#79
Victoria.
- Ooooh !
Il sort un paquet de son sac, et je glousse comme une gamine.
- Ce sont des biscuits new-yorkais ?
- Yep. Pour le coup, des sucreries locales, à New-York, y'a l'embarras du choix. J'ai eu du mal à en faire un, de choix.
- Ah ! Tu as tiré à la courte paille ?
- Non. J'ai pris une boite de chaque. Je te les offrirai au fur et à mesure.
- Tu plaisantes ?
- Tu crois ?
Je ris de plus belle. Il a l’œil attendri alors que je déballe le colis. Des biscuits au beurre de cacahuète ! Je sens qu'ils ne vont pas faire long feu !
- Oh ! Merci, Oscar ! Tu continueras de m'en apporter à chaque déplacement ?
- Eh bien...
- Je vais prendre dix kilos avec toi. Je vais devoir suivre un programme intensif de salsa pour éliminer les calories que tu m'offres !
- Justement, je voulais te dire...
Il frotte ses mains sur ses cuisses, et semble chercher ses mots. Il va probablement m'annoncer qu'il a dit oui à Marc, et qu'il y aura d'autres voyages de plusieurs semaines. J'y ai déjà réfléchi, je sais que ça arrivera régulièrement... Certes, l'absence est pénible, mais il l'a dit lui-même lors du mariage : je sais de quoi il en retourne. Je ne vais pas le lui reprocher maintenant !
Je pose ma main sur son genou, entravant son geste nerveux. Il me regarde, un sourire réservé au visage.
- Victoria, je vais peut-être limiter les déplacements.
- Ah oui ? Comment ça se fait ?
- Je sais qu'une école de tennis a ouvert, à la rentrée, à Oviedo. J'ai commencé à prendre des renseignements auprès de la Fédération. Tout n'est pas tout à fait calé, un staff technique est déjà en place, mais il est prévu d'embaucher aussi une équipe soignante. J'ai porté ma candidature. Et ils sont grandement intéressés.
Il prend une grande inspiration, sondant ma réaction. Bon ça alors. Je suis stupéfaite.
- Tu viendrais peut-être travailler à Oviedo ?
- Oui.
- Mais... et Marc ?
- Marc ? J'ai refusé sa proposition.
- Tu fais ça… pour moi ?
- Tu demandes sérieusement ? Au mariage, tu m'as demandé si je comptais choisir éternellement cette vie-là. C'était assez clair, comme sous-entendu, je crois...
- Oh, non mais attends, il ne faut pas que tu changes toute ta vie pour moi ! Ohlàlà, mais pour qui je me prends, à dire des trucs pareils ! En fait, tu sais, j'étais un peu alcoolisée, et vraiment désespérée qu'il ne puisse rien avoir entre nous, alors mes mots ont dépassés ma raison, mais jamais je ne voudrais t'imposer de...
Il pose mon doigt sur sa bouche pour la stopper.
- Attends, attends... Déjà, je ne change pas tout. Je resterais dans le milieu du tennis. Ensuite, Oviedo c'est ma ville de cœur, tu sais bien... ça me tente de me rapprocher de tout le monde. Et puis... Oui, Victoria. Tu comptes aussi. Ce n'est pas uniquement pour toi, je dirais plutôt « pour nous ».
- …
Un silence gênant s'installe. Techniquement, ça ne fait que trois semaines que nous sommes en couple, et nous les avons vécues à des milliers de kilomètres l'un de l'autre. Et voilà qu'il m'annonce un déménagement et un changement de travail ?!
Il détourne le regard et balaie la pièce dans une expression ennuyée.
- Victoria, je ne sais pas comment tu vois les choses, mais... Personnellement, je crois qu'on peut vraiment construire quelque chose de chouette, tous les deux. Mais je sais aussi, par expérience, que la distance est très compliquée à gérer. Tu m'as horriblement manqué. Je n'ai pas envie de vivre ça tout le temps. Je n'ai plus envie de vivre ça. La distance et le manque, c'est épuisant, à long terme, crois-moi.
- Tu ne feras plus les tournois, alors ?
- J'en sais rien, à vrai dire. J'ai 2 compétitions sur lesquelles je suis attendu en Octobre, avec le club de Madrid. Je ne pourrai pas y échapper. Ensuite... On verra si je suis accepté à Oviedo ou pas. Je ne connais pas encore leur fonctionnement.
Je bascule la tête de haut en bas. Je suis toute émue, à vrai dire. Dire que Nina m'avait annoncé un homme « qui ne sait pas s'engager ni montrer ses sentiments ». Ce soir, il enchaîne les preuves d'amour. Débarquer en surprise, me rassurer sur ses intentions, refuser une opportunité exceptionnelle pour sa carrière, demander une mutation pour se rapprocher de moi... En échange, je n'ai que des sous-vêtements en dentelle à lui proposer ? C'est minable !
- Oscar ?
- Oui ?
- Je t'aime.
- Oh !
- Je ne sais pas comment te montrer que je t'aime, mais je t'aime.
Il sourit. Il semble heureux. Infiniment heureux. Moi aussi.
Je relève le nez. Le générique de fin défile à l'écran, mais Oscar n'en voit rien. Il dort depuis plus d'une heure. Il n'a pas vu grand chose de plus que le générique du début, en fait.
Nous avons fait exactement ce qu'il a dit : nous nous sommes emmitouflés, l'un contre l'autre, sur le canapé. J'ai proposé un film. Il m'a laissé choisir, arguant qu'il était très mauvais en cinéma. Moi, j’avais une liste longue comme le bras à proposer. Il a dit avec gêne « Ne mets pas un film qui te tiens trop à cœur ». Pourquoi donc, avais-je demandé. « Parce que je risque de sombrer avant la fin, et je ne voudrais pas te décevoir ». J'avais trouvé ça choupi. J'avais donc opté pour un film que j'appréciais, mais sans y mettre trop d'engagement. Et, effectivement, il sera bien incapable d'en faire un résumé demain.
Nous sommes allongés de tout notre long, moi sur lui, contre son torse. Son bras gauche enlace ma taille. La respiration d'Oscar est lente. Elle a quelque chose d'apaisant. Son visage est serein. Il est beau à regarder. Par curiosité, à tâtons, j'ai cherché son poignet pour y capter son pouls. Il est lent, lui aussi. Quarante-quatre battements par minute ! Vraiment, vraiment lent ! Bien sûr, je suppose que son quotidien sportif y est pour quelque chose. Mais je ne peux m'empêcher d'y chercher une autre explication. J'ai envie d'y voir de la sérénité. Sérénité d'être là, avec moi, dans un instant sans enjeu. Sérénité de n'avoir aucune peur et aucune angoisse à l'instant. Ça me plaît. Je la ressens aussi. Je me sens bien. Incomparablement bien.
Annotations