#67
Luna me fait faire des zigzags dans la salle avant d'enfin trouver son mini sac, puis, bras dessus bras dessous, nous grimpons l'allée jusqu'à l'auberge. Arrivés dans le couloir, elle tente d'ouvrir quatre portes avant d'enfin déverrouiller la sienne. Je reste sur le seuil.
- Bon ben, voilà. Tu es arrivée à bon port.
- … Tu ne veux pas entrer ?
- Non.
- J'aurais besoin d'aide pour mettre mon pyjama.
- C'est marrant, j'aurai parié que tu étais le genre de fille qui ne porte pas de pyjama.
- … Non, c'est vrai. Je n'en porte pas.
Je lève les yeux au ciel.
- … Je te paye une clope avant que tu ne retournes voir les autres ?
J'hésite. Elle m'indique sa droite : sa chambre est la dernière, au bout du couloir : celui-ci donne sur un balcon. J'accepte, et nous sortons. D'ici, nous surplombons tout le domaine mais, vu la pénombre, nous ne pouvons pas profiter de la vue.
Elle allume sa cigarette, tire une première taffe, et attend un peu avant de briser le silence.
- C'est vrai que tu as déjà quelqu'un ?
- … C'est un peu vrai et un peu faux.
- C'est-à-dire ?
- Je suis célibataire, mais... j'ai quelqu'un qui me préoccupe, dirons-nous.
- … Je t'ai cassé un coup, ce soir ?
- J'en sais rien... Tu ne m'as pas facilité la tâche, en tout cas. Mais je ne sais pas si c'est encore possible, ou si c'est foutu.
- Merde. Si c'est foutu, tu sais que moi...
- Si c'est foutu, je serai infiniment triste, et c'est tout.
Je sens son regard sur moi, mais je l'évite. Je continue de zieuter la salle. J'y vois des silhouettes – reconnaîtrais-je celle de Victoria ? Oui, j'en suis certain.
- T'es amoureux d'elle ?
- … Oui.
- Ça fait comment, d'être amoureux ?
- … ça donne des ailes. Ça rend heureux. Et ça fait peur.
- T'as peur de quoi ?
- De ne pas être à sa hauteur.
- Ah ouai. J'pensais qu't'allais m'dire que t'avais peur d'avoir le cœur brisé.
- … Non, ça... Ça ne me fait pas peur.
- Ah ouai ? Bah dis donc. Moi ça me fait flipper ! 'Pour ça que j'veux pas être amoureuse. J'ai pas envie d'être malheureuse à en crever.
Je souris malgré moi.
- Disons que... je sais que je saurai gérer ça.
Elle me dévisage.
- T'as déjà eu le coeur brisé ?
Je ne réponds pas. Je n'ai pas envie d'en parler. Et puis, tout ça, c'est loin maintenant.
- T'es le genre de mec qui aime en silence, hein ? Qui va se plier en quatre pour arranger tout le monde, même si à la fin, il reste seul à morfler, et que personne ne le voit.
- Euh... Je...
- T'es un mec bien, en fait.
- Mais tu ne me connais pas !
- Ouai mais ça se voit.
Je soupire.
- Pourquoi tu penses ne pas être assez bien ?
- Parce que je traîne des trucs pas glorieux... Et qu'elle mérite mieux que ça.
- Bah, essaie quand même. J'suis sûre que tu vas être bien. Hey t'sais quoi ? Y'a une gamine qui disait un truc cet aprem... c'était quoi son délire ? « ton cœur et toi vous êtes plus fort que la peur » ou un truc comme ça. Ça colle un peu à ta situation, non ?
Oh, ben ça. Je suis ébahi par cette phrase qui me revient maintenant. Je me tourne vers ma voisine philosophe improvisée.
- Bon, Luna ? Je peux te laisser, c'est tout bon pour toi ?
- Ouai, ouai... marmonne-t-elle. J'vais vomir, et après, j'vais dormir.
- Ah... formidable... Ton frère ne va pas t'embêter, dis ?
- Non, non. Je suis en sécurité ici. Mais si tu couches avec moi et qu'il te chope, c'est toi qui auras des problèmes.
- Ah. Mais puisque ça n'arrivera pas...
- Ouai. Bon. Hum, merci, beau gosse.
- Bonne nuit, Luna.
Je la dépose et entreprends ma traversée du couloir. Dans mon dos, elle crie « Hey dommage, tu m'plaisais bien t'sais ! Bonne chance, mec ! ».
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