#39
Je suis nerveux. Vraiment nerveux. Bordel, on fait la finale des JO ! La pression est dantesque. Pourtant, j'ai l'impression que mon rôle à moi appartient au passé désormais : à moins d'un pépin physique lors du match, tout le travail kiné préparatoire est clôturé. Il restera le décrassage mais ça, ça n'a pas d’influence sur le match de maintenant. Je n'ai plus qu'à m’asseoir, regarder et attendre.
Les gars entrent sur le terrain dans leur tenue rouge et blanche, et le stade s'enflamme. Il semblerait que nous soyons majoritaires en terme de supporters. C'est un poids de plus dans la balance : se sentir en terrain hostile n'aide pas dans le mental du match.
J'observe Rafael aligner consciencieusement ses bouteilles d'eau entre ses pieds – ce garçon est une machine à TOC et on se marre autant que ses adversaires s'exaspèrent devant ses rituels interminables. Marc farfouille je ne sais quoi dans son sac. Rafael l'observe en gigotant. Lui aussi est nerveux. Pendant ce temps, les joueurs roumains sont debout, de leur côté de terrain, et patientent d'un air dubitatif.
Les gars se lèvent, rejoignent leur ligne. Comme à son habitude, Rafa va donner sa serviette à une ramasseuse de balle. SA serviette, qu'il va réclamer systématiquement entre chaque balle. Comme à son habitude, Marc va donner une tape dans le mur au fond du court. Il tâte le sol. Il embrasse son pouce gauche. Il y a de quoi agacer prodigieusement leurs adversaires.
La tape dans la main, le dernier mot, la position, l'ultime regard. Rafa arrière droit, Marc avant gauche. Les Roumains préparent le service.
« Thanks you... Ready ? Play. » annonce l'arbitre.
Rafa place la première balle. 0 – 15. Allez, plus qu'environ quarante-huit points à marquer.
Bon. Le premier set dans la poche, c'est la moitié du chemin. Les gars jouent bien, mais les Roumains aussi : il y a peu de déchets. C'est un beau match, en vérité.
Rafael disparaît vers les vestiaires. Marc change l'anti-dérapant de sa raquette. Leurs adversaires sont déjà dans les starting-blocks, prêts à en découdre pour le deuxième set. Mais notre duo espagnol, lui, prend son temps. Aligne ses bouteilles, replie sa serviette, papote, humidifie son visage, touche le mur du fond, marche trois pas sur la ligne, tape dans la main.
Les rituels sont tellement rassurants. Les joueurs et joueuses de tennis ont cette particularité d'exercer leur métier dans des environnements multiples et toujours différents. Ce n'est jamais le même pays, jamais le même hôtel, jamais le même lieu, même pas le même court dans la même compétition. Dans ce tourbillon d'instabilité, il est bon de s'assurer d'avoir des repères. Pour certains, ce sera un objet fétiche glissé dans le sac, ou porté en bijou. Pour d'autres, le signe de croix, la main au cœur, le regard vers le ciel. Et pour l'ovni Rafael Nadal, il s'agit de tirer les manches de son maillot, placer ses cheveux derrière ses oreilles – alors même qu'il porte un bandeau qui lui recouvre les mèches de devant – et remettre son caleçon en place.
Bon, hein. Chacun ses petits trucs, quoi.
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