#12
- Mais qu'est-ce qui s'est passé ?!
- Je... je ne sais pas. J'ai mal !
- Ah bah oui, là, j'imagine. Bordel, Milo !
Le gamin évite scrupuleusement mon regard. J'ai bien du mal à contenir ma colère : j'avais donné des instructions pour sa reprise, et de toute évidence, elles n'ont pas du tout été respectées durant mon absence ! Alors qu'on reprenait tout juste le sport plus intense après douze semaines d'activités douces, voilà que l'on va replonger dans l'inaction, et pas qu'un peu !
Je ferme les yeux, dépose mon énervement. Si je veux obtenir la vérité, il va me falloir patience et calme.
- Milo ? Allez, viens. On va se poser dans l'infirmerie.
Il s'accroche à moi de nous avançons, clopin-clopant. Je l'aide à s’asseoir sur la table de massage. Il grimace mais, avec toute l'arrogance que lui confère l'adolescence, ne laisse échapper aucun bruit de douleur. Je mobilise délicatement la jambe. Ses muscles se crispent sous ma main, et il se raidit. J'accompagne son relâchement. Pas bon. Il sait mon regard sur lui. Je le vois se renfrogner.
- J'ai peut-être pas trop fait gaffe à ce que tu avais dit.
- « Pas trop » ?
- Je me sentais bien, je me disais que je pouvais y aller à fond maintenant !
- À fond... Milo...
- Je sais mieux que personne comment je me sens dans mon corps !
- Oui, c'est vrai. Et je sais mieux que toi la fragilité d'un genou qui sort d'une double tendinite.
Je sors du congélateur un pack glacé, l'enrobe d'une serviette et l'ajuste à son articulation. Il grimace de plus belle, mais bientôt, ses traits se détendent un peu. Je laisse le silence entre nous. C'est finalement lui qui le brise, la voix faiblarde.
- Je suis désolé, Oscar.
- … C'est moi qui suis désolé.
Il ressemble plus à un gosse tout juste sorti de l'enfance, qu'à un grand tennisman en devenir qui fait la fierté du Centre d’entraînement madrilène depuis déjà deux ans. J’appose ma main sur son épaule, et alors, il ose lever les yeux vers moi.
- C'est pas foutu, hein ?
- Qu'est-ce que tu entends par « foutu », Milo ?
- Je ne vais pas abandonner le tennis ?
- Non.
- Mais je vais devoir me reposer encore un peu ?
- … Oui.
- Ouai... quelques jours.
- Hum hum. Milo... quelques jours, tu crois ?
- Deux semaines ? Trois ?
Je soupire. Il y a des mots plus difficiles que d'autres. Je m'abaisse à sa hauteur.
- Milo... Plus de trois semaines. Je suis désolé de ce que je vais te dire, mais : il n'y aura pas de terre battue pour toi cette année.
- Même pas Roland ?
- C'est dans à peine plus d'un mois. C'est trop proche. Quand bien même tu pourras reprendre l'entraînement d'ici là, tu n'auras pas récupéré ton niveau. Ça ne le fera pas, non.
Les larmes s'installent dans ses yeux. Il les retient du plus fort qu'il le peut. Je m'assois à côté de lui. Ces gamins sont entraînés à devoir être des guerriers, qui ne se laissent pas blesser. Ni physiquement, ni psychologiquement. Le jour où le double couperet tombe, ils sont d'une fragilité infinie. Il se penche un peu vers moi, son épaule frôlant mon bras. Je reconnais les signaux timides, j'en suis un spécialiste. Je décolle ma main gauche de la table et la pose dans son dos. Il soupire longuement et s'affaisse. Colosse aux pieds d'argile.
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