#19

5 minutes de lecture
  • C'est pas mal, hein ? On maîtrise le truc !
  • Ouai, j'ai l'impression que oui !

 J'ai même vraiment l'impression que ça a l'air chouette, ce numéro de comédie. J'espère que les mariés en penseront de même.

  • Tu vas peut-être te trouver une passion pour le théâtre ?
  • Ha ha ha ! Aucune chance ! Je préférerai toujours la place de spectateur à celle de premier rôle !
  • Dommage. Tu as du potentiel.

 Je secoue la tête. C'est très chouette, les flatteries : j'entendais la même chose quand je faisais du tennis. Ça ne changera pas mon foutu caractère de réservé silencieux.

  • Crois bien que tu me fais réaliser un exploit. Les gens t'applaudiront pour ça !
  • Ça dépend... Il disait vrai, Luigi ?... On peut vraiment tout te demander ?
  • … C'est quoi, « tout » ? Non parce que, si tu songeais réellement à... au strip-tease...
  • Non, non ! Mais... je repensais à cette histoire de salsa...

 Misère, c'est pas vrai !

  • Oh... Euh... Vraiment ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée...
  • C'est inenvisageable ?
  • Ben... C'est compliqué, Victoria...
  • Tu pourrais y réfléchir ? Je suis certaine que...
  • Tu n'as aucune idée du niveau que j'ai.
  • Bah, viens ! On va faire quelques pas, tu me montreras !
  • Je ne sais pas...
  • Pour te racheter.
  • De ne t'avoir pas prévenue que j'étais rentré ?
  • D'être venu sans pâtisseries !
  • … T'es dure en affaires.
  • Allez, je mets la musique, et viens, on essaie. C'est... « pas grand chose ».

 Je ne peux m'empêcher de sourire à sa phrase. Elle se positionne au milieu de sa pièce de vie, et commence déjà à se balancer. Je reconnais cette sensation, celle qui fourmille en nous juste avant de commencer à danser réellement. Je ne l'ai pas. Mon corps est totalement amorphe, là. Mais, que se passe-t-il ? Est-ce son sourire candide ? La main délicate qu'elle tend vers moi ? La culpabilité de l'avoir déçue ? L'envie de lui faire plaisir ? Je n'en sais rien, à vrai dire, mais je vois malgré moi mon esprit basculer dans le « bon, d'accord » et mon corps, sans vraiment me demander mon avis, se lever.

 Elle jubile, se précipite vers son téléphone et augmente le son de l'enceinte. La regardant faire, je n'arrive même pas à regretter : sa joie balaye mon appréhension. La musique s'élève dans le salon, et je me retrouve dos au mur. Je souffle, mais pourquoi je souris en même temps ?

  • On fait juste les pas de base, d'accord ?
  • Ouai, ouai. On fait ça.

 La salsa n'est pas une danse à la chorégraphie stricte : lorsque l'on connaît le principe des 4 temps et les pas basiques, elle s'improvise avec n'importe quel cavalier. Je remobilise mes acquis. 1, 2, 3, pause. Elle me suit. 5, 6, 7, pause. On poursuit ainsi. C'est con, parce que je pourrai faire n'importe quoi, lui écraser le pied, la bousculer d'un coup de hanche, et décréter que « Bah non, tu vois bien que ça ne marchera pas ». Au lieu de ça, je continue consciencieusement, je m'applique, et même, je me déhanche. Et je vois son sourire s'élargir. Je la fais tourner, et elle est aérienne sous mon impulsion. Je suis émerveillé par ses mouvements graciles, qu'elle effectue sans aucune difficulté. C'est presque comme si c'était sa façon normale de se mouvoir. Finalement, les trois minutes vingt-quatre passent sans que ni elle, ni moi ne les interrompons. C'est la fin du morceau qui stoppe nos pas. Elle rit. Je reste planté comme une andouille devant elle, son rire délicat et son corps gracieux. Je me sens soudainement très gauche, maintenant que nous ne bougeons plus. De quoi ai-je eu l'air, vraiment, face à elle ?

 Ses deux prunelles pétillantes se posent sur moi. Un rire nerveux naît dans ma gorge. Je n'ai aucune idée de quoi lui dire. J'ai envie de disparaître.

  • Maintenant, j'ai une idée du niveau que tu as.
  • … et ?
  • Tu demandes sérieusement ? Tu te débrouilles hyper bien ! Je te jure qu'on peut faire un truc vraiment sympa !
  • Non, attends...
  • Mais si, mais si !
  • Victoria, t'emballe pas. On avait dit « on fait quelques pas ». Là, faire le clown dans ton salon, je veux bien mais, tu me parles de danser devant tous ces gens, en costume trois pièces, franchement... je ne pense pas être capable de ça.
  • Tu maîtrises la technique, qu'est-ce qu'il te manque ? Quand on danse, on se concentre sur sa partenaire, tu oublieras le monde autour de toi.

 Ça, si je danse avec elle, je n'ai aucun mal à croire que j'oublierai le monde autour, oui. C'est peut-être même cela qui est gênant, en fait.

  • Allez !
  • C'est compliqué, Victoria, vraiment compliqué.
  • Prends-le comme un challenge ! Dis-toi que c'est une finale de tournoi et que tu veux la gagner !

 Je la dévisage en silence. Aïe. La métaphore tennistique ne fera pas mouche. Elle ne me connaît pas suffisamment pour se rendre compte que ce n'est pas du tout le canal de communication qui me sied. Au contraire.

 Je me retourne vers le canapé.

  • Il se fait tard. Je devrais songer à y aller.
  • Euh... Ah bon ?
  • Oui.

 Je récupère mes affaires.

  • On a bien avancé, c'est cool.
  • Oscar, attends !

 Elle m'attrape le bras, et j'ai comme un frisson qui me traverse.

  • Tu sembles... Je n'aurais pas dû insister, excuse-moi. Je ne voulais pas te blesser.
  • Tu n'as rien fait de tel.
  • C'est que... Tu pars un peu vite.
  • Oui. Bah, on a terminé, non ?
  • … Oui. On a terminé, oui.
  • Alors, je n'ai pas vraiment de raisons de rester.

 Elle me regarde avec une vague tristesse. J'ai du mal à me souvenir qu'il y a cinq minutes, elle rigolait devant moi. Elle lâche dans un murmure :

  • D'accord.

 Oh, mais merde. On dirait qu'elle va pleurer ! Pourquoi se mettre dans un état pareil pour une danse ? Voilà que je culpabilise encore, putain.

  • Victoria, écoute... Je suis désolé de t'avoir fait imaginer que... c'était possible. Je n'aurais pas dû accepter les quelques pas de démonstration.
  • C'est pas grave, Oscar. C'était marrant à faire. J'ai apprécié. Et... tu danses très bien.

 En silence, je rejoins la porte et sors dans le couloir. Elle se tient contre l'encadrement, toujours aussi triste. Je me sens mal, affreusement mal. Il faut que je dise un truc. Il faut ré-alléger l'air suffoquant, là.

  • Bon, euh... Je... J'y re-réfléchirai, ok ?

 Merde, pourquoi j'ai dit ça, quel con ! Sauf qu'elle s'illumine déjà. Ah, bordel !

  • Tu me redis ? Parce que, si tu acceptes, on va être obligés de se revoir pour... s'entraîner.

 Ben oui. C'est même sûrement pour ça que je commence à envisager l'inenvisageable.

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