Chapitre 2 - Journée somme toute Banale

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* EMILIE *

 Bien à l’abris dans ma voiture, emmitouflée dans mon cardigan beige, elle picore dans le paquet de chips bon marché qui se trouve sur le siège passager, à mes côtés. Cela fait quelques heures maintenant qu’elle attend docilement mon client. Elle ne perd pas espoir, elle a toujours fini par obtenir ce qu’elle voulait. Elle sait être très patiente quand elle veut !

Alors qu’elle feuillette ses notes pour la énième fois, l’homme rond en costard cravate sort enfin de sa tanière. Rapidement, elle sort de mon véhicule et se précipite à sa rencontre, son badge bien en évidence.

« - Monsieur le préfet !! Emilie Routin, journaliste pour l’Hebdo Magasine. Vous vous souvenez de moi ?

- Oh non… Encore vous ? grommelle-t-il.

- Euh… Oui. Ravie de vous revoir également. Je voulais…

- Je vous ai déjà dit non, il me semble, Mademoiselle Routin ! s’agace-t-il. Et ce n’est pas parce que votre père était un homme admirable que vous pouvez obtenir des passe-droits.

- Mais…

- Fichez-moi la paix, maintenant !

- Bon… Très bien… Tant pis alors… C’est dommage, car j’avais de très jolis clichés à vous montrer…

- *soupir* De quoi vous parlez encore ?

- De vos petites manigances entre amis de la Haute Bourgeoisie, que j’ai parfaitement réussi à immortaliser.

- Qu-Quoi ?!

Bingo !

- Eh bien oui, c’est bien vous que l’on voit échanger une grosse somme d’argent contre un document confidentiel là, non ? »

Les photos imprimées depuis son polaroïd fraichement acquis (et qui lui a coûté un bras, soit-dit-en-passant) défilent sous les yeux médusés de l’éminent, et son visage se pétrifie à mesure qu’elle les trie devant lui, comme un jeu de carte.

« - Il se pourrait bien que certaines de ces images compromettantes se retrouvent malencontreusement dans mon prochain article… J’ai déjà un titre très vendeur, d’ailleurs !

- Vous ! fulmine-t-il. Vous êtes une…

- Une très bonne journaliste ? Oui, je sais, merci !

- Que voulez-vous ? s’insurge l’homme bedonnant en face de moi.

- Mon invitation pour le Grand Palais, s’il-vous-plait.

- C’est réservé aux gens de la Haute Société, et aucun journaliste n’est autorisé à y assister.

- Je le sais bien ! C’est pour ça que je fais appel à vous. Et je suis certaine que nous allons trouver un terrain d’entente, tous les deux ! »

#

Lorsqu’elle arrive au bureau, pimpante et satisfaite, un large sourire aux lèvres, son boss la hèle depuis son bureau en mezzanine.

« - EMILIE !!! DANS MON BUREAU ! TOUT DE SUITE ! »

Et merde… Bon. Pas de panique, elle a de bons arguments pour le faire redescendre en pression.

« - Tu m’as gentiment appelé, Boss ?

- Emilie ! Putain tu fais chier, toi, hein ! J’t’avais pourtant dit de foutre la paix au préfet ! Bon sang, qu’est-ce que tu n’comprends pas ? T’as envie qu’on termine au trou tous les deux ou quoi ?!

- Du calme, Boss. C’était pour la bonne cause.

- Et tu t’fous de moi en plus ?!

- Pas du tout !! Tiens, regardes ce que j’ai dégoté !

- C’… C’est une invitation pour… le Grand Palais ?!

- Ouaip ! Et on dit merci quiii ??

- Tssss… T’es une sacrée emmerdeuse, mais une putain de bonne journaliste…

- Je prends ça comme un compliment. Bon allez ! Faut qu’je bosse moi ! elle balance, triomphante, avant de tourner les talons.

- Attends !

- Ouiii ?

- Dis… T’as entendu parler du braquage de la banque, hier soir ?

- Ah oui, j’ai entendu, oui. Mais les suspects ont été arrêté assez vite, non ?

- Ouais. Mais c’est tout de même bizarre cette histoire, tu n’trouves pas ?

- Comment ça ?

- Bah… les deux mecs ont été retrouvés suspendus à un réverbère, après avoir été signalé aux flics par un coup de fil anonyme… Étrange, non ? Et cette marque rouge sur leur torse…

- Mouais… Drôle d’affaire… Mais bon… L’essentiel, c’est qu’ils aient été appréhendés.

- Hm… J’aimerai quand même enquêter sur ce fameux coup de filet… J’ai comme un présentiment…

- Vraiment ?! elle proteste en soufflant. Franchement, Boss, tout le monde s’en fout de cette histoire, nan ? L’enquête est bouclée, basta. Y’a des trucs plus importants…

- Sauf que le Quotidien du Peuple, lui, a déjà fait paraitre un article sur cette affaire.

- Pfff… Le Quotidien du Peuple est un canard à scandale…

- Mais il cartonne dans les kiosques avec cet article ! la coupe aussitôt son boss. Je te veux donc sur le coup.

- MOI ?!

- Oui, toi ! Tu es ma meilleure reporter ! La preuve : Aujourd’hui, tu te ramènes avec un laisser-passer pour la cérémonie de remise des Lauréats du Grand Palais, habituellement inaccessible aux journaleux comme nous !

- Tu essaies encore de m’amadouer ! Y’a deux secondes, tu m’engueulais pour ça, justement !

- Écoutes, t’as pas l’choix ! Je te veux sur l’affaire, point c’est tout ! Hors de question de passer à côté d’un scoop. Fais jouer tes relations, débrouilles-toi. Mais je compte sur toi pour couvrir l’enquête. Allez, zou ! »

Elle se renfrogne aussitôt, mais s’exécute tout de même. Après tout, l’enquête est probablement déjà close, ce mystère sera vite mis aux oubliettes, et elle pourra se concentrer de nouveau sur ses affaires bien plus croustillantes de trafic dans les hautes sphères.

#

Légèrement contrariée, elle attend sa source du commissariat dans le café d’en face. Sirotant un thé, seule sur une petite table ronde le long de la baie vitrée, elle consulte par habitude les revues concurrentes. Alors qu’elle pose le torchon qui lui sert de lecture et attrape sa tasse pour en boire une gorgée, elle sent un regard insistant qui la scrute depuis le comptoir.

Un jeune homme grand, en pantalon style rockabilly, et veste en jean dont le col est légèrement remonté, tourne régulièrement vers elle ses yeux bleu saphir, le visage sans expression sous un bonnet de docker marin qui laisse dépasser une mèche blonde sur le devant. Elle n’aime pas trop que l’on la mate ouvertement comme cela, et elle va le lui faire savoir. S’ensuit donc un petit jeu d’évaluation réciproque. Reprenant son journal à deux mains, elle le toise d’un œil mauvais par-dessus le papier, hausse les sourcils, avant de se retourner ostensiblement vers la vitre, afin de mettre ses jambes (nues sous sa jupe crayon) à l’abris des regards indiscrets, la tête haute pour lui signifier son mépris le plus total.

Mais c’est qu’il continue quand même, le bougre !

Elle le jauge du coin de l’œil. Il est plutôt mignon, mais un peu trop sans gêne à son goût. Elle le fixe à son tour. Il ne tique pas. Aucune réaction sur son visage. Que me veut-il celui-là ? Pourquoi est-ce qu’il me regarde avec autant d’insistance ? Il veut ma photo ??

Puis, alors qu’elle insiste lourdement du regard, un sourcil relevé, il tourne lentement la tête et avale une gorgée de son café, impassible.

Nan mais je rêve ?!

Elle sent venir l’agacement… Il n’a même pas le cran de venir me parler directement ! Et cette façon de m’ignorer complètement après m’avoir promptement reluqué… Je vais aller lui dire deux mots, moi !

Heureusement pour lui, son rendez-vous passe la porte du café à ce moment-là.

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