#71

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  • Holá, Cisco.

 La journée du dimanche est magnifique. Je salue mon marié tout neuf, qui s'affaire dans la cuisine à préparer les plats pour le brunch qui sera proposé incessamment sous peu aux rescapés de la veille. Les parents de Francisco, son frère, et la famille de Nina sont déjà sur le pont aussi.

  • Salut mec. Tu peux aider à porter ?
  • Yep.

 Aussitôt dit, je prends les plateaux qu'il me désigne et m'en vais les disposer sur les tables de la grande salle, suivant scrupuleusement le plan que Nina a fait à l'avance. Je fais quelques allers et retours dans un calme relatif : tout le monde est fatigué de sa courte nuit, mais heureux de la beauté du week-end.

 C'est au bout de quinze minutes que mon ami parvient à se dégager du reste de la troupe pour me glisser à voix basse.

  • Alors... Bonne nuit ?
  • Ce devrait être à moi de te demander ça, Cisco... Ta nuit de noces ?
  • Fantastique ! Nous avons ronflé comme des bébés tellement nous étions crevés, tiens !

 On rigole ensemble. Il secoue la tête.

  • Quand je vois l'organisation qu'est un mariage, et la quantité de choses qui s'y passe, je ne vois pas comment on peut encenser la nuit de noces ! C'est un mythe, ce truc, crois-moi ! À cinq heures du matin, on avait qu'une envie : pioncer !
  • J'espère que votre nuit fut à la hauteur de vos envies, alors !
  • Trop bien ! La literie ici est mortelle !
  • Je suis assez d'accord.

 Cisco hausse un sourcil goguenard.

  • Va me faire croire que tu as dormi, toi !
  • Crois ce que tu veux, Cisco, mais je te l'affirme : j'ai dormi, et rien de plus que dormir !
  • Ben tiens ! T'as pas éprouvé la literie dans d'autres activités ?
  • Point du tout. Juste dormi.
  • Mais déconne pas, je t'ai vu t'éclipser avec Victoria après votre danse bizarre...
  • Oui.
  • Et t'as pas passé la nuit avec elle ?

 Je souris d'une oreille à l'autre.

  • Je ne t'ai pas affirmé avoir passé la nuit seul non plus...
  • Une nuit chaste ! Oh mon Oscar, tu renoues avec tes principes ?
  • Voilà ! Tout à fait ! Je suis un homme de principes ! Enfin... Avec les femmes qui comptent.

 Cisco me tapote le dos, l'air ravi.

  • Longue vie à vous, Oscar.

 Je hoche la tête. Au loin, Victoria fait son entrée. Elle a laissé une demi-heure entre nos arrivées. Je la détaille discrètement. Elle porte une robe légère, vert pomme, parsemée de petites fleurs blanches et roses. Décidément, combien de robes à fleurs possède-t-elle ? Ses cheveux sont détachés, un joli ruban du même vert glisse sur son crâne. Elle porte des sandales, et surtout, un sourire solaire.

  • Eh, mon pote... raccroche ta mâchoire parce qu'elle n'est pas loin de tomber par terre, là...
  • Oh, ça va...

 Je baisse les yeux, et je sens que je rougis. Cisco se marre.

  • Vous comptez vous la jouer comment, aujourd'hui ?
  • Innocents. On va se tenir à distance et faire comme si de rien. Hors de question de s'afficher à votre mariage.
  • Ok. Nina t'en sera reconnaissante. Elle a bien envie d'être l'unique centre d'attention encore quelques heures.
  • Oh, t'imagines bien que je lui laisse l'attention avec grand plaisir, hein...

 Il éclate de rire. D'autres invités arrivent, et Cisco va les saluer pendant que je commence à installer une palanquée de verres. D'humeur guillerette, je me hasarde à les disposer les uns par-dessus les autres, en une espèce de pyramide à trois étages. Victoria croise mon regard. Elle rosit en souriant. J'ai des papillons dans le ventre. Je veux voir ce rose-là encore et encore.

  • HEEEEEEYYYYY !

 Oh putain ! Je sursaute tellement que je bondis. Ma hanche cogne la table, faisant dangereusement tanguer la cinquantaine de verres que je viens de disposer. Je tends les bras pour rattraper de justesse les plus téméraires. Pfiou. C'était moins une. Le crois-je vraiment ? Les bras encore autour de mes récipients de cristal, j'ai à peine le temps de relever le nez afin de comprendre d'où vient cette exclamation enjouée qui a capté l'attention de la salle entière. Un corps entre en contact avec le mien, des bras m'entourent, une chevelure se frotte à mon nez, et je vacille. Hélas, quatre pauvres verres s'écrasent sur le sol : je n'ai pas pu les retenir. Mes mains à moi continuent de supporter l'avalanche menaçante.

  • AH merde ! marmonné-je en constatant les dégâts.
  • Beau goooosse ! Tu vas bien ? Alors, t'as réussi à pécho hier soir ?

 Je sens mon visage chauffer subitement : je ne dois pas être rouge, je dois être cramoisi. Luna relâche son étreinte, et m'observe avec délectation : je suis toujours penché sur la table, tenant les verres à bout de bras, ne pouvant pas bouger sous peine de commettre un massacre. Dans un silence de plomb, sous les regards médusés des autres invités, je bafouille une réponse.

  • Je... Euh... Bonjour, Luna.
  • Alors, pécho ou pas ?
  • Hum. Tu ne veux pas m'aider à relever les verres, plutôt ?
  • Han, non. T'es bien, penché en avant comme ça. La vue est sympa.

 Elle me détaille de haut en bas de façon totalement indécente, puis se rapproche et me souffle à l'oreille :

  • Ce pantalon te va à ravir... Bien dommage que t'aies pas fini dans mon pieu, tiens !
  • Non mais, ça suffit !, grommélé-je. T'es envoyée par Alix ou quoi ?
  • Alix ? C'est qui Alix ? C'est celle que t'as pécho cette nuit ?
  • Non, pas du to...
  • EST-CE QU'IL Y A UNE ALIX QUI A COUCHÉ AVEC BEAU GOSSE CETTE NUIT ?
  • Mais tais-toi, bon sang !
  • AH ! Alix veut rester discrète ?

 Je bouillonne. Non seulement elle m'affiche devant tout le monde – dont, forcément, la famille de Victoria – mais en plus, il n'y a pas une âme charitable qui ait l'idée de me venir en aide avec mes foutus verres !

 Elle me regarde avec fierté. Les dents serrées, je lui réponds à voix basse :

  • Tu as un drôle de sens de la loyauté, après le coup de main que je t'ai filé hier soir !
  • LUNA ?

 Nous relevons la tête. Le gars bedonnant qui ronflait d'alcool hier soir se dirige vers nous, sourcils froncés. Le frère. Ah, non, hein !

  • Qu'est-ce que tu fous, Luna ?, grogne-t-il.

 Elle perd un peu de sa prestance, tout à coup.

  • Euh, je disais bonjour !

 Il m'avise d'un œil soupçonneux. Moi, et ma position ridicule, buste en avant, fessier en arrière, verres dans les bras. Je tente un sourire amical, qu'il ne me rend pas.

  • Pourquoi tu l'appelles Beau Gosse ?
  • Euh... Parce qu'il...
  • C'est une petite blague, tenté-je. Luna se moque de moi.

 Elle me remercie d'un imperceptible mouvement de tête. Le frère ne semble pas disposé à rire.

  • Tu t'affiches devant tout le monde, Luna ! T'es ridicule ! Il est bien plus vieux que toi, en plus.

 Sans le vouloir, je scrute la demoiselle. C'est vrai qu'elle a l'air jeune, vingt ans à peine dépassés. Luna se tortille les doigts, à la recherche d'un peu d'amabilité chez son interlocuteur.

  • Il t'a dit que c'était une blague ! Pourquoi tu compares nos âges, c'est ridicule, Félix...
  • Parce que j'suis pas con ! Si t'allumes un homme comme tu le fais, il va se jeter sur toi, abrutie !

 Bon. Tout le monde nous regarde avec malaise. Il n'inspire vraiment rien de sympathique, ce gars. Je me racle la gorge : faire redescndre la pression, ça, je maîtrise au quotidien.

  • Ohlà, doucement... Luna se proposait de m'aider à relever les verres, à vrai dire.

 Elle avise la catastrophe en cours, puis fait le tour de la table sans discuter. Une voix douce s'adresse à nous :

  • Allez, allez, Félix... Tu vois bien que tu t'énerves pour rien. Francisco a besoin de bras pour déplacer des chaises vers l'extérieur. Tu veux bien lui donner un coup de main ?

 La dame, d'une soixantaine d'années, lui indique la double baie-vitrée et plusieurs garçons qui installent des assises sur la terrasse. Il souffle, fusille sa sœur du regard, puis s'en va. Ouf. Je croise le regard de ma sauveuse, et lui souris.

  • Vous avez l'air d'avoir besoin d'aide, Oscar.
  • Euh, oui. S'il vous plaît. Si vous réussissez à remettre ces petites choses en place, je vous serai reconnaissant.

 Elle m'appelle par mon prénom avec aisance, alors que je n'ai aucune idée de son identité. Je n'en fais pas formalité : en l'état, je bénis sa présence. Elle aide à redresser les verres, alors que Luna entreprend de ramasser les bris au sol. En quelques minutes, je suis dégagé. Je me redresse en soufflant. Ah ! Eh bien, la journée démarre en fanfare ! Au loin, je vois Victoria nous observer d'un drôle d'air. Elle me fait un signe que j'interprète comme "éloigne-toi". Serait-elle jalouse ? Aurait-elle peur de Luna ? Soudain, elle grimace. Je sens une main sur mon avant-bras. Je me retourne : la dame à la douce voix me sourit. 

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