#24
Je balance mon sac au pied du canapé et m'y laisse tomber. Allongé sur le cuir froid, je soupire longuement. Je suis content d'être rentré : je n'avais pas revu Oviedo depuis presque six semaines. C'est beaucoup.
Ces derniers jours ont été remuants. Après mes conversations avec Jorge et Alix – mes deux amis les plus clairvoyants – j'ai contacté Marc pour avoir enfin son point de vue à lui dans cette histoire dingue. Le verdict était simple : en souvenir du bon vieux temps où nous fûmes adversaires, et parce que l'entente était bon enfant entre nous à Roland-Garros, il avait eu envie de me permettre de vivre ça. Marc ne s'était pas pris la tête pendant des heures, il avait balancé mon nom entre le fromage et le dessert, et d'une voix ferme qui ne laissait pas la place aux tergiversations. Alors, comme elle me l'a expliqué, la Fédé s'est pliée à sa demande et ne m'a pas lâché jusqu'à ce que j'accepte.
Et j'ai accepté.
Bordel. J'ai accepté d'aller aux JO.
C'est un petit frappement qui résonne dans l'entrée. J'ouvre la porte. Elle me sourit timidement, et rosit déjà.
- Bonjour, Victoria.
- Bonjour Oscar ! C'est toi qui ouvre, aujourd'hui.
J'étais à deux doigts de me pencher vers elle pour amorcer une bise, mais sa remarque me coupe dans mon élan. Elle marque un ace d'entrée.
- Euuuh... Oui. Disons que quand je suis au courant de ta venue, je me tiens prêt, oui.
Elle pince les lèvres d'un air coupable. Je lui fais signe d'aller dans la pièce de vie, et elle me précède donc. Mes yeux ne peuvent s'empêcher de la détailler. Elle porte une robe légère, jaune, parsemée de petites fleurs blanches, et des ballerines noires brillantes. Elle a négligemment relevé ses cheveux avec une pince. Elle ne porte aucun bijou, n'est pas beaucoup maquillée. Elle laisse derrière elle un parfum printanier comme sa tenue. Je hume l'air et me surprends à sourire.
- Waouh. C'est... beau, chez toi.
- Tu trouves ? Ce n'est pas tellement original.
- Pas original ? Il y a un piano dans le salon...
- Oui. Ce n'est pas moi qui en ai usage.
- Ah bon ? Qui donc ?
- … Mon fils.
- Il joue du piano ? Et il ne fait pas du tennis, aussi ?
- Si. Pourquoi ?
- Comme ça... Je n'imaginais pas ça.
Elle continue son tour du propriétaire. Je reste à distance : je ne sais pas pourquoi, je ressens un peu de nervosité.
- J'aime beaucoup ça.
Elle désigne un cadre que m'avait offert ma sœur à mes trente ans. Une grande photo de moi, à peine dix ans, entouré de mon père et mon grand-père, au pied des lacs de Covadonga. La qualité n'est pas exceptionnelle, mais la valeur sentimentale est lourde.
Elle sourit malicieusement.
- T'étais mignon comme tout, dis donc.
- Mmm, tu trouves ?
- Et il paraît donc que ton fils te ressemble ?
- Il paraît...
Elle me fixe avec curiosité, puis fronce les sourcils.
- Tu es bien mystérieux quand il s'agit de lui.
- Ah ? C'est que... je ne veux pas t'ennuyer avec mes histoires. Je ne crois pas que ce soit intéressant pour notre affaire de mariage.
- Sommes-nous obligés de ne parler que de ce mariage ?
- Euh... Tu veux parler de quoi d'autre ?
- Je ne sais pas... Tu pourrais me montrer une photo de ton fils et je constaterai par moi-même. Je suis très physionomiste : je te dirai, moi, s'il te ressemble vraiment ou pas.
Je reste interdit devant cette demande incongrue : elle se moque de moi, ou est-elle sérieuse ? Elle veut voir Andreas ? Mais pour quoi faire ?
Devant mon manque de réaction, elle rougit et tourne le regard.
- Bon, j'essayais un peu d'humour mais je vois que c'est vraiment un sujet chasse gardée...
- Non, non ! Pas du tout ! C'est que... je ne sais pas si j'en possède...
- Tu n'as pas de photos de ton fils ?!
- Peut-être pas de bonne qualité, non.
- Ah.
- Mais, si tu y tiens... le mois prochain, il sera ici. Tu pourras le rencontrer en vrai, et tu constateras de visu s'il me ressemble ou si les gens font du zèle.
Elle me fait des yeux ronds.
- Tu veux me présenter ton fils ?!
- Quoi ? Il ne faut pas ?
Allons bon, c'est pas bien ? Ce n'était pas sa demande ?
- Eh bien... C'est... pas banal. Il y a trois minutes, je ne t'avais encore jamais entendu en parler, et voilà que tu me proposes de le rencontrer...
- Je... je ne veux rien t'imposer hein, désolé si... c'est inapproprié... Je pensais que ça te ferait plaisir...
Elle me dévisage, puis sourit finalement.
- Oui. Je serai ravie de ça, vraiment.
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