#11

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 Je relis, pour la dixième fois au moins, ses annotations. Il y en a partout, presque à chaque ligne. Des trucs surlignés en jaune, des remarques en vert, d'autres en bleu. C'est joli, quand on regarde rapidement. La première fois que je l'ai eu entre les mains, j'ai été à la fois surpris et déçu du nombre de coups de crayon. Puis, un quart d'heure après, je l'ai parcouru une deuxième fois, et j'ai souri de ce patchwork coloré. Ça fait très « institutrice ». J'ai à peine pris le temps de porter mon attention à ses propos, parce qu'Andreas et Alix m'attendaient.

 Ce n'est que la troisième fois, à plus de minuit, après avoir pris congé de mes colocataires de la semaine, que je me suis réellement posé à la lire. Je découvris alors, avec émerveillement, ses mots. Il n'y avait pas une critique, pas une correction. Non, elle n'avait pas émis le moindre avis quant à la page recto-verso que j'avais bâclé à la hâte, pour justifier ma demande faite le dimanche d'avant. À la place, elle avait annoté de tous côtés des blagues, des paroles de chansons ou des références cinématographiques à chaque fois qu'un propos s'y prêtait. Et je découvrais avec joie qu'on avait les mêmes goûts. Je l'ai lu, relu, et rerelu. Et j'ai ri à chaque fois.

 Elle avait certainement pensé que ce discours était mauvais. Parce que plus je le lisais, et plus je constatais qu'il l'était. Je n'y avais mis ni cœur, ni âme, ni même une pointe d'application. C'était des phrases bidons, sans intérêts et sans transitions. Il n'était qu'un prétexte. Parce que, quand j'avais constaté à quel point nous prenions facilement en main cette saynète, et combien elle était déjà si bien écrite qu'il n'y aurait pas tellement besoin d'y retoucher, j'ai ressenti une peur de voir s'évanouir nos échanges. Et, j'avais du mal à m'expliquer pourquoi, mais j'avais envie d'imaginer l'avoir au téléphone encore une ou deux fois. Et la revoir encore – on se reverrait pour répéter, c'est certain, mais, pas si souvent puisque le plus important maintenant était d'apprendre notre texte afin d'espérer n'avoir aucun souffleur le jour J. Alors, j'avais bêtement attrapé la première idée qui me venait plutôt que de prendre le temps d'y réfléchir – veux-tu bien relire mon discours ? Et puisqu'elle avait semblé croire qu'il était déjà rédigé, j'avais envoyé un machin inventé dans la nuit plutôt que de prendre le temps, une fois de plus, de faire les choses correctement. Bah, passer pour un crétin est mon activité favorite. Autant qu'elle sache que je tiens le rôle qu'elle m'a écrit à merveille.

***

 Je sonne une troisième fois à son interphone, mais elle ne répond toujours pas. Les week-ends de garde, qu'elle m'avait dit, hein ? Je me rends compte que j'ai pris au mot le fait qu'elle s’adapterait à moi : il semblerait qu'en fait, elle ait une vie, elle aussi. Et qu'elle ne passe pas ses journées à m'attendre derrière sa porte. Je soupire, à la fois de déception, mais quelque part aussi, de soulagement : stupidement, j'étais tendu de la revoir, et l'idée d'esquiver une rencontre après sa jolie surprise ne m'est pas si désagréable. Je vais pour repartir alors qu'une habitante ouvre l'immeuble : sans réfléchir, je m'y engouffre. Après tout, je ne suis pas venu les mains vides.

 Je grimpe les escaliers jusqu'à son quatrième étage, et file au fond du couloir. La dernière porte, tout à gauche. Je reste planté devant, le cœur battant. C'est trois fois rien, ce que tu vas faire là, Oscar. Détends-toi. Je dépose le paquet sur son palier. Cela mériterait un petit mot d'accompagnement mais, puisque j'avais imaginé lui donner moi-même, je n'ai prévu ni papier ni crayon. Bah, j'espère qu'elle comprendra. Je hausse les épaules à moi-même. Advienne que pourra. Si ça se trouve, un voisin zélé fera le ménage avant même qu'elle ne découvre la boîte.

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