#78

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 Je referme la porte, et marque un temps d'arrêt avant de me tourner vers Oscar. Il est en train de tourner dans ses mains ma dentelle rouge. Je sens mes joues chauffer une fois encore. Il relève les yeux vers moi.

  • Tiens. Je te rends ton... Hum. Ceci.
  • C'est euh... rien... c'est... ce que j'avais prévu de porter demain...
  • Oh. Je vois.
  • Oui enfin, je n'aurais pas dû le laisser traîner... La surprise est gâchée.

 Il se mord la joue.

  • Tu pourrais quand même le mettre ? Juste histoire de... voir ce que ça donne.

 Un sourire malicieux se forme sur son visage.

  • Tu te moques de moi !
  • Ce n'est clairement pas de la moquerie que m'inspire ce bout de tissu, non.

 Je me sens rougir de nouveau. Vais-je, à la fin, quitter cette couleur encombrante ?

 Je rassemble soutien-gorge, culotte et robe.

  • Allez, ça suffit ! Personne n'aurait dû voir ça ! C'est... personnel. Je ne sais pas pourquoi je les ai apportés jusqu'ici...
  • Le lapin t'a vu les porter ?

 Je l'observe, interloquée. La question me surprend.

  • Non. Mais elle m'a vue nue, en revanche.
  • Oh ?

 Il se tourne vers la bestiole d'un air songeur, puis marmonne.

  • Je suis un peu jaloux d'un lapin.
  • Ah bon ? Y'a pas de raisons !

 Il revient à moi, les sourcils levés, dans une espèce d'évidence. Je m'empourpre de nouveau. L'idée qu'Oscar me voit nue m'émoustille, mais aussi, me gêne fortement.

  • Toi, tu ne peux pas me voir nue !
  • Ah bon ?! Ni avec ces choses, ni nue ?
  • Non !
  • Mince, alors. Dommage...
  • Beh non, parce que... tu ne peux pas.

 Je repense à mes poils, et je me sens paniquer. Zut, crotte, suée ! C'est une catastrophe, son arrivée aussi tôt, une véritable catastrophe ! Je n'oserai jamais me montrer telle quelle, je vais même être obligée de le renvoyer chez lui ce soir !

  • Hey, t'inquiètes pas Victoria, tout va bien.
  • Non, tout ne va pas bien, non !
  • Ah bon ?
  • Oscar, je suis désolée mais : il faut que tu rentres chez toi !

 Il arrondit les yeux. Je crois même qu'il pâlit un peu.

  • Pardon ? Il y a un problème, Victoria ? J'ai fait quelque chose ? J'essayais de détendre l'atmosphère, c'est tout...
  • Non, tu n'as rien fait ! Enfin, si, tu es venu !
  • Il ne fallait pas ?
  • Non, il ne fallait pas, parce que.. c'est trop tôt !
  • Ah bon ? Tu avais prévu quelque chose ce soir ?
  • Oui... Oscar...

 Il a l'air navré.

  • Mince ! Je ne m'imaginais pas... Je suis désolé, Victoria. Je n'aurai pas dû venir sans prévenir, c'était envahissant, je...
  • Non, attends, Oscar... C'est pas que tu me déranges... En fait... Je ne suis pas épilée !

 Oups. C'est dit. Il se fige de stupeur, ouvre lentement la bouche, et me répond laconiquement :

  • Oh. Moi non plus.

 Non mais il se fout de moi ?

  • Oscar ! Ça n'a rien à voir !
  • Ah bon ?
  • T'es bête, arrête !
  • D'accord.
  • Les garçons n'ont pas besoin de s'épiler.
  • Alors que les filles en ont besoin ?
  • Bien sûr que oui ! Sinon...
  • … sinon ?
  • Mais enfin ! Tu sais bien ! Les hommes n'aiment pas ça !
  • Ah. D'accord.

 Il fait une drôle de tête. Du genre « je ne comprends rien à ce qu'elle raconte, mais je n'ose pas lui dire ». Je me demande s'il se moque de moi, ou s'il est juste incroyablement naïf.

  • Pourquoi tu fais cette tête-là ?
  • Je ne savais pas que les garçons n'aimaient pas ça.
  • Mais ! Enfin ! Tu es un garçon !
  • Oui. Je crois que oui.
  • Et du coup ?

 Il me dévisage avec circonspection, puis inspire.

  • Je devais être absent le jour où on a demandé leurs avis aux hommes... Encore en tournoi, probablement !

 J'écarquille les yeux. Un rire nerveux meurt dans ma gorge. Là, à l'instant, j'ai devant moi le garçon « lunaire et nonchalant » que Nina m'a toujours décrit.

  • Oscar, qu'est-ce que tu me fais ? On dirait que tu découvres ce que je te dis !

 Il se gratte la tête en haussant les épaules.

  • Non, non, mais... Tu sais, Victoria, je m'en fiche un peu de tout ça, moi.

 Il tente un sourire pincé. Moi, je suis circonspecte.

  • Tu dis tout ça pour me rassurer.

 Il soupire, tend la main pour prendre la mienne et, du pouce, caresse mes phalanges.

  • Écoute, Victoria. On vient de passer trois semaines loin l'un de l'autre. Je ne sais pas pour toi, mais moi, j'ai détesté ça. Tu m'as énormément manqué, j'ai beaucoup pensé à toi et à nos retrouvailles, je ne pensais qu'à ça, même. J'étais pressé comme un gamin de te retrouver, tellement pressé que j'ai chopé le dernier train pour les Asturies pour venir ici le plus tôt possible. C'est un vrai bonheur pour moi d'être avec toi ce soir. Alors je t'avoue que, quand tu m'annonces que je devrai rentrer chez moi parce que tu n'es pas épilée, je suis un peu éberlué. Moi, je veux juste être avec toi et profiter de notre premier tête-à-tête en amoureux. Je me fiche des conditions matérielles ! Alors que tu portes ces charmantes choses rouge ou pas, que tu sois imberbe ou pas, personnellement, ça ne change pas mes envies : être avec toi, profiter de chaque minute ensemble, rattraper ce temps perdu qui m'a semblé interminable. C'est tout.

 Je reste silencieuse, juste le temps d'imprimer ses mots dans mon esprit. Il a l'air sincère. Serait-ce possible qu'il ne soit préoccupé que d'une chose : être avec moi ? Mais, et tous ces frousfrous qu'on nous enseigne depuis des décennies ? Et les moqueries que l'on essuie si l'on a le malheur de ne pas correspondre à l'image de la femme parfaite ? D'où ça sort, tout ça ? Ai-je devant moi un homme surnaturel ?

  • Tu seras toujours comme ça ?, lui demandé-je, penaude.
  • Comme ça quoi ?
  • Bah, calme, philosophe... adorable ?

 Il hausse les sourcils, puis ricane nerveusement.

  • Je ne sais pas... je suis devant toi sans artifices, oui... ça ne te plaît pas ?
  • Oh ! Oscar...

 Je lâche les vêtements qui m'encombrent, me jette à son cou et l'embrasse langoureusement. Au départ surpris, il se détend et répond à mon baiser mouillé avec verve.

  • Ah... me dit-il alors qu'on observe une pause pour respirer, Je préfère nettement cette tournure de soirée.

 Je glousse comme une adolescente. Il plonge ses yeux dorés dans les miens.

  • Ne me demande pas de rentrer chez moi, s'il te plaît. Du moins, pas pour ça. On peut juste passer la soirée dans les bras l'un de l'autre, sur le canapé, moi je ne demande pas plus... juste être avec toi.
  • D'accord !

 Il sourit avec satisfaction. Dans le fond, moi aussi, j'ai juste envie de l'avoir rien que pour moi.

  • On ne se déshabillera pas !, m'assuré-je en récupérant ma robe et ma parure au sol.
  • … Non, me répond-il avec amusement.
  • Tu resteras jaloux du lapin !

 Son rire franc habille ma pièce de vie, et mon cœur explose de joie.

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