#13
Je ne prends le temps d'ouvrir mon ordinateur que maintenant, et j'ai furieusement envie de le refermer. Sur la conversation commune, des idées continuent de fuser à propos de l'enterrement de célibat de Cisco. Plus de cinquante messages non-lus : misère ! Ils vont avoir ma peau ! Je branche mon téléphone HS et le rallume. Il y a eu tellement de trucs à gérer au Centre en ce lundi de reprise que je ne lui ai pas porté attention de la journée. Voilà qu'il vibre frénétiquement sous les notifications inintéressantes des multiples réseaux sociaux, sms, et messagerie vocale. Je scrolle la conversation des mecs. Blablabla. Je suis fatigué d'avance.
Je souffle longuement. Bon, alors, je commence par quoi ? L'enterrement de vie de garçon ? Les trois mails estampillés « URGENT » de la Fédération ? L'appel manqué de ma mère ? Le message vocal de Victoria ?
Mon cœur s'arrête un instant. Le paquet sur le palier me revient. Bon sang, j'avais complètement zappé ça, et y repenser me fait me sentir un peu idiot, avec le recul.
J'appelle la messagerie. Sa voix me décroche un sourire immédiat. Allons, Oscar, t'es neuneu mon gars !
« Euh, salut, Oscar ! Bon, j'avais pensé qu'attendre vingt-et-une heures passées était raisonnable pour te parler mais tu n'es pas joignable. Francisco m'avait dit que c'était compliqué de te capter, mais je n'imaginais pas à ce point ! Enfin, bref. J'ai bien réceptionné ton paquet, sur le pas de ma porte ! J'imagine que c'est toi, sinon j'ai l'air d'une parfaite idiote ! Quitte à être une idiote, je préfère l'être par message qu'en direct, tu me diras... »
Je ne peux m'empêcher de rire. Elle est d'un naturel délicieux, même sur un truc aussi impersonnel et froid qu'une messagerie vocale.
« … Bref, euh, merci ! C'est adorable. Je ne sais pas pourquoi tu m'as déposé ça, mais j'ai adoré. Des spécialités d'Oviedo, comme c'est original ! Je n'avais jamais mangé de carbayones* aussi bons, où les as-tu trouvés ? Je veux ton adresse ! Je ne sais pas si le deuxième était pour toi, ou si tu as pensé à entretenir mes poignées d'amour avec générosité, mais ne sachant pas quand je te reverrai, je me suis permis de les manger tous les deux. Le même soir. Oups. Faudra que tu reviennes avec d'autres, du coup. Hum... Euh, enfin, c'est pas un ordre hein ! C'était une transition pour te dire qu'on devrait se recontacter pour caler une prochaine date de répétition. Ça avait l'air habile dans ma tête mais dit comme ça, c'est nul en fait. Enfin, tu vas croire que j'ai répété mon texte avant de t’appeler, mais pas du tout hein ! Je... bien sûr j'ai réfléchi un peu, quand même, mais... Oh, zut. Euh, je t'embête là, ça n'a aucun sens. Je vais te laisser. On se recontacte, hein. Enfin, toi. J'attends ton appel. Enfin, ou ton mail, ou... comme tu veux. C'est pas pressé, bien sûr !… Hum. Bonne nuit. Enfin, bonsoir. Bonsoir et bonne nuit. »
Je raccroche en rigolant comme un idiot. Mes notifs font encore vibrer mon téléphone. Ça ne m'agace plus. Je reste un petit moment dans mes pensées, et elles sont douces.
- Allô, Victoria ?
- Oscar ! Salut !
- Ça va ?
- Oui ! Et toi ?
- Ça va.
- Ta reprise s'est bien passée ?
- Pas comme j'aurai aimé, mais... Passons. C'est pas intéressant.
- Ah. D'accord. …
Quoi, un silence, déjà ? Bon... Je l'entends se racler la gorge, puis finalement, dire avec joie :
- Merci pour les carbayones* ! Ils étaient mortels !
- Je t'en prie. Ravi qu'ils t'aient plu.
- Ils viennent d'où ? Quelle boulangerie d'Oviedo est capable de telles merveilles ? Il n'y avait pas de carte sur la boîte !
Je rigole.
- Je ne révèle pas mes sources.
- C'est peut-être mieux... Je risquerais d'y passer quotidiennement, et ça serait catastrophique caloriquement parlant.
- Ah. Bon, alors, si c'est pour protéger tes artères, on va dire que je conserve le secret pour la bonne cause.
- Voilà ! Et que m'a valu l'honneur de ce présent ?
- Je voulais te remercier d'avoir apporté une correction à mon texte. J'ai beaucoup aimé cette correction. Je ne sais pas si je réussirai à l'exploiter mais, au moins, j'ai ri.
- C'est vrai ?
- Oui. J'apprécie vraiment de te lire, tu es très drôle.
- Oh, merci...
De nouveau un petit silence. Certainement, avec lui, des joues joliment rosées. Elle ajoute, hésitante :
- Oui, euh, d'ailleurs... Je voulais m'excuser d'être venue chez toi, je ne sais pas ce qui m'a pris. C'était intrusif de débarquer sans prévenir, comme ça.
- Non, non, ne t'inquiète pas. Y'a pas de mal.
- J'aurai dû te répondre par mail, tout simplement.
- Il aurait été moins joli sans toutes ces couleurs et ton écriture dans tous les coins.
- Oh... peut-être... Bon, au moins, il est arrivé entre tes mains quand même !
- Oui.
- Tu m'excuseras auprès de... ton amie. Je l'ai dérangée, certainement.
- Elle ne s'en est pas plainte.
- D'accord. Tant mieux.
Il y a de nouveau un temps de latence, durant lequel je réfléchis à comment expliquer qui est Alix et ce qu'elle faisait ici sans que cela ne ressemble au mec qui essaie désespérément de justifier l'étrange présence de filles inconnues dans sa demeure.
- Victo...
- Oscar... Oh, euh Oui ?
- Non, vas-y ?
- Ah ? Oui, euh, je me demandais... Tu comptais vraiment lire ça le jour du mariage ?
- De ?
- Ton discours ? C'était ça ?
Je rigole.
- Pourquoi ? Il t'a paru louche ?
- J'ai pensé que tu m'avait envoyé ça pour te foutre de moi.
- Quoi ?! Pourquoi je ferai ça ?
- Bah... C'était pas... Enfin, je ne veux pas critiquer hein !
- Tu devrais. Parce que c'était pas terrible.
- Pas vraiment, non.
- Mauvais.
- Très mauvais.
- Horriblement nul.
- J'ai hésité à le déchirer et en faire du papier mâché.
- Ah ! Enfin un avis lucide.
Elle éclate de rire.
- Bon, tu me rassures. Tu es capable de meilleures productions que ça, hein ?
- Je ne t'en ferai pas assurance...
- Écoute, écris-le pour de vrai, et on en reparlera.
- Rien que pour avoir encore le droit à plein de couleurs et de boutades en marge, j'en ferai dix.
- Oh... Eh bien, si ça m'ouvre le droit à de nouveaux carbayones, je suis prête à tout !
- Je prends note. J’essayerai de travailler sérieusement mon discours, et je te l'enverrai.
- Et tu me redis quand est-ce que tu reviens à Oviedo !
- Oui, je vois ça et te redis, oui.
- Pour répéter, je veux dire, hein ? Pas pour... euh, autre chose.
- … Oui, bien sûr.
- Bon, euh... Bonne semaine, alors.
- Merci, Victoria. Passe une bonne soirée.
- Toi aussi.
- À très vite.
À très vite... Je réfléchis. C'est quand, déjà, mon prochain retour dans la région ? Je n'en sais rien. J'aurai quelques jours de repos entre le tournoi de Madrid et le début des entraînements à Paris pour Roland-Garros, mais je ne connais pas les dates exactes. Je ne sais pas si je peux prévoir un retour au bercail sur ce laps de temps. Après, je ne serai disponible que mi-Juin. « À très vite »... mais pas si vite que ça, il semblerait.
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* carbayones : pâtisserie emblématique des Asturies. Sorte d'éclair à la pâte feuillettée, fourrée à la crème d'amande.
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