#22
Je souris jusqu'aux oreilles. Revoir Milo jouer est extrêmement plaisant. Il se débrouille bien, le bougre, malgré ses presque six mois de disette. Ne m'étonne pas que la Fédé veuille lui mettre le grappin dessus. Heureusement, Jorge veille au grain, et ses parents sont également réticents à se rendre à Barcelone pour l'intégrer au super-Centre de Formation flamboyant que nos chers collaborateurs vantent tant. On peut tout aussi bien gérer le gamin ici, avec moins de moyens mais autant de présence, de bienveillance et de considération pour sa personne.
Les grands pontes, justement, ils apparaissent en bout de terrain en ce jeudi après-midi. Leurs regards de rapace s'échouent inévitablement sur l'As du club. Je ne leur ai même pas encore adressé la parole que j'ai déjà envie de leur sauter à la gorge. Puisque je ne peux pas m'enfuir, je devrais me trouver une activité extrêmement occupante qui m'empêcherait d'aller leur parler, là, maintenant. Je les vois s'approcher.
- Ah ! Oscar ! Bonjour, comment allez-vous ?
Et merde.
- Bonjour. Très bien, merci.
- Le petit Milo est de retour sur les courts, on dirait ?
- Tout à fait.
- Intéressant, intéressant. On voit qu'il est un peu rouillé, mais, il se débrouille toujours bien.
- Oui. On va y aller molo. Ça ne sert à rien de risquer une autre série de semaines de repos.
- Non, non. Vous avez raison, Oscar. C'est vous le spécialiste, hein ?
- Mmm.
Que me vaut cet élan de reconnaissance si dégoulinant, soudainement ?
- Bref. C'est intéressant, mais ce n'est pas pour cela que nous sommes ici.
- Ah ? Pourquoi donc, alors ? Une visite de la structure ?
- On voulait vous parler, Oscar.
- Moi ?!
Bordel, qu'est-ce qu'ils me veulent ?
- Oui. Vous pouvez nous suivre ? On sera mieux dans un des bureaux.
Ah carrément, une entrevue en tête à tête dans les bureaux ? J'ai encore plus envie de fuir.
- Euh... Oui, oui. Je préviens Jorge et j'arrive.
- Pas de soucis. HEY, JORGE ! On vous emprunte votre kiné ! On vous le rend avant la fin de l'entraînement, promis !
Jorge me jette un regard surpris, mais ne peut qu'approuver. Bon gré, mal gré, je les suis.
- Alors ! Ça s'est bien passé, Roland, d'après nos échos ?
- Oui, oui. Très bien.
- Parfait, parfait. Vous avez tous fait du bon boulot. Bravo.
- Merci.
- Vous étiez contents ?
- … Euh, oui.
- Toujours aussi bavard, Oscar, hein ?
Ils se sourient l'un à l'autre. Moi, je trépigne intérieurement. Non, je ne suis pas du genre à bavasser des heures, non, et ils le savent très bien. Ça ne m'amuse pas, leur petit jeu. Je n'ai aucun plaisir à me trouver là en face d'eux, d'autant plus depuis nos différents de l'année dernière qui m'ont poussés à claquer la porte de Barcelone.
- Bien, Oscar. Voilà la situation. Vous n'ignorez pas que les JO de Rio se tiendront cet été. Nous avons transmis au Comité Olympique la liste de nos participants. L'Espagne a droit à deux paires dans le tableau double.
Il marque une pause et me fixe. Je hoche la tête. Je sais tout ça. Je suis un minimum l'actualité de mon sport, quand même. Et puis, c'est pas comme si les JO en approche n'étaient pas l'une des conversations principales dans le club.
- Le duo qui sera le plus regardé, c'est Rafa et Marc, vous vous doutez bien. Dès que le nom Nadal apparaît, les lumières se tournent vers lui.
- Mmm. C'est audacieux d'associer Rafael et Marc, d'ailleurs. La demande émane d'eux ?
- Ils en ont discuté après Roland, oui. Ça va être des JO particuliers. Marc brille des résultats récents ; Rafa en revanche, n'est pas dans sa meilleure année.
- Oui. Des blessures, hein. Qui nécessitent ce qu'on appelle du repos, ici bas.
Bim, le taquet est joliment placé. Ils plissent les yeux et marquent une pause avant de reprendre :
- Hum, oui, c'est ça. Bref, les gars iront à Rio ensemble. Et même si on y présente notre meilleur atout un poil diminué, on n'en sera pas moins scruté durant la compétition.
- Oui, je suppose. Pardon, mais, quel est le rapport avec moi ?
- … Marc a demandé à ce que vous fassiez partie de son staff.
Je reste interdit. Qu... Quoi ? Ils me regardent et attendent.
- Il veut que je l'accompagne à Rio ?
- C'est ça.
- Mais... Pourquoi ?
- … Pour être son kiné, voyons.
- Mais... Marc n'avait pas de kiné jusqu'à présent ?
- Si, mais ils se sont séparés. Et apparemment, ça s'est incroyablement bien passé à Roland entre vous, il a envie de réitérer.
- Et... vous... ?
- Nous, on veut une médaille, alors on se plie au mieux aux volontés de nos athlètes. Donc, si Marc veut Oscar Vázquez en kiné aux JO, on fait ce qu'on peut pour avoir Oscar Vázquez aux JO.
Bordel de bordel. J'hallucine.
- Je... ne sais pas trop... je vais y réfléchir.
Ils se regardent, puis l'un d'eux s'avance vers moi.
- Oscar, écoutez bien : on vous laisse l'impression d'avoir le choix, mais on aimerait bien ne pas avoir à se battre pour vous. Marc vous veut, et à moins d'être cloué sur un lit d’hôpital ou six pieds sous terre les quinze premiers jours d'Août, nous ne vous accorderons pas tellement d'excuses à ne pas venir.
Formidable. Vraiment formidable.
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