#45

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  • Plus à droite.
  • Comme ça ?
  • Encore un peu plus.
  • Là ?
  • Hum... c'est un peu de travers quand même.
  • De travers comment ?
  • Eh bien... vers toi. Oscar, avance ton côté... encore... STOP ! Oui, parfait !

 Elle part tout de suite vers autre chose. Je jette un œil à Cisco qui hausse les épaules.

  • Nina est un peu tendue.
  • Mmm...
  • Tu ne dis rien ?
  • Non, non. Ça va.

 Cisco souffle et s'éponge le front. On vient de passer vingt minutes à déplacer l'arche florale sous laquelle aura lieu l'échange des vœux : je ne sais pas qui de mes bras ou de mes nerfs sont les plus éprouvés.

  • On aurait vraiment dû la déplacer AVANT de l'orner des fleurs.
  • Ç'aurait pas été bête, ouai, marmoné-je.
  • OSCAR !

 Je me retourne vivement vers la voix criarde de la future mariée et, vu sa tête, me précipite à ses côtés sans réfléchir.

  • Oui, Nina ?
  • Tiens, ce sont les ballons à gonfler. T'es au courant de... ?
  • Oui, oui. L'arc-en-ciel, la porte d'entrée, les discours.
  • Parfait. VAMOS !

 Aujourd'hui, j'ai définitivement déposé mon cerveau pour ne répondre que bêtement aux ordres militaires de Nina. Mes muscles, mon souffle : voilà les deux seules choses qu'elle souhaite mobiliser chez moi. Le reste, on s'en fiche. Ça ne semble pas être le cas de Victoria, qui profite d'un moment de répit pour s'approcher de moi.

  • Tu vas bien ? T'en es à combien, là ?
  • Seize ballons.
  • Waouh ! Et ça va, tu tiens le rythme ?
  • Je commence à avoir la tête qui tourne, à vrai dire.
  • Ah ah ! Allez viens, fais une pause limonade !
  • Je ne vais pas refuser ça.

 Nous entrons dans la salle et nous dirigeons vers les cuisines. Victoria me fait un clin d’œil, et m'entraîne sur la scène. Elle observe avec sérieux la surface au sol, compte ses pas, et semble satisfaite.

  • C'est bien, non ? On a largement la place, et l'adhérence est parfaite.
  • Eh bien, si tu le dis, je vais être d'accord avec toi !

 Elle me sourit avec amusement.

  • Tu joues encore au débutant ?
  • Je m'en remets entièrement à ton expertise, dirons-nous.
  • Quelle marque de confiance, ça me flatte !

 J'aimerais faire durer ce petit moment, mais je vois au loin Nina jeter un coup d’œil en notre direction, et me recule vivement :

  • On devrait peut-être descendre d'ici si l'on ne veut pas être grillés.
  • Tu as raison, approuve ma co-témoin. Limonade, donc ?
  • Oui ! Et ça tombe bien, j'ai quelque chose pour toi.
  • Ah bon ? Pour la saynète ?
  • Pas du tout, non. Viens.

 Arrivés dans la cuisine à l'abri des regards, alors qu'elle ouvre le frigo et nous sert deux verres, je sors un sac que j'avais laissé de côté jusqu'à présent.

  • Tiens.
  • Qu'est-ce que c'est ? Un... un cadeau ? Mais pourquoi ?
  • Pour tout ce que tu as fait pour ce mariage. Tu es géniale et l'organisation sera chouette grâce à toi.
  • Oh, mais non, enfin... (elle rougit) Tu n'y es pas étranger non plus !
  • Je ne suis qu'un exécutant. Les idées viennent de toi !
  • Oscar... Est-ce que tu te sous-estimes toujours comme ça ?

 Je ne sais pas bien quoi répondre. De mon point de vue, non, je ne fais que dire la vérité : je n'apporte aucune plus-value à ce mariage. Mais aussitôt, me vient l'image d'Alix qui me lancerait une grande tape à l'arrière de la tête en me sommant d'arrêter de dire des conneries pareilles.

 Je l'observe ouvrir délicatement le paquet.

  • Oh ! Waouh ! Tout ça ? C'est... ça vient du Brésil ?!
  • C'est ça. Que des spécialités locales.
  • Eh bien dis donc, tu t'es surpassé pour ce dernier cadeau ! Alors, alors... Des bonbons, de la... pâte de goyave ?
  • Oui, c'est de la pâte à tartiner en fait...
  • Oh, super ! Et ça ?
  • Des noix du Brésil. C'est bon !
  • D'accord, d'accord ! Oh, des tablettes de chocolat ?
  • Ouai, ça vient de la production locale.
  • Mais Oscar, c'est... beaucoup !
  • Tu trouves ? C'est pourtant pas grand chose...

 Elle pouffe de rire alors que je soupire sur mes mots. Ah ! Mais bon sang, je suis désespérément plan-plan et prévisible !

  • Et qu'est-ce que c'est ?

 Elle retire une feuille pliée en quatre dans le fond du paquet.

  • Ça c'est un aveu de faiblesse.
  • Ah bon ? C'est-à-dire ?
  • C'est... mon discours. Je n'ai pas été très honnête, hier. Je n'avais rien écrit, en réalité. Je l'ai rédigé cette nuit.
  • Ah bon ?!
  • Mais je me suis appliqué cette fois-ci, hein ! J'ai vraiment réfléchi à mes phrases et mes anecdotes.
  • Et tu veux que je te donne mon avis ?
  • Tu fais ce que tu veux, je me doute que tu as beaucoup à faire, mais puisque je t'avais promis de te le montrer, je voulais tenir ma promesse et...
  • Je peux te prendre dans mes bras ?
  • Hein ?

 Elle rougit mais ne cille pas. Je regrette d'être Oscar Vázquez, à ce moment-là : l'homme qui sur-réfléchit à tout plutôt que se laisser aller à un peu de spontanéité. Oui, tu peux me prendre dans tes bras, j'en serais vraiment heureux en vérité. Mais le temps de formuler cette réponse, il est déjà trop tard. La porte de la cuisine s'ouvre à la volée.

  • Ah, mais qu'est-ce que vous complotez, tous les deux ? C'est quoi, ça ?
  • Rien ! Nina, sors de cette cuisine !
  • Et pourquoi ?

 Nina me lance un coup d’œil fort peu aimable, tout à coup. Victoria ne se démonte pas :

  • Parce que oui, on complote dans votre dos, et c'est pour la bonne cause ! Allez, oust ! Sinon je raconte demain à TOUT LE MONDE ce qu'on avait fait en colo à douze ans !

 Nina lui lance un regard outré, puis se ravise et récupère une voix plus mielleuse.

  • C'est que... Oscar a encore des ballons à gonfler...
  • Ah, oui. J'arrive, Nina.
  • Et toi Vic, j'aimerai ton aide pour installer la déco sur les tables...
  • On arrive ! Rho !

 Nina nous regarde encore un peu d'un air soupçonneux, puis sort de la cuisine. Je me félicite finalement qu'elle ne nous ait pas surpris dans les bras l'un de l'autre.

  • Oscar, euh... Merci, vraiment, c'est adorable, il ne fallait pas faire tout ça juste pour moi !
  • Ça me fait plaisir, en fait.
  • … À moi aussi, ça me fait extrêmement plaisir, tu sais.

 Une sorte de gêne flotte entre nous. Tout à l'heure, nous avions la spontanéité du moment pour nous enlacer. Là, ça semble beaucoup moins faisable, tout à coup. On n'a jamais encore franchi l'étape de la bise, alors...

  • Bon, hum, je vais retourner à mes ballons.
  • Ouai, ouai. Sage idée. Euh, merci encore, Oscar ! C'est vraiment adorable.
  • Je t'en prie.

 On s'évalue encore un peu, hésitant, puis j'ouvre finalement la porte qui a vu disparaître Nina juste avant. Dans la salle, les chaises raclent le parquet étincelant pour se disposer autour des tables rondes. Je me penche légèrement vers Victoria :

  • C'était si terrible que ça, cette colo à douze ans ?
  • Si t'es sage, je te raconterai.

 J'hausse les sourcils.

  • Je suis TOUJOURS sage.

 Elle glousse.

  • Tu laisses croire que oui, mais, étonnement, je rêverai de te donner tort.

 Elle me laisse là-dessus et s'en va rejoindre sa cousine.

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