#17
Je me présente au comptoir pour payer ma tournée, puisqu'il paraît que le dernier arrivé est la première victime. Victoria sort des toilettes, c'est l'occasion idéale pour l'interpeller hors des oreilles qui traînent.
- Hey !
Elle sursaute et rosit légèrement. Décidément.
- Ça va ?
- Oui.
- Désolé pour Luigi, il est très... exubérant. Il parle sans réfléchir, mais dis-toi que y'a à prendre et à laisser dans ce qui sort de sa bouche.
- Oui, oui, ne t'en fais pas. Il est marrant.
- Ok, tant mieux. Je ne voulais pas qu'il y ait de malaise, ou...
- Il n'y en a pas.
- Parfait.
Elle me dévisage avec sérieux. Bien trop de sérieux pour un dimanche après-midi de fiesta, ensoleillé, au milieu d'un verre entre amis.
- Tu es sûre que tout va bien ?
- Oui. J'ai... été surprise de te voir ici. Je ne m'y attendais pas.
- (je souffle) Je suis désolé, j'aurai dû te prévenir, je n'ai pas pris le temps de ça.
- Tu sais, tu devrais me le dire si tu n'as pas envie de... faire la scène avec moi. Ne pas te forcer juste parce...
- Non, non non ! Ça n'a rien à voir ! C'est moi, je suis un peu nul, mais je trouve ton idée super et j'ai envie de le faire ! Vraiment !
- Non mais je ne devrais pas m'étonner, Nina m'avait prévenue que tu pouvais être…
- Être quoi ?
- Pas très impliqué.
- Quoi ?! Ça n'a rien à voir ! Je suis concerné, c'est que, la semaine a été hyper chargée pour moi, je n'ai su qu'hier que j'étais libre de rentrer à Oviedo… Ce n'est pas volontaire !
- C'est pas grave, Oscar. Ne t'énerve pas.
- Je ne m’énerve pas !
- De toute façon, je dois vous laisser. Je commence ma garde dans une heure.
- Mais...
- À une prochaine fois !
- Oui... Salut.
Bah merde, alors.
Il me faut un gros effort pour afficher une mine neutre lorsque je retrouve la table. J'ai un peu de mal à capter leur conversation, mes pensées sont dirigées exclusivement vers les sous-entendus de Victoria. Je suis fortement contrarié que l'on se soit quittés sur quelques phrases acerbes. Je réfléchis à comment rattraper le coup. En apprenant mon texte, déjà. En rédigeant ce foutu discours, aussi. Oui, il faut que je m'y mette.
La voix de Nina me tire de ma réflexion.
- Oscar ?
- Mmm ?
- Je demandais : ça va, Victoria et toi ? Vous vous entendez bien ?
- Euh, oui, oui, pourquoi ?
- Je ne sais pas, c'était bizarre là, vous ne vous êtes pas adressés la parole. Je m'inquiète un peu.
- Non, non, tout va très bien, Nina. Elle est très sympa. Pourquoi ? Elle t'a dit le contraire ?
- Non, elle dit comme toi. T'es très sympa, et pas grand chose de plus. Vous êtes mystérieux...
- Disons qu'on évite de trop parler pour ne pas faire de bourdes devant vous. Mais on communique bien, ne t'en fais pas.
Nina semble ravie de ma réponse. Olè ! La parade était jolie, Oscar.
- Elle est mignonne, la Vickie, en plus, hein ?
Luigi me regarde avec insistance. Pourquoi est-il mon meilleur pote, au juste, quand je vois combien il ne manque pas d'être pénible en toute circonstance ?
- … Oui, oui.
- Hé hé, tu ne nies pas !
Je râle. Quelle question con, en même temps ! Fallait que je réponde un oui, ou un non ?
- Il faudrait être un idiot pour assurer le contraire !
Nina tend un doigt accusateur vers moi, la mine sévère.
- Hey, hey, hey ! Calme-toi, Dom Juan ! Vous communiquez tout ce que vous voulez, mais tu laisses ma cousine en dehors de tes histoires d'amour de merde, ok ?
J'affiche mon plus beau sourire de façade. En une phrase, Nina m'a douché. Elle a résumé la triste réalité : je suis un crétin, incapable de tenir correctement une relation amoureuse. J'ai déjà trois victimes à mon actif, trois filles qui se sont faites des montagnes d'espoirs avec moi et que j'ai haché menu au bout de quelques années. Si j'ai réussi à sauver les meubles avec Alix, et ce uniquement du fait de notre enfant commun, ce ne fut pas le cas des autres. Une personne aussi douce et gentille que Victoria n'est pas faite pour s'accorder avec un type comme moi. Circule, Oscar, y'a rien à voir.
- Oscar ?
- Bien sûr. Tu t'emballes, Nina.
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