#66

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 Je déambule dans la salle à la recherche de mon destin. Il y a encore beaucoup de monde : les gens comptent visiblement danser et boire jusqu'au petit matin. Je reconnais quelques visages. Raúl somnole sur une chaise, sa femme se déhanchant sur la piste. Luigi et Sofía dansent bouche contre bouche, se promettant une nuit torride – je me demande même s'il ne vont pas commencer les préliminaires ici. Cisco, verre à la main, est en grande conversation avec ses parents. Ils me saluent au loin, et je leur réponds d'un sourire. J'ai toujours été bien accueilli par la famille de Cisco. C'est à ce moment qu'un boulet de canon fonce sur moi.

  • HEEEEEEYYYYY ! T'es là, finalement !

 L'inconnue à la cigarette s'accroche à mon cou afin de garder un semblant d'équilibre. D'une main maladroite, je la rattrape par la hanche.

  • Ohlà, ohlà... ça va ?
  • Vouiiii... Alors, alors, beau gosse : c'est pas l'heure idéale pour s'éclipser dans ma chambre, là ?

 Elle est complètement ivre, elle titube contre moi. Je suis obligé de la prendre dans mes bras pour ne pas qu'elle s'effondre.

  • Waouh... Tu as beaucoup bu, on dirait...
  • Ouai, ouai... C'est la fête !
  • Hum...

 Je jette un coup d’œil autour de moi, croise de nouveau le regard de Cisco qui fronce les sourcils d'un air mécontent. Je lui désigne l'inconnue en lui faisant comprendre que je n'ai aucune idée de qui elle est, et que je n'ai aucune envie de la garder suspendue à ma nuque. Ma nuque, qu'elle entreprend d'embrasser en gémissant. Je sursaute, et la repousse sèchement.

  • Oh, là, tu fais quoi ?!
  • J'te fais un suçon, beau gosse. C'est pour te chauffer...
  • Non, tu fais pas ça, non !
  • Oh ben trop tard.

 HEIN ? J'hallucine ou quoi ?! Elle a l'air satisfaite, en plus !

  • Putain mais tu déconnes ?!
  • Qu'est-ce que tu fous, Oscar ?!

 Cisco nous a rejoints, et il est clairement irrité. Je bafouille.

  • C'est pas de ma faute ! Elle est complètement bourrée, elle me lâche pas... J'sais même pas qui c'est, cette fille !

 Ses yeux passent de moi à elle avec agacement.

  • C'est une cousine de Nina.
  • Encore une ?! Elle en a combien ?
  • Euh... Douze, si je ne me trompe pas... Luna ? T'as un peu abusé du rhum, non ?

 La fille éclate de rire et me caresse les cheveux. Putain !

  • Ne me touche pas comme ça !
  • Oups... Pardon.

 J'essaie de me défaire de son emprise, mais elle manque de chavirer une fois encore.

  • Là, tu vois ! Elle ne tient plus debout !

 Mon ami tend la main vers elle.

  • Luna... Il serait peut-être temps d'abréger ta soirée, hein ?
  • OH OH OH ! Mêle-toi de ton cul Francisco, et occupe-toi de celui de ta femme !
  • Hey, oh, Luna, t'es désobligeante, là...
  • Gna gna gna... Tu me casses un coup avec beau gosse, là !
  • Il n'y a rien du tout !, répondé-je avec véhémence.
  • Ah si ! Y'a suçon !

 Cisco l'interroge du regard, et suit l'index de notre sangsue. Il arrondit les yeux. Non, non, non !

  • Y'en a pas vraiment un, hein, Cisco ?

 Le marié grimace en dodelinant la tête. Ma politesse légendaire se carapate.

  • Wow, tout doux, Oscar. Bon... Ce qui est fait est fait, hein.
  • Mais elle est dingue celle-là, qu'est-ce que je lui ai fait ?!
  • Visiblement, tu lui as tapé de l’œil.

 Elle approuve en gloussant. Je râle de nouveau. Cisco lève les bras en signe d'autorité.

  • Bon. On ne va rien dire à Nina, elle serait trop énervée de la voir comme ça. Luna, je vais trouver ton frère, et il va te ramener à ta piaule.

 La sangsue proteste haut et fort.

  • HEY NON ! Tu vas rien dire à mon frère !
  • Luna, t'es pas en état de rester seule...
  • Mais j'ai déjà un accompagnateur, regarde !
  • Oscar n'a pas à tenir ce rôle, il a mieux à faire.
  • Ah bon ? Mais il a passé la soirée entière tout seul !

 Cisco s'impatiente, balayant la salle du regard. Enfin, il lâche un « Ah » en observant sur sa gauche, l'air soudainement embarrassé. Au loin, un mec bedonnant, barbichette et cheveux hirsutes, est avachi sur une chaise, la tête posée sur la table, et semble... ronfler. Je tente :

  • C'est le frère, je suppose ?
  • Oui...

 Cisco soupire en se frottant les yeux. J'ai un peu de peine pour lui : c'est son mariage, il ne devrait pas avoir à gérer les invités éméchés. Luna couine.

  • Tu vois comme il est, Cisco... Si tu le réveilles, il va être furieux ! Si en plus tu lui dis que j'ai trop bu, il va m'en coller une, tu sais bien !

 Je suis stupéfait de ce que j'entends.

  • Quoi ? Il ne va pas oser te taper juste parce que tu as bu... C'est incensé...

 Luna grimace, et l'air navré de Cisco ne fait que confirmer ses prédictions. Ben merde, alors. Je ne vais quand même pas laisser cette nana toute frêle se faire cogner par une carcasse de mec bourré ? Il doit rester un peu de place sur mon CV pour « videur de boîte », hein.

  • Bon, euh, on ne va pas réveiller ton frère, d'accord ?

 Elle m'adresse un sourire niais.

  • Merci, beau gosse !
  • Je m'appelle Oscar.
  • Ok, beau gosse.
  • Écoute : je vais te raccompagner à ta chambre, moi.

 Cisco écarquille les yeux.

  • Tu vas quoi ? Qu'est-ce que tu racontes, Oscar ? Tu ne vas pas faire ça !
  • Bah quoi ! Elle est ivre morte, c'est dangereux de la laisser errer dans le noir jusqu'à l'auberge ! Il pourrait lui arriver des bricoles !
  • Oscar... Ok, je sais que je t'ai dit que t'étais un mec dévoué, mais là, c'est trop de dévotion !
  • Qui va le faire, alors ?

 Cisco hésite, pendant que la sangsue se raccroche de nouveau à moi.

  • Luna... Je t'accompagnerai à ta chambre et je m'assurerai que tu y es bien entrée. Et ensuite, je repartirai, parce que je ne souhaite pas passer la nuit avec toi, d'accord ?
  • On verra !
  • C'est tout vu. Je ne suis pas intéressé. Je... J'ai déjà quelqu'un.
  • Ah bon ?! Elle est où ?
  • Je ne sais même pas. Allez, allez... On y va. Tu as des affaires à récupérer ?

 Cisco me dévisage avec gratitude, puis secoue la tête.

  • Oscar...
  • Écoute, retourne avec tes convives, amuse-toi, et fais-moi confiance ok ?
  • Je te fais confiance, mec. Tu le sais.
  • Bien. C'est aussi mon rôle de témoin de gérer les imprévus pour laisser les mariés s'amuser, non ?
  • Oui, mais... Tsss. Je t'avais dit d'arrêter de te saborder, d'être acteur de TA vie plutôt que de celle des autres, tout ça... Tu as déjà oublié ? T'es en train de ramener une fille vers les chambres avec un suçon dans le cou !
  • C'est bon, c'est bon... N'y pense pas, Cisco. Tiens, écoute : les slows commencent. Va retrouver Nina, fais-la valser, embrasse-la passionnément, faites-vous applaudir, soyez heureux !

 Je le pousse d'une main – l'autre continuant de maintenir la sangsue par la taille, et lui fait signe de battre en retraite.

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