#14
- Feliz cumpleaños, Andreas !
- Gracias, Papà !
- Comment tu vas ?
- Bien, bien. C'était une journée d'école quoi. Ce soir María, Sophie, Papi et Mamie viennent manger à la maison.
- Cool. À la maison ?
- Oui mais, rassure-toi, ce n'est pas Maman qui cuisine. Elle a commandé un repas.
- Ah. Ouf.
- Elle m'a prévenu que je n'aurai pas ma tarte au queso* en dessert.
- Mince. Quand on se verra, Andreas, promis, je te ferai ça.
- Tu vas me manquer. J'aurais bien aimé que tu sois là.
- Je sais, mon grand, je sais. Tu me manques beaucoup aussi. Je suis déçu d'être coincé ici.
« Ça me fait royalement chier » serait plus exact. Mais, comme chaque année lors du tournoi de Madrid, la Fédé mobilise tout le staff technique et médical pour assurer l’événement – et en mettre plein les yeux aux concurrents, qui croiseront des t-shirts « fédération espagnole de tennis » à chaque recoin des trois étages de la Caja Mágica*. Mon rôle sera plus d'accompagner les Juniors lors des exhibitions, et d'assister aux matches en tant que spectateur – ce n'est pas désagréable, ceci dit – que de réellement bichonner des muscles endoloris. Du superflu tout comme je déteste. Heureusement, je peux toujours compter sur la présence de Jorge pour égayer cette semaine ridicule.
Ce n'est pas dans une ambiance amicale que la rencontre a lieu. Jorge et moi somme convoqués pour échanger quelques mots à propos de jeunes que nous encadrons. L'entraîneur principal, Federico, est occupé à la séance d'échauffement pour ceux qui jouent ce matin, alors, c'est nous qui nous y collons. En face, l'un des grands pontes de la Fédération, descendu tout droit de Barcelone pour se montrer, et pour évaluer les niveaux des gamins. Ce genre d'entrevue me barbe - c'est loin, bien loin de mes compétences professionnelles.
Il se racle la gorge, et s'adresse à moi.
- Comment ça se passe, pour Milo ?
- Ni bien, ni mal. Quand il observe son repos correctement, son genou va mieux. On continue les étirements et les exercices doux.
- Bon. Bien, bien.
Il fait la gueule. Perdre une étoile montante pour un tournoi tel que Roland-Garros ne lui plaît pas. Je jette un œil en coin à Jorge. Il me fait un signe de tête. On est dans le même état d'esprit. Depuis le remaniement massif d'il y a deux ans, les directions prises par la Fédération envers nos groupes de Juniors sont plus que discutables à nos yeux. Il faut briller, il faut du résultat, et pour cela : il faut pousser les jeunes. Quitte à abaisser la vigilance quant à leur santé. C'est pour cette raison que Jorge et moi avons quitté tous les deux le Centre de formation principal, à Barcelone, pour se rabattre vers un club avec moins de pression, moins d'enjeux, et de fait, moins d'emprise de la Fédé. Pour autant, lorsqu'un talent éclot quelque part, il ne passe pas inaperçu et Big Brother garde un œil partout, tant qu'il est possible de tirer un quelconque profit.
- J'aurais quand même aimé le voir jouer cette semaine, insiste-t-il.
- Ce n'est pas raisonnable.
- Je ne parle pas d'un match, juste un échange de balles.
- Je vais reformuler : ce n'est pas envisageable.
J'ai le couteau entre les dents. À force de faire miroiter des trucs aux gamins et de leur foutre la pression, arrivent des conneries telle que celle de Milo cette année. Je ne décolère pas.
- Il faut bien que j'évalue où est-ce qu'il en est par rapport aux autres de sa catégorie...
- C'est très simple : il en est à reposer son genou pour ne pas dire adieu à sa carrière.
- Oscar, vous ne faites pas d'efforts.
- Au contraire, j'en fais beaucoup pour rester courtois.
- Tsss. Jorge ?
- Oui ?
- Vous en pensez quoi ? Quelques balles, demain matin, contre un ou deux gamins de Barcelone ?
Quelle enflure ! Il espère quoi, me doubler ? Son mépris pour mes propos me hérisse le poil. Je vois Jorge s'avancer vers le bureau qui nous sépare, et se racler discrètement la gorge.
- J'en pense que mon staff médical contre-indique toute activité soutenue pendant encore quinze jours. Je vais donc suivre l'avis de mon collègue kinésithérapeute ici présent et devoir refuser votre demande. Vous m'en voyez bien évidemment navré. Mais je suis certain que, tout comme Oscar et moi-même, la santé de nos joueurs est votre préoccupation première et vous comprenez parfaitement notre position.
- Oui, bien évidemment, oui.
Il tourne la tête avec une contrariété clairement affichée.
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* la tarta de queso (littéralement : la tarte au fromage) est une sorte de cheesecake typique du pays basque.
* la Caja Májica est le nom du centre olympique de tennis de Madrid. Il possède 14 courts de tennis en terre battue, et de nombreux courts en synthétique.
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