Chapitre 6 - Le Livre
Après quelques instants, perdu dans ses pensées, elle se leva de son siège et regarda autour d’elle. Elle fut tout de suite attirée par la bibliothèque au fond du grand salon et s’en approcha à grand pas.
Elle tendit une main vers la rangée de livre, parcourant leurs tranches colorées du bout des doigts, hésitant entre celui-ci et celui-là. Puis finalement elle en prit un au hasard. Elle le tira de son rayon et l’observa attentivement. Sa couverture ne comportait ni titre, ni nom. Elle était parfaitement vierge. Un parfait anonyme, comme elle. Et quand elle l’ouvrit, elle ne découvrit que des pages blanches, vide de mots à l’image de sa couverture. Perplexe, elle fronça les sourcils avant de le reposer et d’en prendre un autre.
– Lui aussi…
Plus le temps passait (mais passait-il seulement ?), plus les livres s’accumulaient autour d’elle, inévitablement et invariablement vierge de mot, étalés sur le sol sans la moindre considération.
Exaspérée, la jeune fille laissa échapper un profond soupire et regarda les derniers livres qui restait sur les étagères.
– Comment faire pour savoir qui je suis alors qu’il n’y a rien ?
Déçue, elle se pencha et commença à ranger les livres à leurs places. Mais, alors qu’elle se tournait vers la cheminée pour s’installer de nouveau dans son siège, une pensée lui traversa l’esprit. La maison est capricieuse. Le gardien le lui avait dit. Il l’avait prévenu qu’elle n’en faisait qu’à sa tête. Alors, peut-être…
Pensive, elle regarda tout autour d’elle avant de plonger son regard sur un étrange portrait accroché au-dessus de la cheminée. Elle pouvait y voir les contours flous de ce qui semblait être une silhouette humaine. Une femme. Il se dégageait de cette peinture quelque chose d’étrange. Elle avait l’impressions, en la regardant, d’oublier quelque chose. Comme un mot resté coincé sur le bout de sa langue. Y aurait-il un lien avec son passé oublié ?
Elle s’en détourna finalement, et observa la bibliothèque les bras croisés, espérant de tout cœur qu’il se passe quelque chose.
– Montre-moi, ordonna-t-elle finalement.
Au début, rien ne se produisit et elle laissa retomber ses bras le long de son corps, dépitée et soupira. Puis, alors qu’elle pensait à sortir de la pièce pour visiter cet étrange manoir, elle remarqua quelque chose bouger dans la bibliothèque.
En s’en approchant, elle vit l’un des livres sautiller hors de sa rangée. Puis il s’immobilisa et, alors qu’elle approchait une main pour le prendre, il sauta pour de bon de son étagère, faisant bondir de peur la jeune fille. Le livre tomba au sol dans un bruit mat. Après avoir repris son souffle, elle se pencha pour le ramasser.
Entre ses mains, il lui semblait alors plus léger que les autres et étrangement tiède. Une certaine chaleur émanait de lui, et il lui sembla, l’espace d’un instant, que le livre vibrait entre ses mains, comme s’il trépignait d’impatience qu’elle en découvre les secrets.
Alors qu’elle passait une main pensive sur la couverture pourpre de l’ouvrage, elle vit doucement le titre du livre se former sous ses yeux. De fines lettres d’or s’alignèrent, comme sorties tout droit de l’intérieur du livre pour former son nom, lentement, comme autant de bulles qui remontaient à la surface au ralentit. De fines décoration brillantes commençaient elles aussi à naître tout autour des lettres d’or pour former une toile d’arabesque complexe et magnifique qui lui semblait de plus en plus familière. Il s’agissait d’un conte pour enfant, elle en était à présent certaine. Mais aucune trace du nom de l’auteur. Elle l’ouvrit alors et vit se dessiner les mots qui formaient à présent le premier chapitre.
– Il était une fois, une jolie princesse… lut-elle à voix haute.
Elle fronça les sourcils. Ces mots lui étaient étrangement familiers. En revenant vers la couverture, elle vit que les lettres d’or avaient fini d’apparaître et laissaient à présent entrevoir le titre de l’ouvrage.
– Le Conte de la Princesse Hope…
Ce nom lui était étrangement familier.
– Hope… Hope…
Elle se gratta l’arrière du crâne, revenant vers les premières phrases du livre.
Hope.
Quelque chose lui revint subitement à l’esprit. Ce nom, elle l’avait déjà entendu prononcer, mais pas de sa bouche. C’était un nom qu’elle connaissait bien, qu’elle avait appris à apprivoiser, à comprendre, à… porter ?
Ses yeux s’ouvrirent en grand alors que les larmes commençaient à s’y agglutiner. Hope. Mais c’était bien sûr ! Comment avait-elle pu l’oublier ? Son nom, c’était son nom. Celui que sa mère lui avait offert, celui que son père n’arrêtait pas de prononcer avec le sourire, celui qu’elle portait depuis sa naissance.
– Je m’appelle Hope.
Un sourire illumina son visage. Enfin, elle avait un nom, quelque chose par où commencer. Elle referma le livre et le serra contre sa poitrine. Le gardien avait raison, il ne tenait qu’à elle de trouver les réponses. Il lui fallait juste poser les bonnes questions et savoir se faire entendre de cette maison. La maison est capricieuse. Évidemment, puisqu’elle faisait partie de son monde, de son esprit. C’était une partie d’elle, alors bien sûr que la maison avait son caractère, exactement comme Hope avait le sien.
À côté d’elle la porte menant au couloir s’ouvrit en grand sur les ténèbres. La jeune fille se tourna vers elle, serrant plus fort le livre contre sa poitrine. Elle ne reculerait pas. Maintenant qu’elle avait un début de réponse à ses questions, elle n’allait pas rester là à attendre. Elle voulait comprendre, quitte à parcourir les couloirs sombres d’une maison capricieuse dont elle ne se souvenait pas.
Inspirant à fond, Hope s’approcha de la porte et, déterminée, pénétra dans le long corridor.
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