#65
Le groupe s'est dispersé. Il ne reste que moi et Nina. Elle me regarde avec une animosité évidente. Je me racle la gorge.
- Bon, euh... Nina, il faut que je te parle.
Elle croise les bras sur sa poitrine.
- Tu disais que tu plaidais coupable ?
- Oui.
- Coupable de quoi ? D'être un con ?
- Oui, ça, oui. Totalement.
- T'en es fier ?
- Non.
Elle s'approche de moi et pose un index rageur sur ma poitrine.
- Oscar Vázquez ! Pourquoi t'as fait ça ?! Pourquoi t'as fait pleurer Victoria ?! J'avais dit de la laisser en dehors de ta vie de merde ! Elle a connu d'autres gros cons avant toi, elle n'a pas besoin d'en avoir un de plus ! J'vais t'arracher les...
- HEY ! Du calme ! Du calme... Je n'ai jamais voulu faire pleurer Victoria, et je suis mortifié à l'idée qu'elle puisse ressentir une quelconque détresse par ma faute. C'est d'ailleurs pour cette raison précise que j'étais d'accord avec toi quant au fait de ne pas la considérer comme...
- Une potentielle victime de ta vie de merde ! OUI !
J'accuse le coup. Les mots sont acides.
- Nina, écoute... Je t'ai promis qu'il ne se passerait rien entre nous. Et il ne s'est rien passé de physique...
- Tu l'as embrassée !
- Elle me l'a demandé !
- Ah ben oui, votre histoire de tenir éloigner mon collègue, c'est ça ? T'as pas mieux ?
- C'est ton collègue, ce type ? T'es au courant qu'il emmerde ta cousine depuis des heures ? T'as vu ses sous-entendus de beauf ? T'as rien envie de lui arracher à lui ? C'est un bon parti, tu veux les marier ?!
Je commence à m'énerver, et étonnamment, elle baisse la tête d'un air coupable.
- Non... c'est pas vraiment mon ami, ce gars... Mais je ne pouvais pas inviter mes trois autres collègues, et l'exclure lui !
Je balaie l'air d'une main agacée.
- Bon bon... Ça va, ça va. Ne te justifie pas de tes invités. C'est TON mariage, tu fais ce que tu veux. Je n'aurais pas dû te parler comme ça, Nina. Je m'en excuse.
Elle relève la tête dans une espèce de sauvetage de sa dignité. On reste à s'observer en silence. Bon.
- Nina... Je sais qu'on s'était dit que je tiendrai Victoria à distance. Que je t'avais dit « oui oui ». Que ma « vie de merde » n'était pas pour elle.
- Mmm...
- Et j'ai essayé. Je t'assure que je n'ai jamais tenté de la draguer, que je me suis comporté avec distance et respect, que j'ai toujours essayé de baliser notre relation dans le cadre de votre mariage, et rien d'autre. C'était pas facile, hein. Victoria n'avait pas envie de s'en tenir à « organiser le mariage ». Je me suis un peu débattu avec elle.
- Oh, mon pauvre biquet, c'était dur ?
Son sarcasme me hérisse le poil. Je souffle.
- T'es sans pitié, Nina.
- Totalement. Victoria, c'est chasse gardée, elle ne...
- Elle a vingt-huit ans, elle est suffisamment grande pour savoir ce qu'elle veut ou pas pour elle, non ?
- Mais figure-toi que ce qu'elle veut, c'est toi, grand crétin !
- Et moi, je la veux elle ! On devrait s'en réjouir, non ?
- Mais oui, c'est parfait sur le papier ! Jusqu'à ce qu'un grand crétin la jette comme un déchet juste après l'avoir embrassée ! Pourquoi t'as fait ça ?
- J'étais confus...
- Oh, biquet, il est confus ! Alors il traite mal les gens !
Je bafouille, parce que l'honnêteté que je m'apprête à lui livrer me fait vaciller.
- Ce n'est pas mon intention ! Je te promets que je ne veux rien de mal pour elle ! Nina... Je suis amoureux d'elle. J'ai essayé de révoquer ça mais il faut être lucide : je ressens une montagne de truc pour elle, et je n'arrive pas à rester indifférent. Ça me déprime d'imaginer qu'après votre mariage, je ne la verrai plus... Je ne veux pas ne plus la voir. Je veux la voir tous les jours.
- Et comment tu vas faire, tu vis à Madrid !
- J'en sais rien... ça aussi, ça me déprime.
- Mais arrête de déprimer, et fais les bonnes chose ! Fais. Les. Bonnes. Choses.
Ok. Bon. Les bonnes choses. Je hoche brièvement la tête, et fais la bonne chose numéro une :
- Je viens recueillir ta bénédiction pour révoquer ma parole. Je compte lui présenter mes excuses, et lui avouer ce que j'ai tenté de cacher depuis des semaines. Et j'espère qu'elle sera d'accord pour me tendre la main.
- Pfeu. Elle n'a d'yeux que pour toi.
- Ah.
Je ne peux réprimer mon sourire. Bien sûr, il ne lui échappe pas. Elle lève les yeux au ciel.
- J'te préviens, Oscar... Je te préviens que si tu oses malmener Victoria...
- Fais-moi subir tout ce que tu veux. Tu auras raison. Je ne t'en empêcherai pas.
Elle dodeline la tête avec agacement, puis ouvre les mains.
- Allez, vas-y, Dom Juan.
- M'appelle pas comme ça.
Elle plisse les yeux dans une expression qui signifie clairement « ne discute pas et casse-toi ». Je fais un pas en arrière, puis relève une dernière chose.
- Dis... Cisco m'a sous-entendu que tu n'étais pas totalement innocente quand tu as proposé que Victoria et moi nous mettions en contact, au printemps...
Elle hausse les épaules.
- Quel traître. Et dire que je l'ai épousé !
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