#4

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 Je toque deux fois. Je me fais la réflexion que je ne sais même pas à quoi ressemble Victoria. J'ai à peine repensé à son invitation, bien occupé que j'étais ces dix derniers jours. Heureusement qu'elle m'a rappelé le rendez-vous que l'on avait convenu !

 La porte s'ouvre, et c'est un timide sourire sur un visage rosissant qui m'accueille. Victoria n'est pas très grande, elle a une peau un peu mate, et des cheveux châtains qui caressent ses épaules ; ses yeux ont la couleur du chocolat qui fond au bain-marie et embaume délicieusement la cuisine ; ils sont encadrés par de longs cils noirs qui lui donnent un air ingénu. Globalement, elle a un petit gabarit qui donne l'impression qu'un éternuement la ferait s'envoler. Elle ressemble à Madame-Toulemonde comme moi je ressemble à Monsieur-Toulemonde.

  • Hum, salut !
  • Salut ! … Viens, entre !

 J'entre en frottant mes chaussures, machinalement. Dès que je vois un paillasson, je frotte mes chaussures. C'est parfaitement inutile aujourd'hui, vu la journée étonnamment ensoleillée que la fin Mars nous offre.

 Je la suis dans la pièce de vie. Un coin cuisine se devine derrière le bar au fond de la pièce, mais c'est le canapé méridienne qu'elle me désigne. C'est très chaleureux, ici : la pièce baigne dans la lumière, il y a des plantes dans chaque coin, sur chaque étagère et même des pots suspendus au plafond. Quelques tableaux de paysages agrémentent les murs blancs. Je reconnais une plage asturienne, la Silencio, ainsi que la cascade du Cioyo perdue dans les montagnes frontalière de la Galice ; mais d'autres ne me parlent pas.

  • Je te propose un café ?
  • Euh, oui. Très bien. Tiens, c'est pour toi.
  • Oh ? Qu'est-ce que c'est ?

 Elle ouvre le petit sac et en extirpe une boîte de pâtisseries en forme de croissants de lune.

  • Ce sont des "flaons de Morella". La pâte est aromatisée à l'eau de vie, et fourrée de ricotta à l'amande. Enfin, c'est bizarre, dit comme ça, mais en fait, c'est pas mal !
  • Oh mais... merci !
  • Je reviens de quelques jours à Vinaros, dans le valencien... Ce sont des spécialités de là-bas. Enfin, leurs vraies spécialités, ce sont les gambas énormes qu'ils cuisinent en paella, mais je n'étais pas confiant de ramener ça dans ma valise, alors...

 Elle rigole gaiement à ma boutade.

  • C'est super gentil ! Fallait pas, vraiment...

 Ah ah ! J'ai été élevé par Ana Vázquez del Río, très chère. Bien sûr que si, il fallait : on n'entre pas chez son hôte sans un présent dans les mains.

  • Je vais les ouvrir avec le café ! dit-elle en s'éloignant vers la cuisine. Installe-toi !

 J'approuve d'un signe de tête, et m'assieds dans le canapé. Devant moi, sur la table basse, un mini pot avec une plante toute frêle, et un ordinateur portable ouvert. De nouveau, c'est un paysage asturien qui fait office d'écran de veille : l'un des lacs de Covadonga, une merveille de la nature perchée dans les sommets des Picos de Europa*. Je souris. J'aime ce lieu. Je me suis évadé loin dans les montagnes de ma région chérie lorsqu'elle réapparaît avec deux tasses fumantes.

  • Merci.

 Elle s'assoit à mes côtés, observe la photo de l'écran, puis moi, puis avec un léger sourire, déverrouille son ordinateur.

  • Bon, euh, je te propose qu'on entre dans le vif du sujet tout de suite, comme ça je te libère rapidement ?
  • T'inquiètes pas, je ne suis pas pressé.

 Ce qui est vrai. Je dois retrouver les gars au bar de Beni en soirée, sans vraiment d'horaire. Ceci dit, la raison de ma présence ici ne m'enthousiasmant guère, je suis bien d'accord pour ne pas y rester des heures.

  • Donc, j'ai déjà écrit quelques trucs. L'idée, ce serait qu'on fasse semblant de commencer un discours, et qu'on se chamaille tout le long. J'ai pensé à ça parce que Nina n'arrête pas de me demander si toi et moi on va s'entendre, elle est persuadée que mon côté organisée et rigoureuse ne va pas coller avec ton côté... euh...

 Elle s'arrête et se mord la lèvre. Bien que je fusse agacé par le début de sa phrase, c'est cette action qui mobilise soudainement mon esprit. Je ne sais pas pourquoi, je reste stupidement scotché sur sa bouche. Elle a une très jolie couleur, rouge éclatant, un peu comme une cerise prête à tomber de l'arbre. Ce n'est que lorsqu'elle libère sa lèvre pour reprendre la parole, que mes yeux remontent vers les siens.

  • Enfin, bref. C'est idiot qu'elle pense ça, hein ?
  • Euh. Oui. Complètement.
  • Je pensais qu'on pourrait jouer grossièrement la fille psycho-rigide et le gars nonchalant, tu vois ? Ça serait drôle.
  • Je ne sais pas si je suis drôle, tu sais. Je suis plutôt... plan-plan et quelconque.

 Elle semble un peu décontenancée. Merde. Je suis tellement pas drôle et plan-plan que je lui en apporte la preuve au moment même où je le lui explique.

  • Ok, euh... Bon. J'ai essayé d’écrire un dialogue rigolo. Je peux te le faire lire ?

 Elle attend ma réponse avec un peu d'inquiétude.

  • Vas-y, montre-moi.

 Un sourire timide la traverse, et un joli rose lui monte aux joues. Allez, fais un effort, Oscar. C'est p'tet pas si dramatique que ça, ce qu'elle a préparé. C'est l'histoire de dix phrases à tout casser.

______

* les Picos de Europa sont une chaîne de montagne située au nord de l'Espagne.

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