#68
Je pénètre dans la salle, qui a commencé à perdre en population. C'est plus facile de repérer Victoria. Elle est assise sur une chaise, le regard vague. Deux garçons et une fille sont autour d'elle, ils discutent. Je reconnais son frère, celui qui était notre souffleur lors de la saynète.
Je m'approche d'un pas décidé. Je ne connais pas l'heure, mais nous sommes tard dans la nuit, il est grand temps de te relever les manches, Oscar !
- Humhum...
Ils se tournent vers moi à l'unisson. Ils me sourient amicalement, sauf Victoria – elle, son expression se durcit.
- T'es le témoin de Francisco !
- Oui, c'est ça...
- Ah ! Victoria nous a beaucoup parlé de toi ces derniers mois ! Oscar ceci, Oscar cela !
- Ah oui ?
Je vois l'intéressée se renfrogner. Ça ne lui paît pas du tout d'être affichée de la sorte.
- On n'a pas tellement eu l'occasion de faire connaissance, au final ! Dimitri, je suis son frère.
- Enchanté. Oscar.
Je n'avais pas tellement prévu de subir des présentations familiales. Je serre la main à ses deux frères, donc, et sa belle-sœur. Il n'y a que Victoria qui n'a pas daigné bouger de sa chaise. Ils tentent d'engager la conversation, mais je me fais violence pour les couper.
- En fait, excusez-moi, mais j'avais une dernière chose à voir avec Victoria.
Elle relève la tête, surprise.
- Pas du tout. On a tout bouclé.
- Il reste un léger détail dont j'aimerais te parler...
- Un « léger détail » ! Super ! Je suis trop fatiguée pour les légers détails, désolée.
Merde. Nos spectateurs la regardent d'un drôle d'air, surpris de son ton aussi sec. Moi, je cherche comment me dépêtrer de cela. Je suis abasourdi de m'entendre dire :
- Dans notre planning, j'avais prévu de t'inviter à danser !
Elle arrondit les yeux, et moi, je hurle intérieurement. Qu'est-ce qui me prend ? J'en n'avais pas assez eu, il faut faire un rappel ? Elle hésite. Son frère ouvre les bras.
- Bah, Vic, tu vas refuser ça ?! T'es fatiguée à ce point ?
Elle le regarde, puis un sourire se dessine sur son visage – un sourire moqueur, clairement. Elle se lève, et me dit en haussant les sourcils :
- D'accord ! On y va !
Je la suis sur la piste, me maudissant moi-même d'avoir osé initier ce massacre. De la musique pop-rock sort des enceintes. Je n'ai aucune idée de comment on danse là-dessus. Elle ne quitte pas son expression railleuse.
- Alors, Oscar ? Montre-moi comment tu danses !
- Je voulais surtout te parler, à vrai dire...
- Non ! T'as dit que tu m'invitais à danser !
- Oui, oui... J'aurai préféré un truc plus tranquille que ça.
- Y'avait des slows, tout à l'heure. Je t'ai attendu. T'es jamais venu m'inviter.
- J'étais... occupé.
- Ah. Même quand on se trouve dans le même lieu, ton emploi du temps est mystérieux, Oscar !
- Non mais... Rha !
J'abandonne la justification. À quoi bon ?
- Le relou n'a pas manqué de venir me voir, lui.
- Super. Et tu lui as dit oui ?
- Qu'est-ce que ça peut te faire ?
- Tu vas aller jouer l'infirmière de nuit avec lui ?
- Qu'est-ce que ça peut te faire ?!
Planté au milieu de la piste, je dois probablement faire la gueule. Ç'aurait été beaucoup plus simple si j'avais pu l'inviter pour un slow, effectivement !
- Tu m'as traînée jusqu'ici, et tu danses pas, finalement ?
- Je ne sais pas danser.
- Ok, génial. Tu mens, et tu me fais perdre mon temps. Je m'en vais.
- Non ! Attends, non.
Je ne vais pas ENCORE tout gâcher !
Je lui tends la main. Elle la regarde, puis la prend. Alors, je l’amène à moi, pose ma main gauche sur sa hanche, et ma main droite sur son épaule.
- Qu'est-ce que tu fais ?!
- Je t'offre le slow que tu voulais.
- Mais ce n'est pas du tout la musique adéquate !
- On s'en fout, non ? Ne sois pas « planplan » Victoria, voyons !
Elle ouvre la bouche d'un air outré, puis pouffe de rire. Ouf. À son tour, elle pose délicatement ses mains sur mes épaules. Je plonge dans ses yeux de biche. Faut que tu parles, Oscar, n'oublie pas ça !
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