#69
- Je dois te parler, Victoria.
- Tu ne lâches pas l'affaire, hein ?
- Non. Je te dois de la franchise.
- Oh ! Eh bien vas-y, sois franc.
Je rassemble mes idées. Par quoi commencer ?
- Tout d'abord... j'ai un peu menti quand je t'ai dit que tu étais belle, ce matin.
Elle agrandit les yeux avec surprise.
- Quoi ?!
- Tu n'es pas belle, tu es absolument éblouissante. Mais ce n'était pas très adapté de t'avouer la vérité.
- Oh !
Elle pince les lèvres en rosissant. Mon cœur pulse un brin plus fort. Je sens qu'il va monter en rythme à chaque nuance de rose gagnée.
- Tu me plais, Victoria. Je suis attiré par toi depuis des semaines. À chaque fois que l'on se voit, je suis pressé de te retrouver, et heureux de ta compagnie, et tendu de ce qui pourrait se passer entre nous, et déçu de te dire au revoir.
Elle ouvre la bouche et la referme sans mot dire, dans une expression angélique absolument délicieuse.
- Là par exemple, il faut que je me concentre pour ne pas t'embrasser tout de suite, parce que je n'ai pas fini de dire tout ce que j'ai à dire.
Elle baisse la tête et s'empourpre un peu plus.
- Oh ! À chaque fois que tu rosis comme ça, je me fracasse contre un mur.
Les yeux toujours rivés au sol, elle secoue la tête et je devine l'ombre d'un sourire sur son profil.
- Tu sors le grand jeu, Oscar...
- Ne le mérites-tu pas ?
- Je ne sais pas... ça dépend de la façon dont tu comptes conclure.
- Je n'invite pas des femmes à danser pour les rabrouer.
Des yeux timides se relèvent vers moi. Des yeux qui pétillent d'envie. Je freine mes ardeurs.
- Mais ce n'est pas encore l'heure de la conclusion.
- Ah.
Elle sourit malicieusement.
- Je n'ai rien tenté depuis des semaines, alors que j'aurais dû. La première explication, tu la connais.
- Ah bon ?
- Oui. C'est parce que je suis un idiot complet.
Elle rit de bon cœur.
- Là aussi, je te dois la franchise Victoria : je suis un idiot. Regarde-moi bien : un idiot, tu entends ?
Elle rit de plus belle.
- Moi qui pensais que tu étais un crétin, je suis bouleversée d'apprendre que tu es également un idiot !
- Ah ! Je cumule les tares.
Elle opine du chef. J'inspire : la suite sera plus sérieuse.
- L'autre raison pour laquelle je n'ai rien tenté, elle ne va probablement pas te plaire. C'est que j'ai promis à Nina de rester à distance honorable de toi.
Elle fronce les sourcils, m'interrogeant du regard. En voyant mon absence d'humour, elle se crispe.
- Comment ça ? Pourquoi vous avez parlé de ça ? Quand ça ?
- Au printemps, quand on s'est croisés chez Béni. Luigi a fait une blague lourdingue sur nous deux, et Nina m'a intimé de ne même pas y penser. Je lui ai assuré un peu trop rapidement qu'il n'y avait rien à imaginer. Quelle bêtise, Victoria. J'en suis désolé. Je m'excuse de m'être enfermé dans cette idée stupide de « pas touche », et je m'excuse qu'on ait osé prendre une décision à ton propos sans te concerter.
Le visage fermé, elle reste silencieuse. Ses yeux ne pétillent plus. Ils sont accusateurs. J'attends la sentence. Nous continuons notre slow au son des riffs de guitare et des boumboums de batterie. Nous avons déjà reçu quelques œillades amusées des autres danseurs.
Victoria secoue finalement la tête.
- C'est nul, ça, Oscar.
- Oui. Je le reconnais.
- Tu me déçois.
J'accuse le coup. Décevoir les femmes, c'est l'une de mes spécialités. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles j'avais décidé de rester célibataire. Arrêter de semer de la déception partout autour de moi. Bah, je réussis l'exploit de la décevoir avant même de sortir avec elle ! Quelle calamité, Oscar !
- Je suis aussi déçue de Nina.
- Elle voulait te protéger.
- Ce n'est plus de la protection, c'est une camisole de force !
- Elle prétend que tu as déjà vécu suffisamment de...
- Elle t'a parlé de mon ex ?!
- Non. Je ne connais rien de ton passé.
- Donc tu lui as dit « oui » sans arguments de sa part ?
- L'argument, c'est mon passé à moi... Je ne voulais pas la contrarier.
- Tu lui obéis au doigt et à l’œil ? En quel honneur ?
- Je pensais qu'il serait facile de m'y tenir. Je m'étais juré de ne plus mettre les pieds dans la vie à deux, je pensais vraiment qu'elle avait raison de vouloir éviter que nous... Victoria, mes histoires passées ont été un désastre, je t'assure que je ne suis pas un prétendant de rêve.
- Tu as scalpé tes ex et tu les as enterrées vivantes ou quoi, pour susciter une telle aversion ?
Je la regarde avec dépit.
- Non. Je me suis contenté de leur briser le cœur, l'une après l'autre. Je me suis dit que quatre, c'était pas mal, que je devrais arrêter là.
Elle essaie de garder la face, mais je vois bien une grimace s'esquisser.
- Il doit bien y avoir une explication, non ? Je ne peux pas croire que tu aies choisi volontairement des victimes au hasard et que tu te sois appliqué à les faire souffrir avec plaisir. Nina et Cisco n'accepteraient jamais de lier amitié avec un individu pareil !
Je souris, d'un sourire jaune.
- Non, non... Je... Pfff. Je n'avais pas prévu d'aller aussi loin dans la franchise, dis donc. Ça va être long, de te donner toutes les explications.
Elle ôte ses mains et fait un pas en arrière.
- Tu sais quoi ? Je m'en fiche. Ne me raconte rien. Ou du moins, pas sous la contrainte. Tu le feras si tu en as envie, un jour. J'ai pas envie d'écouter ta biographie jusqu'au lever du soleil.
Je la fixe. Je hoche la tête.
- Je te promets que je te raconterai.
Elle approuve silencieusement.
- Tu es fâchée contre moi, Victoria ?
- Ça dépendra de la suite... mais depuis le début de la journée, la balance est en ta défaveur. Heureusement, à chaque fois que je te regarde, y'a ta belle gueule pour ramollir ma colère.
Un sourire, aussi grand que ma surprise, se dessine malgré moi sur mon visage.
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