Victoria.

 Un « toc toc » me fait sursauter. Quoi, encore une visite surprise ?

• Tu veux que j'aille ouvrir, Victoria ?
• Euh, oui... non... J'arrive !

 Je ventile un peu d'air devant mon visage. Comment faire partir ce rouge aux joues, là ?!

 Ça toque de nouveau. Respire, Victoria, respire ! Tu es une grande fille, tu vas savoir rester digne devant cet homme qui ne va absolument pas juger la vieille boite de préservatifs périmés qui traînait dans ton salon !

• Victoria ? C'est ton voisin, il parle de médicaments...
• Ah ! Oui, j'arrive ! Entrez, Monsieur Belmontes, entrez !

 Je les rejoins. Je salue chaleureusement mon vieil ami, et l'invite à s’asseoir sur le canapé. Oscar a récupéré sa ribambelle de boites de cachets, et l'ordonnance directive.

• Comment allez-vous, Monsieur Belmontes ?
• Oh, bien, ma chère Victoria. Et toi ?
• Parfaitement bien !

 Le vieil homme lève les yeux vers Oscar, lequel lui adresse un franc sourire en déposant son butin devant moi. Je déplie l'ordonnance, et entreprends d'ouvrir les cases du pilulier.

• Rien n'a changé, à ce que je lis ?
• Pas un seul dosage ! Tout est pareil !
• Bien, bien.
• Je m'excuse de te déranger, Victoria.
• Allons, vous savez bien que vous ne me dérangez jamais, Monsieur Belmontes !

 Il regarde de nouveau Oscar puis détourne les yeux vers Zana.

• Votre appartement s'est grandement peuplé en l'espace d'une semaine, dites donc !
• Oh, ça, c'est la lapine de ma cousine Nina, vous savez ?
• Celle qui s'est mariée ?
• Oui, tout à fait ! Elle me l'a mise en garde pendant son voyage. Et, là, je vous présente Oscar. C'est...

 Je marque un stupide temps d'arrêt. Je ne devrais pas. Oscar va être vexé ! Sauf que je ne sais pas trop comment le présenter... et maintenant, je n'ose pas le regarder dans les yeux !

• Un ami, termine Oscar d'une voix polie.

 Monsieur Belmontes hoche la tête, puis me glisse d'une voix parfaitement audible.

• Est-ce l'ami qui dépose des boites de carbayones sur votre palier le dimanche soir ? Qui accepte de danser avec vous alors qu'il vous a clairement affirmé qu'il détestait cela ? Et qui vous apporte un cadeau à chacune de vos rencontres ?

 Mes joues me chauffent tellement qu'on pourrait y cuire un œuf sur le plat, je crois.

• Euh... Oui, c'est lui...

 Plus jamais je ne pourrais regarder Oscar, plus jamais ! Monsieur Belmontes relève les yeux vers notre objet de discussion, et s'adresse à lui :

• J'ai affirmé à Victoria que, vu tout ce qu'elle me racontait, parole d'homme, vous aviez des vues sur elle et que vous tentiez de la séduire !

 Je ferme les yeux. Han là là, c'est de pire en pire ! Un bref silence suit la réplique de mon voisin et, finalement, j'entends Oscar répondre :

• J'espère bien avoir réussi.

 Mon cœur tombe à terre, et remonte aussitôt. Mon voisin rit doucement, de ces rires de voix cassée par le temps. Je relève les yeux. Oscar est fixé sur moi, l'air plus amusé qu'autre chose. Je bredouille :

• Peut-être bien...

 Un sourire ravi se dessine sur son visage angélique. Je retourne à mes pilules : c'est que, il ne faut pas que je fasse n'importe quoi avec les traitements, quand même ! Trois le matin, un demi le midi, un au dîner et un au coucher en cas de besoin...

• Qu'est-ce que... Oh, ça alors ! Je crois, jeune homme, qu'une soirée intéressante vous attend...

 Je me tourne vers la voix railleuse de mon voisin. Horreur ! Il tient dans sa main mon soutien-gorge en dentelle !

• Monsieur Belmontes !, m'étranglé-je. Qu'est-ce que vous faites ?!
• Excusez-moi, Victoria, je n'ai aucunement l'intention de vous le voler, mais il vient de glisser de l'accoudoir jusque sur mes genoux !

 J'ouvre la bouche sans mot dire. Cette soirée est un enchaînement de catastrophes ! Sans que je ne puisse l'expliquer, Monsieur Belmontes tend le bout de tissu à Oscar.

• Tenez, jeune homme.
• Merci, dit-il poliment en l'attrapant.

 Je voudrais disparaître sur-le-champ. Oscar reste pourtant impassible, fixant mon voisin avec le même sourire affable. Celui-ci reprend la conversation comme si de rien n'était.

• Vous travaillez dans le sport, ou un truc comme ça ?
• C'est ça. Je suis kinésithérapeute.
• Ah ! Ça tombe bien, ça ! J'ai une question pour vous !
• Dites-moi.

 Mon voisin lui parle de ses douleurs aux genoux, et Oscar écoute attentivement pendant que je termine de fermer les cases du pilulier. J'ai tout revérifié : c'est bon. Je rassemble les boites, et attends patiemment que mes acolytes terminent. Oscar donne des conseils à mon vieil ami, et prend même le temps de lui montrer la manière idéale de se mobiliser afin de limiter les douleurs. Monsieur Belmontes est ravi de se faire chouchouter par un deuxième soignant tombé du ciel !

 Nous le raccompagnons à la porte.

• Avez-vous besoin que je descende avec vous ?
• Oh non, Victoria ! Reste donc avec ton... ami. Passez une bonne soirée, surtout !

 Je souris – probablement du sourire le plus crispé du monde – et nous lui disons au revoir.