#55

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 Je n'ai rien entendu de ce qu'elle a raconté, tout fixé que je suis sur ses derniers mots. Les gens applaudissent à tout rompre et Nina lui tombe dans les bras. Elle rient, elles pleurent. Elles sont heureuses et c'est beau. Je suis à peu près certain de ne pas lui arriver à la cheville, et c'est d'ailleurs une bien mauvaise idée que de me faire passer après elle.

 « Tu ne comprends pas bien ». À chaque fois que mon cerveau se répète cette phrase, mon estomac se retourne. Je ne sais plus dans quel sens il se trouve, là. J'ai les petits fours et le cocktail qui me remontent jusqu'à la gorge, même. Bordel, Oscar, c'est pas le moment de flancher !

  • T'es pâlot, mec ! Ça va aller ?

 Je lève les yeux vers Luigi.

  • Hein ? Euh, ouai ouai.
  • C'est le discours qui te met dans cet état ?
  • Ouai, c'est ça.
  • Allez, t'inquiètes. Dis-toi que de toute façon, tu ne feras jamais aussi bien que la p'tite Vic', alors foutu pour foutu, t'as plus de pression !

 Luigi, toujours le bon mot au bon moment, hein.

  • Sûrement...
  • Ah ouai Oscar ? Tu vas parler devant tout le monde toi aussi ?

 La petite Léa n'a toujours pas daigné rejoindre ses parents. On a même dû la supplier de me lâcher le temps des photos, à grands renforts de promesse de bonbons et de jus d'ananas à volonté.

 La nausée m'empâte. Je vide mon verre avec fébrilité.

  • Hey, Luigi... Si je m'enfuis maintenant, tu crois qu'ils s'en rendraient compte ?

 Mon ami place ses deux mains sur mes épaules.

  • Mec, toi et moi c'est à la vie à la mort. S'il faut faire disparaître ton corps, tu peux compter sur moi.
  • Je ne t'en demande pas tant, Luigi.
  • Ouai enfin, si tu t'enfuis mais qu'on te laisse vivant, Nina te retrouvera et se chargera de ton cas. Je te promets qu'avec moi, tu ne souffriras pas.
  • Merci, Luigi. T'es un vrai pote.
  • Je t'en prie.

 Venant de loin, Victoria se dirige vers moi. Luigi se penche à mon oreille.

  • Oscar, quoi que tu décides, c'est le moment de faire les choses.
  • Mmm. Je sais.

 Je ne sais pas s'il parlait de discours ou de disparition de corps. Moi, je pense à éteindre un incendie, là.

 Elle arrive à ma hauteur alors que Luigi s'efface.

  • Je ne voudrais pas avoir l'air de te commander, mais le mec de la sono demandait s'il y avait quelqu'un d'autre à parler, alors...
  • Oui. Je crois que je vais y aller, oui.

 Et je ne bouge pas d'un iota. Ma main droite tripote compulsivement les boutons de ma chemise. Je ne sais pas comment dire les choses que j'ai à dire.

  • Victo...
  • Ne t'inquiète pas, ça va aller Oscar ! Ton discours est très bien, et il plaira beaucoup à Cisco, je te le promets.

 Elle me sourit avec empathie. Ce n'était pas vraiment ce que je comptais aborder, mais je vais suivre sa voie et me concentrer sur ma prestation imminente.

  • Merci.
  • Elle est où ton amoureuse, Oscar ?

 On baisse les yeux vers Léa. Qu'est-ce qu'elle raconte ?

  • Je n'ai pas d'amoureuse.
  • Si !
  • Pourquoi tu dis ça ?
  • T'as dit « Alix je t'aime ».

 Je crois que je passe par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, là. En face de moi, Victoria me dévisage d'un air interrogateur.

  • Quoi ? Mais non, j'ai pas du tout dit ça...
  • Si ! T'as dit ça à ton copain qui parle fort !
  • Luigi ? Oui, mais c'était pas vrai du tout, c'était une expression, je...
  • Eh ben, eh ben, eh ben, lui il t'a dit que tu dois arrêter de dire ça, et toi, eh ben, tu lui as dit que tu continues de le penser !

 Je reste muet de stupeur. Victoria ferme les yeux, et c'est un agacement non discutable qui s'empare de ses traits. Je ris nerveusement.

  • Attends, Victoria, la petite dit n'importe quoi, ce n'est pas du tout ce que tu crois...
  • Nan c'est vrai c'que j'dis en plus !
  • Léa...
  • Laisse tomber, Oscar. Je ne crois rien, tu sais. Je m'en fiche complètement.
  • Non mais je vais expliquer mieux ce que...

 Elle me stoppe d'un geste autoritaire.

  • Je crois que tu n'as pas à t'expliquer. Ce serait même la première fois que tu t'y hasardes. Fais plutôt comme ce que tu as fait depuis qu'on se connaît : garde ta vie privée... privée.
  • C'était une boutade parce qu'elle m'a sauvé de la panade, il n'y a rien de vrai ! J'avais oublié...
  • Tu devrais aller faire ton discours, Oscar. On va passer à table, bientôt.

 Elle tourne les talons. Je la regarde s'éloigner, et réprime mon envie de la rattraper. Bordel de merde, j'ai passé mon temps à espérer de l'indifférence entre Victoria et moi, et maintenant que je l'ai, j'en suis dégoûté. Cette journée est un désastre personnel. Mais, au moins, ce chemin d'embûches dans lequel je trébuche sans cesse me donne de la clairvoyance sur quelques points. « Quoi que tu décides, c'est le moment de faire les choses », a dit Luigi. C'est drôle, parce que c'est l'image de Marc qui me vient à l'esprit, maintenant que je pense à prendre des décisions. Peut-être que la galère d'une vie entre deux aéroports ne sera pas pire que cette galère actuelle, finalement.

  • Elle part parce qu'elle est fâchée, ta copine ?
  • Ouai.
  • Pourquoi ?
  • Je ne sais pas.
  • Elle est jalouse de ton amoureuse on dirait.
  • Tu crois ?
  • Bah oui. Moi j'étais fâchée comme ça quand mon amoureux il allait que avec Elena à la récré et que même qu'il disait qu'il la préférait.
  • Ah. C'est pas marrant, ça.
  • Ouai. Maman elle dit que les garçons ils sont comme ça. Ils sont idiots et ils font que nous embêter, et ils font toujours les mauvais choix.
  • Léa ?
  • Quoi ?
  • Elle a raison, ta mère. Ils sont bêtes, les garçons. Et ils font de mauvais choix.
  • Mais sauf toi, Oscar !
  • Non, non. Moi aussi.

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