Elle s’approcha de quelques pas, fronçant les sourcils et plissant les yeux pour mieux voir. Était-ce son imagination où l’avait-elle vu bouger ?
– Mademoiselle ?
Son cœur rata un battement quand l’ombre s’avança d’un pas. Elle sursauta et plaqua une main sur sa poitrine, le souffle court. Quand elle releva les yeux, elle découvrit un petit homme habillé comme un majordome les mains jointe devant sa poitrine comme une prière.
- Bon sang ! s’exclama-t-elle en reprenant sa respiration. Vous m’avez fait peur !
- Que mademoiselle veuille bien me p-pardonner… répondit l’homme d’une petite voix tremblante. Vous faire peur n’était pas mon intention…
Il sortit à petit pas de sa cachette et s’approcha de la cheminée.
- Mademoiselle doit avoir faim et soif… J-je vais vous chercher de quoi vous sustenter… Installez-vous… installez-vous…
Puis il disparut comme une ombre dans un autre coin de la pièce. Le silence retomba sur le salon comme une masse. Elle fixa un long moment l’endroit par lequel il s’était évaporé. Elle n’avait pas vu de porte à cet endroit de la pièce, pas plus qu’elle n’en avait entendu une se refermer. Comment avait-il réussi à sortir d’ici ?
Hésitante, elle s’approcha du canapé en face du feu de cheminée et s’y laissa tomber. Son regard se perdit un instant dans les flammes qui dansaient dans l’âtre. Par moment, elle avait l’impression d’y voir un visage, une silhouette lui faire signe. C’était presque comme si le feu l’appelait, lui demandait de s’approcher. Puis sa conscience la ramena à la raison et elle détourna le regard, observant d’un air distrait la pièce alentour. Son regard se posa alors sur le monde par-delà la fenêtre.
– Quelle étrange lune…
Pleine, et d’un rouge écarlate, elle brillait de mille feux dans le ciel sans nuage ni la moindre étoile de ses rayons pourpres, plongeant le monde extérieur dans une ambiance presque sanguine. Le monde était-il vraiment comme ça ? Même sans avoir de souvenir, elle trouvait cette lune de sang bizarre, ainsi planté dans le ciel. C’était un peu comme de voir une goutte de sang posé sur un rideau noir. Elle se demanda même, pendant une fraction de seconde, si elle n’allait pas couler et tomber sur les parterres de fleurs du jardin.
Rien ici ne lui semblait normal.
– Que mademoiselle excuse m-mon retard… dit soudain une voix derrière elle.
En se retournant, elle découvrit le petit homme, un plateau à la main qui sortait de l’ombre à l’autre bout de la pièce. Il s’approcha à petit pas et posa la plaque d’argent sur la table basse devant elle avant de lui servir une tasse de thé.
– Mais c’est que… je veux dire… les cuisines sont tellement loin… bredouilla-t-il. S-sinon je ne me permettrai pas de v-vous faire attendre… mademoiselle…
Alors qu’il lui tendait une tasse fumante, les yeux fuyants, elle ne put s’empêcher de le fixer. Elle marmonna un merci en prenant son thé, sans quitter des yeux la créature devant elle qui s’afférait à présent autour du feu, manquant de peu de se brûler en posant de nouvelles bûches dans le foyer.
Ce petit homme était parfaitement hideux. Bossu comme son ombre, il avait un teint trop pâle, presque cireux. Ses yeux étaient exorbités, donnant presque l’impression qu’ils allaient soudain sortir de leurs orbites s’il avait le malheur d’ouvrir trop grand les paupières. Ses canines, beaucoup trop longue, dépassaient de sa bouche tordue, un peu comme masque d’oni. Son nez était crochu et aussi tordu que ses oreilles. D’étranges marques recouvraient son visage, comme des cicatrices qui lézardaient sa peau. Ses bras étaient beaucoup trop longs par rapport à son corps et laisser traîner de petites mains boudinées semblables à celles d’un gros bébé.
Elle finit par poser sa tasse sur la table basse et pencha la tête de côté, comme pour étudier plus attentivement la créature difforme devant elle. À genou devant la cheminée, il se battait contre lui-même pour ne pas brûler son vêtement. À la place, il se retrouva couvert de suie.
– Qui êtes-vous ?
Le petit homme sursauta et manqua de poser sa main dans les flammes en se retournant vers elle. Il se releva d’un bond et passa d’un pied sur l’autre, visiblement mal à l’aise.
– Mademoiselle est trop gentille… marmonna-t-il dans sa barbe. Mademoiselle ne devrait pas faire attention à moi… J-je ne suis rien… Oui, voilà… c’est ça… rien…
Elle l’étudia encore un moment avant de se tourner de nouveau vers la lune de sang dans le ciel.
– Où sommes-nous ?
Quand elle reposa les yeux sur l’homme devant elle, elle fut frappée par son expression. Il semblait à la fois enthousiaste et angoissé, comme s’il hésitait à le lui dire.
– Ah ça, mademoiselle ! S’il m’était permis de le dire… Mais je ne peux pas… non, non, non, je ne le peux pas… Le maître ne serait p-pas content, pas content du tout…
– Le maître ?
La créature se figea soudain, fixant de ses yeux globuleux la fenêtre. Il se mit à trembler violemment et devint plus pâle encore que la mort. Suivant son regard, elle fixa le rouge de la lune, se demandant ce qui pouvait bien lui faire peur à ce point. Elle eut une étrange impression et ne put s’empêcher de se lever du canapé et d’approcher de quelques pas. Soudain, l’immense fenêtre s’ouvrit en grand, claquant contre les murs intérieurs. Une violente bourrasque traversa toute la pièce, éteignant le feu, faisant vaciller la lumière des lampes jusqu’à les éteindre complètement. Elle dut se couvrir le visage de ses bras pour se protéger tant le coup de vent fut violent.
Quand tout redevint calme, elle abaissa ses bras et regarda autour d’elle. Le grand salon était plongé dans les ténèbres, seule la lumière pourpre de la lune l’éclairait. Elle se retourna et découvrit que le petit homme avait une fois encore disparut dans les ténèbres.
– Ah, te voilà enfin réveillée.
Elle se retourna d’un bond et découvrit, debout sur le rebord de la fenêtre, un jeune homme de grande taille. Elle ne vit pas tout de suite son visage, caché dans l’ombre. Pourtant, elle avait l’étrange sensation de l’avoir déjà vue quelque part.
– Qui êtes-vous ?
L’homme avança d’un pas et se laissa tomber à l’intérieur de la pièce. Presque aussitôt, les battants de la fenêtre se refermèrent. Doucement, les lumières des lampes se rallumèrent et le feu reprit vie. Elle put enfin voir le visage de celui qui venait d’entrer et en resta bouche bée.
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