#44

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  • Amusez-vous, surtout !
  • Oui oui.
  • Détente Oscar : ça va être un très chouette week-end. Fais un énorme bise à Cisco, et rappelle-lui qu'il me doit toujours une nuit d'amour inoubliable et que je suis fort déçue de constater qu'elle n'aura probablement jamais lieu.
  • Je n'y manquerais pas, Alix. Nina sera ravie.

 Il n'y a pas que moi qu'Alix aime provoquer : ce souvenir date du soir où elle a rencontré Cisco, et que cet idiot, passablement éméché, lui avait proposé de terminer de son lit plutôt que le mien. Depuis, elle n'a jamais manqué une occasion de le lui rappeler.

  • Et n'oublie pas ton discours !
  • Oui, oui...

 Foutu discours que, quarante-huit heures avant l'échéance, je n'ai toujours pas rédigé. Je suis kamikaze, sur ce coup.

  • Au revoir, P'pa !
  • Au revoir, mon grand. Profite bien de la fin de tes vacances.
  • Oui !

 Je les regarde traverser la porte d'embarquement, puis m'en retourne chez moi.

 Qu'est-ce qu'on écrit, dans un discours, au fait ? Ça fait deux heures que mon traitement de texte est ouvert sur une page vide. J'ai jamais su parler aux gens, et là il faut carrément que j'écrive un truc : autant demander à un poisson de voler.

 J'ai comme un doute. Ça n'existerait pas, les poissons-volants, par hasard ? J'ouvre mon navigateur et pars à la recherche des animaux impossibles. Ah, effectivement, ça existe.

 Bon alors, disons, « autant demander à un oiseau de nager ». Et j'ai de nouveau un doute. N'y aurait-il pas des oiseaux qui nagent, juste pour m'emmerder ?

 Bien sûr que oui : ces foutus pingouins nagent parfaitement bien. Je n'y connais absolument rien en animaux, visiblement. Mais le règne animal a décidé que je n'ai aucune raison de me plaindre et qu'il faut vraiment que je remplisse cette page blanche plutôt que faire des recherches Wikipédia improbables.

 Mon téléphone, en revanche, vole à mon secours – oui, les téléphones aussi, ça vole. Victoria.

  • Oui ?
  • Ah, Oscar ! Tu vas bien ?
  • Euh, oui.
  • Tu es hésitant ?
  • C'est... pas important.
  • Ah. Bon. Je voulais te parler de l'organisation une dernière fois, à propos de... Oh non, attends, excuse-moi, Nina m’appelle. Je la prends et je te rappelle ok ?
  • Ok.

  • Oscar ? C'est bon, alors. Tu seras là demain pour l'installation de la salle ?
  • Oui.
  • Parfait, on en profitera pour repérer la taille de la scène et... Han c'est pas vrai, Nina me rappelle !
  • Ah.
  • Bon, désolé... je reviens, hein.
  • Oui, oui. D'accord.

  • Bon, encore désolée Oscar. Elle vient de décréter un changement de disposition des tables ! Han elle va me faire tourner en bourrique ! Je ne sais plus où on en était ?
  • La taille de la scène.
  • Ah oui ! On trouvera quelques minutes discrètes pour repérer l'espace.
  • Ok, d'accord.
  • Nina veut aussi qu'on installe un arc-en-ciel de ballons à l'entrée de la salle.
  • Ah, d'accord.
  • On aurait une trentaine de ballons à gonfler.
  • Ah oui quand même...
  • Toi, t'es du genre sportif, t'as assez de souffle pour ça ?
  • Euh, eh bien, je ne sais pas si on peut affirmer ça mais, s'il le faut, je le ferai oui.
  • Et on fera donc nos discours sous l'arc-en-ciel.
  • D'accord.
  • Au fait, tu ne m'avais jamais ré-envoyé le tien ?
  • Non...
  • Tu n'avais plus besoin de relecture finalement ?
  • Eh bien, ce n'est pas tout à fait ça...
  • Tu as encore besoin d'aide ?
  • Non, non. Pas besoin du tout. J'ai vu ça avec Alix.

 J'ai beaucoup trop honte pour lui avouer que je n'ai fait que repousser mon travail jusqu'à l'ultime moment.

  • Oh... D'accord... Bon, tant pis.

 Oh merde. Sa déception transpire du haut-parleur.

  • Non, attends, en fait je...
  • Han nooooon !
  • Quoi ?
  • Nina me demande de venir l'aider à revoir les plans de table. Han, mais qu'est-ce qu'il lui prend de tout modifier maintenant ? Bon... Je suis désolée, Oscar, je vais devoir te laisser.
  • Ok. Bon courage, alors.
  • Merci. À demain.
  • À demain.

 Je la laisse raccrocher et soupire. J'ai été nul, sur ce coup. Elle se faisait un plaisir de m'aider, on en parle depuis trois mois et qu'est-ce que je fais ? Je lui balance que je n'ai pas besoin d'elle au dernier moment. Bon, Oscar, secoue-toi un peu : y'a p'tet moyen de sauver les meubles. Je regarde le paquet qui attend depuis mon retour du Brésil. Oui, y'en a un évident même. Emporté par une soudaine motivation salutaire, je craque mes doigts et, une bonne fois pour toutes, me plonge dans ce discours à la noix.

 C'est marrant, parce qu'il me faut toujours surfer sur ma nullité pour finalement, dans un sursaut d’orgueil, me retrousser les manches pour rattraper le coup. Et, souvent, ça marche.

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