#70
Je lui tends de nouveau la main.
- On va encore danser un slow ?
- Si on veut parler... ça sera plus pratique qu'une salsa.
- Ne me lance pas sur la salsa, Oscar !
Je mime une fermeture éclair sur ma bouche. Elle rigole, et se rapproche. Elle prend une initiative qui me fige. Ses bras passent sur mes épaules et se nouent sur ma nuque. C'est très très proche. Jamais nous n'avons été aussi proches. Ma chemise moite se colle à ma peau sous l'effet de son corps contre le mien. J'ai vue plongeante sur ses yeux chocolat, sur ses lèvres qui m’appellent, dans son décolleté.
- Victoria, tu ne me facilites pas la tâche..., marmonné-je en mobilisant mon sang froid.
- Débrouille-toi.
Je ne sais pas où poser mes mains. Ça l'amuse. Elle sait l'effet qu'elle provoque sur moi. Finalement, je les laisse s'installer dans le bas de son dos. Nous recommençons à tourner lentement.
- Alors ? Je t'écoute !
J'expire.
- Tu dresses un parcours d'obstacle sur mon chemin depuis que je t'ai rencontrée, Victoria.
- Que c'est gênant, monsieur Plan-plan !
Un rire naît dans ma gorge. J'abaisse mon front sur le sien.
- Je regrette de t'avoir embrassé tout à l'heure.
- Oh... Moi, je ne regrette pas du tout.
- Je regrette ce baiser, parce qu'il gâche ce qui aurait pu réellement être notre premier baiser.
Elle cille. Sa bouche se pince. Poursuis, Oscar, tu n'as pas terminé !
- J'ai signifié à Nina que j'aurai le déshonneur de ne pas tenir ma parole.
- C'est-à-dire ?
- Je ne ferai plus tous les efforts du monde pour me tenir à distance de toi.
- Ah. T'es bien présomptueux... c'est peut-être moi qui vais t'éjecter de ma vie !
Je hausse les épaules. Elle fera bien ce qu'elle estime être le mieux, hein !
- J'aurai rêvé de t'inviter à danser ce foutu slow tout à l'heure, mais j'ai dû raccompagner une de vos cousines à sa chambre parce qu'elle était complètement ivre.
Elle recule la tête et arrondit les yeux.
- Ah bon ?! Qui ça ?!
- Luna.
- Ah... Comme c'est étonnant...
- Apparemment, vu son état, elle avait besoin d'être tenue hors de la vue de son frère...
- Ouai... Félix est... un peu sanguin.
- Elle en a profité pour me faire un suçon. Juste là.
Victoria me regarde comme un aliéné, puis penche la tête vers ma nuque, et écarquille les yeux.
- Comment est-ce possible ?
- Elle s'est jetée sur moi comme une sangsue ! Je n'aurai jamais imaginé qu'elle ose un truc pareil...
Elle me dévisage avec égard.
- Je te conseille de ne pas te vanter de cela auprès de Félix... Il risquerait de ne pas apprécier...
- Je n'ai pas l'intention de vanter cette chose auprès de qui que ce soit, ça m'est suffisamment pénible de t'en faire part !
Elle étouffe un rire.
- Il t'arrive des trucs abracadabrantesques, toi, hein ?
- C'est aussi une de mes particularités, oui : j'attire les situations merdiques !
Elle secoue la tête, pleine de moquerie, puis inspire grandement.
- Bon, c'est fini, les aveux ?
- J'en ai un dernier.
- Bah, je t'écoute.
- … Je suis amoureux de toi.
Elle reste en apnée, surprise de ma phrase. Dans ma nuque, ses bras se crispent. Sous mes doigts, son dos se contracte. Tout son corps est en tension. Machinalement, nous avons arrêté de danser. Nous restons immobiles sur la piste, sous les lumières des stroboscopes, entourés d'irréductibles fêtards qui dansent encore, chantent encore, boivent encore. Elle ne dit rien, absolument rien. C'est angoissant, ce silence – quelle ironie que ce soit toi qui le penses, Oscar ! Je le brise en bafouillant.
- Je... euh, dans ma tête, c'est à ce moment-là que je concluais en t'embrassant. Mais là... Je vais plutôt te laisser t'enfuir, parce que c'est ce que tu sembles songer à faire, j'ai l'impression.
Le rose prend de nouveau possession de ses joues. Elle baisse les yeux, et ses bras glissent doucement, détachant leur emprise.
- Pourquoi tu me dis que tu es amoureux ?
- Bah... Parce que c'est la vérité...
Je suis perplexe. Me suis-je trop laissé emporter ? Fallait-il y aller doucement, finalement ? Rester dans la pudeur ?
- Normalement, on dit cela à quelqu'un après avoir éprouvé quelque temps en couple... Histoire d'être sûr de ses sentiments...
- Alors là, Victoria, je suis cent pour cent sûr de ce que je ressens. Je n'ai pas souvent été amoureux auparavant. Il n'y a aucun doute possible.
Ses prunelles remontent timidement vers moi. Il y a une fragilité magnifique qui émane d'elle. Est-ce possible que je tombe encore un peu plus amoureux ? Son regard se fixe alors sur sa main, et je remarque qu'elle est posée à plat sur ma poitrine, à l'emplacement de mon cœur. D'un chuchotement, elle quémande :
- Il faut que tu conclues, Oscar.
J'amorce un mouvement vers elle, puis relève le nez. J'avise autour de nous. Ces gens, encore présents, ils sont potentiellement de sa famille. Nous ont-ils remarqués ? Quelles conclusions voudraient-ils en tirer ? Ses frères nous observent-ils ? Et ses parents ? Je ne sais même pas de qui il s'agit !
Ma main droite se fait ferme sur ses reins, et j'impulse un mouvement.
- Viens, Victoria !
Elle fronce les sourcils.
- Où ça ? Que fais-tu ?
Je la guide vers l'extrémité de la salle.
- Nous avons trop de public. Je déteste me donner en spectacle. Je préférerais que ta famille ait connaissance de mon existence de façon plus pudique qu'en me voyant t'embrasser sous leur nez !
- Ton existence, ils l'ont tous remarqué : tu es le type qui a accepté une salsa avec moi !
- Ils ne nous ont pas vus nous embrasser tout à l'heure ?
- Personne ne me l'a fait remarquer, en tout cas.
- Parfait, qu'ils en restent à la salsa pour l'instant, alors !
J'ouvre une porte qui mène aux vestiaires. Nous le traversons, et parvenons à l'issue de secours. Je laisse Victoria sortir avant moi. Dehors, elle semble s'imprégner de la nuit. Elle hume l'air.
- J'avais peur qu'il fasse plus froid que ça, mais c'est vachement... oh !
Placé dans son dos, j'ai posé mes mains sur ses hanches, et les laisse glisser sur son ventre. Je viens déposer un baiser délicat au creux de son cou. Elle frissonne, ce qui me fait sourire.
- Ne viens-tu pas de me dire qu'il ne faisait pas froid ? demandé-je avec canaillerie.
- Il fait même particulièrement chaud, tout à coup...
Je ne stoppe pas mes baisers. Je remonte sous l'oreille, puis atteins sa joue. Elle bascule la tête en arrière en soupirant. Je savoure ce contact que je me suis toujours refusé à rêver. On ne dit rien. Il n'y a rien à dire. L'évidence du moment est suffisante.
Enfin, elle tourne la tête vers moi. Je distingue mal son expression, nous avons peu de luminosité, ici. Je la fais tourner sur elle-même, et elle me fait face. Du dos de la main, je caresse sa joue, je passe dans ses cheveux, je glisse jusqu'à ses cervicales que j'avais caressées plus tôt dans la soirée. Ses lèvres s'offrent à moi, et je m'y abandonne.
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