• Allô ?
• Bonjour, Oscar !
• Bonjour, Victoria.
• Tu vas bien ?
• Très bien, merci. Et toi ?
• Parfait. Ton voyage s'est bien passé ?
• Oui. Je viens de rentrer à Madrid.
• Tu n'as peut-être pas eu le temps de lire ce que j'ai ajouté...
• Si, si. Je l'ai fait. Je ne t'aurai pas téléphoné, sinon.
• Ah. Oui. En effet. … Alors, qu'est-ce que tu en penses ?

 J'en pense que six pages, cela commence à faire beaucoup pour une vague saynète sans prétention.

• C'est... c'est très amusant. Tu écris bien !
• Oh, merci !
• Je crois que l'humour fera mouche, ajouté-je. Et, je ne sais pas pour toi, mais je dois avouer que les gens me reconnaîtront certainement dans le personnage.
• Ha ha... hum.

 J'imagine sans mal le rose colorer ses joues, et ses lèvres se pincer de gêne.

• C'est même étonnant que tu m'écrives aussi bien. On croirait que tu me connais depuis des lustres.
• J'ai... peut-être interrogé, mine de rien, Cisco et Nina. Surtout Cisco, en fait. Nina n'est pas du genre modérée quand elle parle de quelqu'un.

 Là encore, je n'ai aucun mal à imaginer la façon dont Nina me décrirait. Volage, étourdi, et je-m'en-foutiste ; en bref, non fiable. Son caractère presque militaire est à mille lieues de mon flegme légendaire.

• J'espère que la description ne t'a pas trop fait peur.

 Elle répond de ce rire enfantin lumineux.

• Non, non. Tu me fais très bonne impression, et c'est agréable de communiquer avec toi.
• Hum hum. Tant mieux.

 Un énième silence gêné s’immisce dans la conversation. Habituellement, je n'ai pas de problème avec eux. Mais, vas savoir pourquoi, les silences de Victoria m'interpellent. Comme s'il s'y passait des choses. Je reprends le fil de notre discussion :

• Bien, euh. J'ai peut-être quelques suggestions sur deux ou trois phrases, mais globalement, je trouve ça chouette.
• Super ! J'attends tes retours ! J'ai hâte ! Je n'ai pas envie de tout écrire non plus. Il faut qu'il y ait un peu de toi dedans. C'est plus facile pour s'y plonger.
• Tu fais du théâtre ?
• Euh, oui... je joue dans une troupe d'impro, et j'encadre un groupe de jeunes aussi.
• Ah oui. Waouh, pas qu'un peu.

 Nouveau silence. Nouveau rose aux joues, j'en suis persuadé.

• Et tu fais de la danse aussi.
• Oui...
• En plus de ton travail à l’hôpital ? Eh bien, tu ne t'ennuies pas.
• Mais j'adore ! Ça me plaît ! Je ne me verrais pas rentrer dans mon appart et tourner en rond dans ma solit... (elle se coupe brusquement). Enfin bref, passons, on s'en fout ha ha ! On n'est pas là pour parler de moi. Tu m'envoies tes propositions ?

 Je suis un peu perturbé par sa manière d'avoir balayé la conversation. Parlait-on de quelque chose de gênant ? J'essaie de mobiliser mes pensées pour répondre à sa question :

• Oui. Demain, promis.
• Parfait. Et, je pense qu'on devrait se revoir pour s'entraîner un peu ensemble. Tu reviens prochainement à Oviedo ?
• Euh, dimanche.
• Ah ! Parfait !

 Je suis stupide ou quoi ? Je reviens dimanche, certes, mais j'accueillerai mon fils et sa mère pour la semaine ! Pourquoi je lui ai dit ça ?!

• Enfin, oui, mais je serais occu...
• Oh !, me coupe-t-elle. Excuse-moi, ça sonne à l'interphone, je... je suis désolée, je vais devoir te laisser.
• Pas de soucis.
• J'attends ton mail, et on se redit pour la semaine prochaine ?
• On fait ça.
• Parfait. Euh... Bonne soirée, Oscar.
• Bonne soirée, Victoria.

 Bon. Je me gratte la tête en soupirant. Je suis bon pour retéléphoner à Alix et lui demander, une fois encore, un léger aménagement d'organisation. Dieu merci, j'ai eu l'idée de faire un enfant à la fille la plus détendue de la Terre ! J'entends d'ici son « pas grave, mon Oscar ! ». Et ses moqueries aigres-douces. Parce que la fille la plus détendue de la Terre était aussi la plus piquante.